Economie politique internationale

Les dangers de l'imminente réforme fiscale américaine (2 janvier 2003)

Crise fiscale de l'Etat ou crise d'accumulation du capital? (07/09/2003)

Europe élargie, zone euro et Europe sociale (11/09/2003)

 

 


 

LES DANGERS DE L'IMMINENTE REFORME FISCALE AMERICAINE

(Note ajoutée début août 2011: Mon Tous ensemble parut alors que naissait l'Euro; pour ma part, j'aurais désiré un système monétaire européen flexible, chaque banque centrale membre de la BCE retenant la gestion de ses propres ratios prudentiels, bien entendu en étroite coordination avec la BCE, ceci afin que ne prévale pas une unique série de taux d'intérêt qui alors ne seraient utiles que pour le Centre de l'Eurozone alors qu'il aggraverait fatalement les disparités régionales au sein de la zone et de l'UE dans son ensemble. A cela devait correspondre un re-cloisonnement financier et bancaire, ainsi qu'une canalisation publique de l'épargne nationale via des Fonds ouvriers dûment flanqués par des Fonds de productivité liés aux cycles de la RTT. Ce dispositif serait définitivement renforcé par une gestion nouvelle des flux boursiers (Seuils Tobin.) Les attaques spéculatives  deviendraient ainsi impossibles; au demeurant, durant la transition vers l'euro, un bon taux de change initial, plus le recours très agressif aux "circuits brakers" auraient mis l'Eurozone à l'abri. Ce ne fut pas le modèle choisi: Néanmoins, il ne fut pas possible pour les fossoyeurs de l'Euro comme monnaie de réserve internationale naissante, donc comme rival du dollar, de lancer des attaques spéculatives contre les membres les plus faibles de l'Eurozone. Dés lors ces derniers n'avaient plus à recourir aux désastreuses dévaluations compétitives à la Dini comme cela était courant en Italie - manoeuvre qui détruisit la productivité ainsi que la compétitivité du pays dont les grotesques élites choisirent transversalement la voie de la facilité. Du coup, on pouvait militer tranquillement pour l'entrée rapide de l'Italie et de la Grèce dans l'Eurogroupe dès sa création ou immédiatement après, sans pour autant nuire à la solidité de l'ensemble, alors que la discipline européenne pouvait permettre d'espérer un assainissement de moeurs financières et politiques très lâches dans ces deux  pays. Autrement dit, malgré ses graves défauts néolibéraux de naissance, l'Euro était somme toute une bonne chose: Le gouvernement Jospin fit d'ailleurs la preuve de ce qu'un gouvernement rationnel et progressiste, malgré un environnement international silencieusement hostile, pouvait accomplir en son sein, sans avoir à craindre de dévastatrices attaques monétaires extérieures.

Par contre, moi le dénonciateur précoce du renouveau philo-sionisme nietzschéen, je n'aurais jamais pensé que les élites européennes de droite comme de gauche puissent abandonner la dette souveraine des pays membres de l'Eurogroupe dans les mains des trois agences de notation privées américaines, tout en sachant qu'elles sont elles-mêmes largement à la solde des quelques grandes banques apatrides de New York qui contrôlent largement la Réserve Fédérale américaine. Bien entendu, j'avais dénoncé âprement le fait selon lequel, dans le cadre du libre-échange global livré au court-termisme et à la spéculation, la construction européenne se tirait joyeusement une balle dans les pieds par pure idéologie néo-nietzschéenne; en effet, elle soumettait la construction de son propre bloc régional à des logiques transnationales et impériales antithétiques à ses Etats membres autant qu'à ses peuples. Je dénonçais vertement les illusions néo-impériales d'une gauche social-démocrate, pour tout dire Ralwsienne-Giddensienne, une gauche complice active de la destruction des entreprises publiques offrant des services publics, au nom de la naissance illusoire de "champions nationaux", eux-mêmes livrés au globalisme spéculatif - Roe, pseudo-modèle californien etc. De tels champions (!) pouvaient uniquement devenir des facteurs de la désindustrialisation à marche forcée de l'UE, alors que les statistiques marginalistes du genre PIB masquent les problèmes en les aggravant. Car ces statistiques marginalistes sont ontologiquement incapables de différencier entre intérêt et profit, entre économie spéculative et économie réelle, de sorte que plus le PIB croît du fait de la part grandissante des services financiers ainsi que des assurances, plus la pauvreté s'aggrave, et plus les comptes courants filent vers le rouge. Dans l'Europe des nations unique support concevable d'une authentique Europe sociale, les services publics universellement accessibles car payés collectivement (i.e. plus-value sociale) continueraient à être offerts par les entreprises  publiques entendues dans le sens d'entreprises d'Etat; rappelons que ces entreprises d'Etat furent protégées par le Traité de Maastricht (Article F 3, 3b) tout autant que par le mini-Traité de Lisbonne, quoique par dérogation dans ce dernier cas. Des regroupements européens fonctionnels - donc organisés selon des mandats européens précis, par exemple la mise en place des lignes de chemin de fer à grande vitesse ou encore des câbles pour le haut débit, ou encore pour des projets comme Galileo etc. -  mettant à contribution ces entreprises publiques pouvaient se concevoir aisément, ceci avec la plus grande flexibilité alliée à la plus grande efficacité: chaque Etat membre contribuerait volontairement à ces regroupements - comme cela fut le cas pour Airbus etc. ... - sans  pour autant avoir à détruire ses propres entreprises publiques, car celles-ci demeurent vitales pour garantir leur productivité micro-économique ainsi que leur compétitivité macro-économique. L'Europe pouvait alors moderniser ses réseaux et ses infrastructures avec célérité sans qu'aucun Etat membre n'ait à souffrir une forte désindustrialisation, ni une perte de cohérence économique par le biais des privatisations et des déréglementations, préalables barbares à l'émergence des "champions" nationaux-européens-transversaux sacrifiant uniquement à la logique sans issue de la centralisation et de la concentration du capital à l'échelle globale.

C'est pourquoi, j'opposais à l'Europe du capital la  construction d'une Europe sociale - voir, par exemple ci-dessous ainsi que les autres textes consacrés à l'Europe. Jamais, je n'aurais cru que les élites européennes auraient osé marcher main dans la main avec des agences de notation privées, de surcroît non-européennes, pour imposer de manière scélérate des CDS sur des dettes souveraines désormais entièrement titrisées, le tout dans le but de créer artificiellement un problème de financement de la dette pour mieux mettre l'Europe sous la tutelle des banques privées apatrides, tout en lui imposant l'équivalent du Consensus de Washington que l'Amérique latine venait juste d'avoir l'intelligence et le courage de refuser - y compris en Argentine ... Bien entendu, ceci n'est qu'une manoeuvre bassement politique qui n'a rien à voir avec le problème de la dette en soi. Il s'agit tout bonnement de mener l'UE vers la société du nouvel esclavage et de la nouvelle domesticité, "retour" insensé dénoncé dans mes articles comme dans mes livres, le tout en faisant croire aux citoyens ainsi lésés que ceci correspond au sens inéluctable de l'Histoire selon les  crapuleuses narrations philo-sionistes nietzschéennes renaissantes.

En effet, une banque nationale pourrait être créée dans chaque pays membre de la BCE avec seulement quelques milliards de mise initiale, soit une infime portion de ce qu'il en a coûté pour recapitaliser les banques privées chancelantes du fait de la crise des subprimes, ou encore de ce qu'il en coûte aujourd'hui pour sauver les "bad banks" ou bien pour acheter leur "junks bonds" comme le fait la BCE et le FESF aux frais de tous les Européens, y compris l'Allemagne, le vrai rival économique que l'Empire putatif cherche à détruire préventivement en détruisant l'euro (La France avec tous ses pitres surmédiatisés s'est déjà inféodée elle-même en réintégrant l'Otan, bien entendu avec le zèle des nouveaux convertis de surcroît cartésiens: voir la crapuleuse intervention contre la Libye et le reste, dans le silence complice d'une gauche blumiste, de nouveau déshonorée.) Au demeurant, nous fûmes tous témoins du fait que cette recapitalisation publique à fonds perdus des banques privées - socialisation des pertes dans un système capitaliste alliant production sociale et accumulation privée se traduisant dans la ruine des budgets des Etats- fut vaine, puisque aussi bien les règles du jeu ayant mené à cette faillite systémique n'avaient pas été changées; ainsi l'éclatement de la crise fut  artificiellement prorogé, mais à un niveau fatalement plus élevé, sans que la contraction du crédit disponible pour l'économie réelle n'ait été le plus minimalement soulagée. Remarquons que cette modeste mise de départ nécessaire pour créer une banque publique pourrait alors être utilisée à bon escient pour racheter les obligations d'Etat nouvellement émises ou celles arrivant à maturité. Les obligations nouvelles seraient achetées à très faible taux ou même à taux zéro - comme cela se faisait en France avant Giscard d'Estaing, l'idéateur hexagonal de la coupable titrisation de la dette nationale. Les obligations arrivant à maturité seraient pour leur part rachetées selon la décote qui s'impose, pour être ensuite tout simplement effacées des comptes nationaux. Cette banque publique utiliserait un ratio prudentiel de 40 à 1 au départ (ce qui est la moyenne du système bancaire officiel actuel ...!), de manière à rendre à César ce qui appartient à César et idem pour Judas. Ensuite, ce ratio serait ajusté progressivement à la baisse à mesure que la dette nationale atteindrait 60 % du PIB pour en arriver doucement à un ratio de 3 à 1, alors que toute la dette nationale serait nationalisée à taux zéro ou à taux très faibles par ses soins (un faible ratio prudentiel correspond à la logique du crédit dont la seule utilité économique concevable est de permettre le déroulement fluide des cycles du capital dans la logique de la Reproduction Elargie, rien d'autre: pour le reste, c'est toujours Henri Ford qui à raison contre Morgan et compagnie, à savoir que l'industrie et la banque ne font pas bon ménage, pas plus que le travail humain et l'usure: Voir son essentiel: The International Jew: the World's foremost problem dans: http://usa-the-republic.com/international%20jew/Index.htm ). Entre-temps, ces banques nationales pourraient financer les infrastructures, de même que les autres grands projets publics, ou menés en partenariat, qui requièrent un financement à moyen et long terme, à très faible taux. Au sein de l'Eurogroupe, ces banques publiques à vocation spécifique seraient elles-mêmes coordonnées par une structure européenne, de préférence une structure incluse au sein de la Commission du Plan européenne que j'avais appelée de mes voeux. Cette Commission du Plan européenne me semble bien plus utile qu'un ministère des finances "européen" - lire apatride -  dont - je l'espère - l'Allemagne aura la sagesse de refuser la création. Du coup, avec l'entrée en scène de ces banques publiques, les CDS ne seraient tout simplement plus concevables sur la dette souveraine des pays concernés: les Etats ne pourraient alors plus être rançonnés par les banques privées qu'ils ont stupidement sauvées de la débâcle en se ruinant entièrement; ils retrouveraient alors les moyens nécessaires pour assurer leurs devoirs régaliens, tout comme pour intervenir dans l'économie, ne serait-ce que pour la" sauver de ses propres esprits animaux" selon la phrase de Keynes. Il suffirait alors d'en revenir au recloisonnement fonctionnel du secteur bancaire et financier - y inclus les Fonds ouvriers-, le tout en réformant le secteur boursier. Entre-temps, il conviendrait de négocier au plus vite une nouvelle définition de l'anti-dumping qui soit capable de protéger les trois formes du revenu des ménages (le "salaire individuel", le "salaire différé" et le "revenu global net" des ménages.)

Disons pour conclure: Personne n'est dupe, il n'existe pas de problème de financement de la dette, en soi: l'Islande a montré la voie en nationalisant les banques cependant qu'elle envoyait certains banquiers au violon.

Paul De Marco)

 

Il conviendrait sans doute de replacer le débat sur la préservation du caractère public et laïque de l'éducation sans son contexte plus large, celui des dépenses publiques et donc de la fiscalité. Ceci deviendra très rapidement une urgence économique et sociale du fait de la désastreuse politique fiscale que va indubitablement suivre le gouvernement Bush durant la présente année ainsi que durant les années consécutives. Comme on le sait, cette politique fiscale dont les détails restent à être annoncés, continuera à aller dans le sens d'un régime soumis à une « logique » dite de "flat tax": il s'agit en fait d'un régime fiscal simplifiant encore les barèmes fiscaux tout en les abaissant de nouveau, exonérant de surcroît au maximum les revenus des corporations ainsi que du capital financier et spéculatif américains, le tout en supprimant les impôts de succession. Ceci déclenchera alors une catastrophe socio-économique à l'échelle globale dont les conséquences surpasseront de loin celles « quasi-génocidaires » provoquée par la révolution néo-conservatrice menée par le couple Reagan/Volcker puissamment encouragé par Thatcher.(1) A tort, une fois de plus, les USA utiliseront ainsi leurs privilèges impériaux pour continuer à attirer à chez eux des capitaux étrangers risquant sans cela d'être de plus en plus découragés par les déséquilibres fondamentaux du pays (déficit budgétaire, déficit des comptes courants, endettement etc. ), ainsi que par l'anémie de longue durée consécutive à l'éclatement de la bulle spéculative liée à la soi-disant Nouvelle Economie et encore entretenue par les politiques socialement régressives de la présente Administration et, bien entendu, par la surproduction chronique (capacité productive extrêmement excédentaire, maturation de la dernièrement vague de technologies massifiées, impossibilité pour longtemps de remplacer des secteurs comme le pétrole par une économie axée sur l'hydrogène etc.) ainsi que par la sous-consommation structurelle des ménages liée à la désindustrialisation et à la précarisation de la main-d'oeuvre. Bien entendu, cette manoeuvre ne réussira pas plus que la première à régler les déséquilibres fondamentaux américains. Cependant, elle n'en déclenchera pas moins des effets dévastateurs sur les pays du Tiers comme du Quart Monde; elle n'épargnera pas davantage l'Europe, la Russie et la Chine. Cela sera paradoxalement d'autant plus vrai que ces économies sont aujourd'hui capables de concurrencer les USA dans les secteurs haut de gamme dans lesquels ces derniers avaient mis tous leurs espoirs pour se repositionner de manière dominante sur la scène économique mondiale, et pour lesquels même l'abus des privilèges relevant de la propriété intellectuelle (voir la position américaine dans le secteur pharmaceutique) ne garantit pas leur suprématie.

 

La question se pose alors de savoir quelles contre-mesures préventives l'Europe, mais aussi tous les autres pays, en particulier la Russie et la Chine, doivent prendre pour se mettre à l'abri de la dévastation économique et sociale désormais recherchée avec un zèle guerrier par les nouveaux « maîtres » putatifs de ce qu'il faut bien appeler « l'impérialisme sauvage. »

 

Les exigences internationales des Américains en matières de privatisation et de déréglementation vont se poursuivre. L'Europe a déjà en partie cédé en ce qui concerne les services collectifs traditionnels (transports, énergie, télécommunication, gestion des collectivités). Les compromis de Lisbonne en la matière laissent passablement à désirer, ils semblent retarder l'échange (2004 ? 2007 )  en misant sur des restructurations sectorielles dont le caractère public n'est plus du tout garanti au niveau de la forme de propriété, de sorte qu'il risque aussi de ne plus l'être en ce qui concerne la forme de distribution et la définition même de ce qui constitue, économiquement parlant, un bien collectif. La fin de 2002 a mis en lumière une évolution similaire concernant la politique agricole. Et, comme vous ne l'ignorez pas, les secteurs comme l'éducation et la santé sont maintenant sous attaque bien qu'en ces domaines il est notoire que les dépenses totales (publiques et privées) américaines excèdent celles de la plupart des pays européens pour le financement de services d'un accès aléatoire et au demeurant d'une qualité notoirement moindre, particulièrement en ce qui concerne les services les plus courants. Ainsi, en 1989, dans le secteur de l'éducation, les dépenses totales des USA s'élevaient à 6,5%  du PIB comparées à 6,1% pour la France. Les dépenses publiques proprement dites dans le secteur s'élevaient respectivement à 4,8 % et 5,3 % ce qui témoignent encore des gaspillages américains lorsque l'on considère l'aide publique à l'école privée et les barèmes de taxation des ménages américains ainsi que les frais de scolarité exigés. En matière de santé, la situation est encore plus inégalitaire puisque les dépenses totales américaines dans le secteur s'élevaient à 14% du PIB en 1992 comparées à 9,4 % en France sans pour autant produire un régime de santé équitable du point de vue de l'accès ni même de la qualité des soins, puisque l'alliance des hôpitaux et des compagnies d'assurance, tous deux dominés par le secteur privé, produit tout naturellement des effets nietzschéens de castes. Comme on le sait Nietzsche faisait du « gaspillage » la marque volontairement inégalitaire de sa société fasciste de « surhommes ». Or, de quelque côté qu'on la regarde la société capitaliste américaine est fondamentalement une société qui gaspille structurellement ses ressources tant publiques que privées . C'est une société qui évolue chaque jour davantage vers un nietzschéisme théocratique de très mauvais aloi. Ce qui ne l'empêche pas de vouloir imposer par la force (traité sur la libéralisation du commerce des services, guerres préventives etc.) un modèle pourtant en faillite tant du point de vue conceptuel que du point de vue économique et social.

 

La déraison est ici patente. Rappelons brièvement quelques faits : tout d'abord, l'ensemble des études sérieuses effectuées depuis le déclenchement de la révolution volckero-reaganiénne attestent du fait que la privatisation et la déréglementation n'ont nullement fait baisser les coûts de production des services et moins encore leurs prix ; tout au plus cela a-t-il permis de transférer au privé, souvent à vil prix, des actifs antérieurement payés par l'ensemble de la société, de supprimer la péréquation sectorielle des coûts de production nécessaire pour pallier les disparités régionales et, avec la diminution quantitative, de supprimer les seuils qualitatifs des services anciennement publics ainsi rendus moyennant une  tarification souvent très régressive. Ensuite, on se rappellera l'évolution générale, des impôts allant de pair avec celle de l'Etat-providence entre 1929-1950 puis durant les soi-disant « trente glorieuses ». Les dépenses totales assumées par les organismes de charité, les collectivités locales et les Etats centraux n'ont cessé de croître partout en Occident pour combler les déficits humanitaires et sociaux créés par le capitalisme libéral de mouture officiellement non-interventionniste. Les emplois de la fonction publique suivront partout la même courbe inexorablement ascendante. Le plein-emploi dérivant de l'économie de guerre et d'une transition réussie à une économie de paix tirée par de plus hauts salaires allant main dan la main avec une syndicalisation accrue, la libération de l'épargne forcée du temps de guerre (bons de la victoire par exemple) ainsi que par les secteurs intermédiaires (électroménagers, automobile, avionnerie etc.) permirent aux Etats occidentaux de tirer la conclusion qui s'imposait: ils choisirent alors de rationaliser la structure des coûts et des dépenses en donnant à l'Etat la charge de plus en plus nette du régime de redistribution. Du point de vue intellectuel plus encore que pratique, le keynésianisme vint légitimer le développement des filets de sécurité sociaux mis en place par l'Etat social naissant en soulignant leur rôle d'amortisseurs sociaux. A partir des crises économiques des années soixante et dix, dues selon F. Perroux à  une saturation de la demande solvable plus encore qu'à la crise pétrolière de 1974, bien plus conjoncturelle, les contradictions intimes du keynésianisme (reproduction nationale régulée par l'Etat mais systématiquement sabotée par les « rounds » consécutifs négociés par lui sous l'égide du GATT, ainsi que par la suprématie d'une production immédiate et d'une accumulation des profits toutes deux laissées dans les mains du privé) amenèrent l'Etat capitaliste à combattre le dérèglement de son multiplicateur de Kahn par un surplus de libéralisation (le GATT menant à l'OMC et à l'ALENA, puis rapidement à d'autres traités semblables.) Il s'ensuivit une révision de la structure globale des impôts favorisant les entreprises, le capital financier et les patrimoines au détriment de l'impôt sur le revenu ou de celui encore plus intrinsèquement régressif, l'impôt sur la valeur ajoutée des biens et des services, dans une vaine et suicidaire recherche de la « productivité » individuelle d'entreprises conçues désormais hors du champ de leur reproduction économique et sociale. La politique fiscale qui s'annonce viendra parachever l'oeuvre de démantèlement de l'Etat social rondement menée par la réaction volckero-reaganienne; sera parachevé ainsi le retour à un type de société libérale et théocratique caractérisant jadis le capitalisme sauvage, mais arborant désormais les oriflammes nietzschéennes de l'Empire. Un "retour ascendant" à une pseudo-démocratie censitaire, où plus précisément, à la servitude de la majorité des citoyens, puisque aussi bien la disparition des faibles revenus des barèmes restants de l'impôt sur le revenu s'accompagne, aux USA comme ailleurs, par la désaffection politique des plus exploités, sinon par leur élimination pure et simple des listes électorales, la franchise électorale supposant l'exercice d'un droit d'inscription exigeant lui-même un minimum de temps libre et d'intéressement de classe.

 

Je ne m'étendrais donc pas sur ces évidences. Il importe plutôt de commencer à imaginer des contre-mesures réelles et efficaces.

 

Pour l'heure, l'Europe petite-bourgeoise comme celle du grand capital ne semblent pas avoir bien pris la mesure des dangers imminents. La situation résultante risque donc d'être plus sombre que celle qui prévalut dans les années quatre-vingt du fait des stratégies du roseau à la Delors et Mauroy qui, du moins, avaient su mettre en place quelques mesures de  médiations préventives (RMI, Société Générale et restructuration bancaire etc..) Aujourd'hui, il semble que l'UE et ses Etats membres veuillent s'accommoder de la régression économique et sociale en cours; ils prétendent même dans certain cas l'accompagner. Tout au plus met-on quelques espoirs dans de nouvelles normes ou bien dans de nouveaux cadres réglementaires symbolisés par des principes, d'application flexible selon le type de gouvernement en place, comme l'exception nationale ou le principe de précaution. Pour le reste, on encense le secteur « marchand », trahissant ainsi la légitimité et l'efficacité économique et sociale prouvée de la propriété publique pour ne retenir finalement que l'outil de la définition des services publics. Mais personne n'est dupe : ce transfert par l'Etat néo-conservateur interventionniste à outrance en faveur des classes dominantes, à qui il cède à rabais le patrimoine productif national, sans se soucier d'avantage de l'inéluctable impact négatif sur l'emploi et la qualité des services, va nécessairement de pair avec la « baisse » des dépenses de l'Etat, c'est-à-dire avec le démantèlement des services sociaux publics conçus comme des conquêtes populaires et des droits citoyens; il va également de pair avec une harmonisation fiscale européenne allant elle-aussi dans ce sens ouvertement régressif. Immanquablement, les revenus de l'Etat seront destinés à baisser de sorte qu'une forme quelconque de régionalisation ou de décentralisation, légitimée dans le cadre fallacieux de la formation d'une Europe se substituant peu à peu à ses Etats membres, permettra de transférer les services que l'Etat central ne pourra plus assumer à des collectivités locales qui pourront les charcuter à loisir puisque la décentralisation brisera en même temps l'unité et la force de frappe syndicale des employés de la fonction publique concernés. Comme par ailleurs, à l'instar des USA chez qui les Etats fédérés sont constitutionnellement astreints à des budgets non-déficitaires, ces mêmes communautés locales se verront inexorablement contraintes à sous-traiter une partie des services (c-à-d , à précariser les forces de travail concernées), puis à tarifer de façon croissante l'accès aux services, à en réduire l'amplitude, en définitive à revenir en catimini à un système pré-Etat social moderne dans lequel l'assistance remplacera l'assurance sociale et la charité remplacera les droits des citoyens. Les positions de négociation européennes concernant les biens et les services vont évidemment dans ce sens régressif à peine atténué par le cadre réglementaire.

 

La Russie et la Chine ne font guère mieux que l'Europe, l'une trop avide d'intégrer l'OMC sans prendre la précaution de se prémunir au préalable par des accords bilatéraux intérimaires garantissant ses secteurs stratégiques tout comme sa cohérence économique interne, l'autre parce qu'y étant déjà entrée certains de ses dirigeants croient, à tort, que les faibles coûts de sa main-d'oeuvre alliés à une ouverture commerciale dictée par Washington pourront assurer sa croissance mieux que le développement de la demande interne soutenu par un Etat social égalitaire sachant développer des moyens modernes et efficaces de canaliser l'épargne interne en investissements productifs (Fonds ouvriers, secteur bancaire coopératif appuyant de grandes banques d'Etat etc..)

 

Il importerait donc de lancer le débat sur des contre-mesures capables d'endiguer la nouvelle vague de destruction sociale qui suivra la prochaine réforme fiscale américaine. Les pistes offertes ici tiennent compte du contexte politique européen aujourd'hui dominé par la droite. J'ai donné ailleurs des propositions dont la gauche authentique pourrait s'emparer, en particulier les Seuils Tobin, les Fonds ouvriers liés entre-autre aux retraites, et le logement social (3) : ces propositions antérieures reposent sur la conception d'une redistribution sociale axée sur ce que j'ai appelé la plus-value sociale; elles démontrent le lien entre salaires, revenus nets, dépenses sociales liées aux éléments principaux de la consommation individuelle (nourriture, logement, transports, éducation, santé, loisir etc.) ainsi que la productivité structurelle des formations sociales en question. Ces propositions demeurent, à mon sens, d'actualité pour la gauche. Il convient encore d'imaginer des mesures adaptées au danger présent qui soient susceptibles de recevoir l'appui de la petite-bourgeoisie et des fractions de la bourgeoisie nationale européenne soucieuses de leur autonomie, qui donc joueraient un rôle de contre-feu immédiat tout en gardant leur utilité en cas d'alternance politique en faveur de la gauche. Les pressions populaires pourraient donc porter sur les éléments suivants :

 

1) Réinsertion de la notion du nécessaire plein-emploi dans le monde non-tarifaire prévu par les tenants du libre-échange à tous crins. En particulier, l'utilisation des subventions directes et de la négociation de quotas appropriés destinés à soutenir tout secteur économique connaissant des taux de chômage supérieurs à la moyenne prévalant dans la formation économique et sociale d'origine (ex. UE ou USA) caractérisée par une monnaie unique. Une telle règle de bon sens pourrait aller de pair avec une mobilité soutenue des capitaux moyennant la négociation de seuils maximum de contrôle étranger selon les secteurs. Nous aurions là une ébauche de « Nouvel Ordre Economique Mondial » compatible avec la mobilité du capital, sans être unilatéralement nuisible à l'emploi ni à la mise en place des stratégies industrielles nationales et régionales nécessaires pour atteindre cet objectif. D'autant plus que cet objectif social représente le seul moyen de lever structurellement la contradiction la plus intime du capitalisme, à savoir celle qui oppose la capacité productive à la demande sociale solvable. Cette proposition n'a rien de terriblement hétérodoxe. Il est bon de remarquer que, malgré l'idéologie libre-échangiste en vogue, les pratiques concrètes ressemblent plus à un « commerce géré » sous diktat des pays les plus riches, tout particulièrement des USA, qu'a un commerce ou à une économie « libres » : les subventions directes sont loin d'avoir disparues mais elle sont occultées; elles suivent une stratégie industrielle à la pièce plutôt qu'une planification minimum ; les aides dites d'urgences sont utilisées sur une base quasi permanente; les quotas maximums à l'importation sont négociés avec les partenaires les plus compétitifs et acceptant des joint-ventures croisées plus compatibles avec une interdépendance gérée par des intérêts privés ; les tarifs douaniers sont unilatéralement réintroduits, aux USA par exemple, pour soutenir des industries mises à mal par la concurrence, comme l'industrie de l'acier ; enfin et pour comble, certaines nations comme le Canada en sont arrivées à abuser sciemment des mécanismes et des règlements internationaux prévus notamment par l'OMC pour forcer des pays émergeants plus faibles comme le Brésil à accepter des négociations allant dans le sens d'un partage et d'une gestion à l'amiable de niches industrielles ou commerciales spécifiques etc. En somme, il s'agirait de remettre un minimum d'ordre et d'insuffler un minimum de bon sens à des pratiques aujourd'hui anarchiques et souvent unilatérales qui, sous prétexte de libre-échange, détruisent les sociétés en même temps que leurs cohérences socio-économiques.      

 

2) Exiger la constitutionnalisation des formes de propriétés collectives (entreprises publiques, coopératives, et même entreprises strictement d'Etat) sur le même pied d'égalité que la propriété privée. En clair, pour autant que ces entreprises une fois constituées (par le biais de la nationalisation traditionnelle ou par leur contrôle par des Fonds ouvriers eux-mêmes publics) soient soumises aux mêmes règles comptables que toute autre entreprise étrangère, leur expansion internationale serait liée à la pratique bilatérale d'une règle de conduite connue et éprouvée, celle du « traitement national ». Resteraient à déterminer les prérogatives nationales en la matière. Les fâcheuses expériences de la libéralisation de la production et souvent aussi de la distribution de l'électricité  (Californie, Alberta et dans une certaine mesure Ontario) montre qu'une forte position oligopoliste, alliée à un cadre réglementaire très strict axé sur une planification sectorielle à long terme, est nécessaire pour soutenir la rentabilité du secteur ainsi que la qualité des services publics qui en dépendent, mais aussi pour assurer la compétitivité générale de l'ensemble de la formation sociale considérée. En fait, de ce point de vue d'ensemble, de quasi-monopoles nationaux seraient préférables à des oligopoles à qui on aurait coupé l'herbe sous les pieds par une  trop grande ouverture au capital privé (national ou étranger) alliée à un cadre réglementaire dont la flexibilité est souvent calculée pour couler à moyen terme les entreprises publiques que l'on feint de défendre pour mieux pouvoir les transférer ensuite au « secteur marchand » si prisé par le grand patronat.

 

3) Finalement, il s'agit d'imaginer une modification à la marge du régime monétaire existant qui soit capable de contrer efficacement les abus des privilèges du dollar américain comme principale monnaie de réserve internationale. Ces privilèges ont fait porter sur le dos des prolétariats européens comme du Tiers-monde les effets de la génocidaire (4) révolution volckero-reaganienne, par le biais du démantèlement de l'Etat social tout comme par la « socialisation », via la fiscalité de classe, des provisionnements pour dettes douteuses exigés des banques occidentales les plus fragilisées par leur égoïste et crapuleuse compréhension du « risque pays ». (Les prolétariats du bloc de l'Est le payèrent d'une autre façon puisque, ne parvenant pas à rembourser des dettes contractées à faibles intérêts à des taux atteignant ensuite jusqu'à 20 %, ils finirent par se saborder de l'intérieur, qui par la trahison de son groupe dirigeant, telle l'URSS, qui par un souci auto-suicidaire de l'indépendance financière nationale telle la Roumanie de Ceausescu qui épongea en un temps recors sa dette extérieure sur le dos d'une population exsangue, qui par le biais de fortes tensions internes provoquée par le poids imprévu de la dette, tensions manipulées directement et consciemment de l'extérieur avec un acharnement coupable allant jusqu'à l'agression armée de l'OTAN, comme ne témoigne le cas de la Yougoslavie où les dirigeants capitalistes mondiaux tentèrent d'assassiner l'idée même de pluralité des régimes socio-économiques en imposant leur criminel nettoyage idéologique.)

 

Je propose, par conséquent, de renforcer et d'accélérer la constitution des zones monétaires alternatives au dollar américain, cet outil impérial d'esclavage monétaire par excellence, en renforçant le rôle de monnaie de réserve de l'Euro, du Rouble et du Yuan. Ceci peut s'avérer plus aisé qu'il n'y paraît à première vue sans pour autant déstabiliser le système financier international ni la gestion monétaire nationale. Il suffit, en effet, de généraliser une pratique que les USA ont eux-mêmes utilisée, notamment durant les années soixante et soixante et dix pour usurper à leur profit le rôle réservé par le régime de Brettons Wood aux Droits de tirages spéciaux, établissant ainsi le dollar comme unique monnaie de réserve internationale sur les cendres mêmes du système conçu à Savannah. Les USA offrirent simplement de payer des intérêts sur les réserves détenues en dollar par les diverses banques centrales qui n'étaient plus dès lors intéressées à suivre l'exemple gaullien et à échanger systématiquement leurs dollars en Or selon l'équivalence de 35 dollars US pour une once d'or fin établie à par l'accord de Brettons Wood de juillet 1944. Ils rétablirent ainsi à leur profit exclusif une situation structurellement intenable vis-à-vis de leurs principaux créanciers internationaux, situation éminemment instable qui perdure aujourd'hui, accentuée encore par un déficit chronique des balances extérieures.

 

Il est évidemment inutile de revenir à un quelconque Etalon Or, quoique ses rigidités tant décriées relevaient infiniment plus des rigidités intrinsèques à tout système capitaliste, que du fonctionnement normal d'un tel « équivalent général » auquel on prétendait faire jouer le rôle « d'équivalent universel », avec d'autant plus de bonne conscience que, ce faisant, l'on faisait naturellement porter tout le poids des sorties de crises exclusivement aux prolétariats pour qui, ainsi que l'avait remarqué Keynes, elles s'inscrivaient littéralement « dans leurs chairs ».. Il est clair aussi que ni l'Euro, ni le Rouble ni le Yuan ne pourront se contenter de défendre leur position internationale par une politique de différentiel ajouté à leurs taux directeurs, puisque ceci pénalise leur croissance et revient à accepter un statut monétaire de vassal. Bien entendu, j'ai déjà argumenté ailleurs sur la nécessité, particulièrement en Europe, de pallier les distorsions inflationnistes ou déflationnistes par une meilleure utilisation et coordination des ratio Cooke en vigueur dans chaque Etat membres et plus compatibles avec une monnaie unique, des taux directeurs uniques mais des politiques sociales multiples confondant des situations prévalant, par exemple, en Irlande, en Allemagne, au Sud de l'Italie et en Grèce. Mais ceci ne suffirait pas.

 

Il faudrait encore que les banques centrales européennes, russe et chinoise aient l'audace et la sagesse d'offrir aux diverses banques centrales le même intérêt sur les réserves détenues dans leur monnaie respective que celui qu'elles reçoivent pour le dollar et,  en plus, d'offrir le même intérêt sur les réserves en Or qu'elles seraient disposées à déposer auprès d'elles. Ceci ne reviendrait nullement à réintroduire l'Etalon Or par la bande puisque l'Or serait ici traité comme un moyen d'échange monétaire comme un autre, y compris le numéraire sous forme de papier, de métal quelconque ou tout autre support électronique. Par contre, l'effet serait immédiat : le re-dimensionnement du rôle du dollar comme principale, voire unique, réelle monnaie de réserve internationale. L'avantage principal d'un tel régime monétaire serait d'abstraire l'Europe, la Russie et la Chine de l'impact destructeur des politiques monétaristes (et fiscales associées) utilisées aujourd'hui comme armes économiques par les USA et qui forcent inéluctablement ces pays à adopter des politiques monétaires restrictives qui ne se justifieraient autrement ni par leurs réalités économiques et sociales ni par leur philosophie. L'Europe, la Russie et la Chine ont les moyens d'une telle politique, tant par leurs réserves en Or existantes que par leur production autochtone de ce métal. Un pays comme l'Afrique du Sud y trouverait aussi un avantage en autant qu'il ne soit pas un cas isolé. Au pire, un large support populaire pour de telles mesures incitera les USA à négocier enfin un régime financier de coopération internationale éliminant ainsi tout abus et tout unilatéralisme destructeur en ce domaine vital. Il y a peu, M. Oscar Lafontaine avait concrètement entrevu un tel régime de coopération internationale. Au demeurant les USA pourraient y trouver les moyens authentiques de rééquilibrer leurs comptes et de concevoir de nouveau le développement de leur Etat social de façon finalement mener à terme un New Deal jadis saboté par Harry Truman, en en faisant leur Nouvelle Frontière, la seule digne de leurs meilleures traditions républicaines.

 

Il me semble en tout cas urgent de lancer le débat sur les contre-feux à opposer aux réformes fiscales américaines imminentes afin d'éviter de reproduire les désastreuses conséquences socio-économiques engendrées deux décades auparavant par le suivisme aussi servile que convenu en matière de monétarisme et de court-termisme, tous deux antithétiques à toute planification tant indicative qu'incitative.

 

Paul De Marco,

Richmond Hill, le 2 janvier 2003.

Copyright @ 2 janvier 2003

 

Notes:

1)     Voir par exemple « Les conséquences socio-économiques de Volcker, Reagan et Cie » in http://lacommune1871.tripod.com

2)     « Les dépenses publiques et l'impôt », in Ramses 98, éditions Dunod, 1997p 291

3)     Voir Tous ensemble. Edition La Commune, 2002. (v. ce même site)  

4)     Souvenez-vous, Susan George a pu dire que les plans d'austérité froidement appliqués par le FMI à un pays comme le Pérou à la suite des dévastations économiques et financières mondiales provoquées par cette politique monétariste américaine avaient causé la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes, notamment des enfants. Les témoignages d'autres personnalités dignes de foi comme le jésuite Guttierez abondèrent dans le même sens.

 

XXX

 

EUROPE ELARGIE, ZONE EURO ET EUROPE SOCIALE.

 

Chers Camarades,

 

Je viens juste de lire attentivement l'article "Voyage à l'intérieur du projet de constitution" www.humanite.presse.fr du 11/09/2003. Quelques commentaires d'une absolue franchise s'imposent sous réserve, bien entendu, de reconnaître que personne ne détient de vérité toute faite de sorte que chacun a le devoir de mettre fraternellement ses propres théories au point d'une manière parfaitement explicite afin que les camarades puissent user de leur esprit critique et que de la confrontation puisse jaillir quelque clarté.

 

Ceci est d'autant plus important que le fait de voir le PCF s'engager à fond sur la question européenne constitue la meilleure nouvelle que les tenants d'une Europe sociale pouvaient recevoir. Un signal de bon augure qu'ils attendaient depuis quelque temps. Il faut espérer que la CGT fasse de même et que les PC européens ainsi que les syndicats européens les plus avancés établissent rapidement des liens institutionnels opérationnels entre eux. C'est la condition sine qua non pour faire avancer la construction de l'Europe sociale.

 

Personnellement je serais d'avis que tous les partis et les groupes de gauche en Europe utilisent ces discussions pour développer en parallèle une véritable constitution européenne pour la zone euro, la présente ébauche n'étant qu'un corset servant à maintenir capital et Europe élargie dans une même étreinte. Je reviendrais sur ce point à la fin de cet article. Pour l'heure quelques remarques s'imposent.

 

La stabilité est primordiale. Elle l'est plus encore pour la gauche et pour le prolétariat vivant de l'économie réelle, que pour la bourgeoisie vivant de processus factices fondés sur des statistiques montrant le monde à l'envers (ex. PIB, « productivité » « croissance ») La stabilité concerne les prix et l'inflation, les profits et les salaires réels, donc les entrées fiscales et, avec elles, les revenus réels (i.e. salaire plus filets sociaux) . La classe ouvrière tout comme les travailleurs en général se sont longuement battus pour obtenir cette stabilité. Rappelons par exemple les luttes concernant la clause Cola aux USA ou la « Scala mobile » en Italie ainsi que leurs équivalents partout ailleurs, destinés à préserver le pouvoir d'achat.

 

Sans l'assurance de cette stabilité tout devient factice ou plus exactement spéculatif dans un monde économique contrôlé par le capital (le capital ayant éminemment le pouvoir de spéculer sur l'instabilité, pouvoir dont ne disposent ni les salariés ni les syndicats.) Or, la BCE soumise aux critères de Maastricht peut et, de fait, contrôle les mouvements des capitaux spéculatifs de part ses agrégats M2 et M3, eux-mêmes surdéterminés par lesdits critères. Elle favorise certainement le monde de la finance mais dans ces limites institutionnelles et comptables précises et préétablies. Supprimer le Pacte de Stabilité et les critères de Maastricht à ce moment ci, c'est-à-dire après que le prolétariat ait assumé tous les sacrifices possibles à coup de plans d'austérité pour permettre le respect de ces critères et l'entrée des pays membres dans la zone euro, revient tout bonnement à abandonner aux banquiers centraux ainsi qu'à leurs clients/patrons capitalistes toute liberté sur ces agrégats. Ce qui, en l'occurrence, peut bien être le voeu des « économistes » titularisés, voire de nombreux économistes d'ATTAC, mais qui en aucun cas ne peut être celui des économistes ou des militant-e-s du PCF et de tous les PC de la zone euro. Car cet abandon des agrégats M2 et M3, correspondant à l'épargne spécifiquement canalisée par la finance ne signifierait en rien l'abandon du contrôle de la BCE sur l'agrégat M1 qui détermine largement l'inflation, et par conséquent les conditions faites au pouvoir d'achat des travailleurs actifs et de l'armée de réserve. Bien au contraire : ce contrôle pointilleux sur M1 serait renforcé au nom de la lutte contre l'inflation (même en adoptant à l'instar du Royaume Uni une conception proto-laxiste à la Modigliani qui, comme tout bon prix Nobel qui se respecte, ne dit rien sur les politiques salariales correspondantes et pour cause. Qui ne dit rien non plus sur l'inflation provenant du laxisme sur M2 et M3 mais invariablement épongé par M1) Il serait donc bien que la gauche se reprenne en main en matière monétaire, qu'elle cesse donc de parler au travers de son chapeau (ou pire encore qu'elle cesse de prendre pour argent comptant les théories de ses adversaires en se bornant à mimiquer les « experts » bourgeois et proto-bourgeois, de service ou pas. Ici comme ailleurs il importe de penser la réalité selon sa propre tête)

 

Ce qui est remarquable dans les articles du texte constitutionnels discuté ici, c'est l'ouverture nouvelle à un rôle accru des banques centrales nationales pour assurer une plus grande uniformité de la stabilité en question. Il semblerait que la critique du processus de formation du taux d'inflation et des taux directeurs centraux dans la zone euro et des ratios Cooke ait été  (partiellement) reçue en haut lieu. Resterait à la gauche de profiter de cette ouverture. Peut-être pour éviter une uniformisation totale des piliers jusqu'ici distincts des systèmes bancaires nationaux, selon une logique purement spéculative et permettre de la sorte qu'une part du crédit disponible puisse adopter une autre logique tout aussi profitable mais beaucoup plus saine, celle de l'investissement productif.

 

Ajoutons en soulignant au crayon rouge la remarque suivante : tout Etat moderne digne du nom qui aurait besoin de l'équivalent de plus de 3 %  de son PIB pour mettre sur pieds une politique de relance économique contre-cyclique efficace ne saurait être autre chose qu'un Etat mafieux, mentalement tiers-mondialisé, ou encore une dictature économique de la bourgeoise (bonapartisme financier ?) mettant l'Etat au service exclusif du capital en faveur de qui se feraient les principaux transferts d'argent, sans se soucier du sort de la majorité de la population, ni du nécessaire équilibre sur le moyen et long termes des paramètres fondamentaux. Au minimum, à l'instar du gouvernement Raffarin actuel, ce serait un Etat incapable de contrôler sa fiscalité malgré les lubies néolibérales de relance par le biais d'une politique nietzschéenne de terre brûlée .  en bref, un anti-Etat, un simple « Quartier général » du patronat !

 

La question n'est pas seulement de savoir si la fiscalité régressive des néolibéraux, au pouvoir aux USA, en l'Allemagne ou en France comme partout ailleurs, peut être conçue comme une opération contre-cyclique. Tout le monde sait que ce n'est pas le cas. Mieux, que ce n'est pas son but. La fin du « communisme réel » a donné l'impression à la bourgeoise qu'elle pouvait enfin revenir sur les concessions faites au lendemain de la révolution bolchevique (Traité de Versailles, Beveridge première manière, OIT  et ainsi de suite) ou encore au lendemain de la défaite aux mains des communistes à Stalingrad du fascisme et du nazisme (établissement préventif de l'Etat providence prenant des allures d'Etat social là où la résistance domestique était la plus forte, malgré les carcans de Yalta). Le but de l'opération néolibérale actuelle vise à démanteler tous les droits acquis de l'Etat social. La bourgeoise vise cet objectif avec d'autant plus de férocité qu'elle a compris, avant plusieurs socio-démocrates aujourd'hui transmués en socio-libéraux, que la marche conjointe forcée de la  « productivité » et de la globalisation ne permettait guère que deux choix : soit le partage du travail, donc le renforcement de l'Etat social et de sa fiscalité propre, soit la nouvelle domesticité (voire la réintroduction d'un esclavage moderne selon de vieux cartons du Pentagone remis au goût du jour, par exemple l'ancien Report from the Iron Mountain) ce qui impose la réintroduction de l'assistanat et du caritatif en lieu et place des systèmes d'assurances collectifs et des conquêtes populaires, le tout assorti du remplacement des libertés par une lubie sécuritaire rendue nécessaire par la psychose permanente (Partiot Act, Homeland security) ainsi que par l'élaboration d'un nouveau catéchisme de la culpabilité devant être prêché aux éternelles classes dangereuses par de nouveaux hauts et bas clergés philosémites nietzschéens.

 

Tout cela est connu. Comme est connu aussi le fait que les déficits budgétaires néolibéraux d'aujourd'hui représentent nécessairement les dettes « nationales » de demain matin (celles dont la gauche sera rendue responsable advenant qu'elle retourne au pouvoir.) Ces dettes justifiant le retour des plans d'austérité (coupures des services publics ayant échappés à l'hécatombe) ainsi que la privatisation des entreprises nationales afin de combler ponctuellement un manque à gagner fiscal désormais inscrit en permanence dans l'opération du régime fiscal adopté. Immanquablement, une fois que les joyaux de famille auront été dilapidés à vil prix, la logique du radeau de la Méduse prévaudra, le prolétariat en faisant une fois encore naturellement les frais.

 

Mais il y a plus : Althusser parlait de pratique théorique; comme à son habitude, il était d'une perspicacité communiste exemplaire. Car il s'agit aussi de savoir ce qu'est une politique contre-cyclique efficace adaptée aux conditions du monde moderne actuel. En dépit des faits, en dépit de la contradiction principale du néolibéralisme (fiscalité régressive permanente et donc impossibilité de contrôler les paramètres fondamentaux autrement que sur le dos du prolétariat, voire sur le dos des bas échelons des « self-contented classes ») le seul exemple dont on pourrait se réclamer est celui, pré-keynésien, de ce que les Américains ont appelé la « récession dans la Dépression » en 37-38, causée par une malencontreuse manoeuvre fiscale. Mais nous étions alors dans une situation américaine encore dominée par le capitalisme hooverien débridé et les hésitations du New Deal, en particulier en ce qui concerne la possibilité pour l'Etat de se comporter autrement qu'en bon père de famille victorien et donc de s'endetter pour financer un budget de relance contre-cyclique: en l'occurrence, la hausse d'impôt d'alors avait encore tari la demande interne non pas parce que les impôts n'auraient pas du être relevés pour financer les grands travaux et les grandes initiatives du New Deal, mais parce que cette hausse se faisait sans que les structures adéquates aient été mises en place pour permettre de compenser rapidement la ponction fiscale par une incitation équivalente ailleurs (i.e. canalisation productive de l'épargne). La structure même de l'impôt relevait elle-même d'un Etat capitaliste industriel pré-welfare négligeant l'impôt sur le revenu, ce qui continua à être essentiellement le cas jusqu'à l'augmentation générale des salaires du fait de la mobilisation économique et sociale résultant de la mise en place de l'économie de guerre. Aujourd'hui nous nous trouvons dans une situation inverse, mais elle met en lumière les même inepties, non pas que les structures adéquates aient déjà toutes été anéanties par les réformes néolibérales, mais plutôt du fait que les exonérations fiscales ne contribuent en rien à relancer la demande interne par ailleurs charcutée du fait des coupures effectuées dans les filets sociaux. En outre, ces exonérations fiscales vont de préférence au capital dans une période de surcapacité productive chronique ! On se rend bien compte que la bourgeoisie n'est pas folle pour autant et qu'elle n'ignore rien de ces contradictions. Au contraire, elle en joue pour mener à bien son projet de régression nietzschéenne (de la même manière qu'elle coule consciemment la Sécu en achetant la complicité des médecins pour ensuit prétexter d'un trou sans cesse croissant pour « réformer » le système au bistouri.) Durant les années 30, 40 et 50, les dépenses caritatives toutes catégories atteignirent des niveaux que ne dépassèrent pas les premiers filets sociaux mis en place l'Etat-providence (ce qui ferait sans doute la joie de M. Michel Rocard) tant il est vrai que l'organisation qualitative sociale n'est pas quantitativement neutre, du point de vue du prolétariat. Or, la gauche était une force montant dans ces années-là : aujourd'hui, à moins que la gauche ne soit capable de rétablir son hégémonie organisationnelle sur le prolétariat ainsi que son hégémonie intellectuelle sur la société en général, on se rend bien compte qu'il sera ardu de faire obstacle à l'objectif de la bourgeoisie consistant à recréer des structures caritatives ultra-maigres et de surcroît privées - pour le dire brutalement sans faux-fuyant: à régénérer une nouvelle mouture molle des castes.

 

Bien entendu, on ne peut pas discourir sur les mesures contre-cycliques adaptées à l'  « époque » en vigueur sans tenir compte du crédit et de ses formes. En effet, dès les années 80 avec la contre-révolution menée par Volcker/Reagan et Thatcher, le système financier amorça une restructuration complète des intermédiations bancaires qui furent toutes réorganisées selon les besoins spécifiques du capital financier. On s'en alla vers la suppression des cloisons qui permettaient de différencier le monde bancaire selon ses missions spécifiques et l'on fondit progressivement tous les piliers bancaires en un seul magma financier/spéculatif axé sur les instruments nouveaux notamment les dérivés financiers et sur les opportunités nouvelles offertes par la monnaie électronique vagabondant à loisir sur l'ensemble du globe, 24 heures sur 24 (Big Bang boursier.) Plutôt que d'exiger la levée du Pacte de Stabilité et des critères de Maastricht, il serait nettement plus sage d'exiger la mise au ban des « dérivés financiers » (ce qui, malgré les déboires causés après les divers Merton, Black et Scholes et autres Siegel de deuxième ordre, n'est pas pour demain) ou encore comme je l'ai fait (v. Tous ensemble, http://lacommune1871.tripod.com) demander une réglementation de ces dérivés par les Seuils Tobin mais surtout en en formalisant ses pratiques. Car sans cette formalisation il ne peut y avoir aucun contrôle comptable ni sécuritaire réel (pour l'heure, ce contrôle se fait en bout de ligne, il est donc dérisoire) ni, a fortiori, de taxe Tobin, puisque les étapes du montage de ces dérivés échappent aux banques centrales et par conséquent au contrôle public (le public étant toujours pris pour acquis lorsqu'il s'agit de contribuer aux provisionnements pour dette visant à éponger les belles oeuvres toujours imprévues mais toujours répétées des nouveaux Prix Nobel d'économie et de leurs nombreux épigones.)

 

A l'époque actuelle les principaux besoins en crédits contre-cycliques ne proviennent donc plus du système bancaire. Une partie est assumée indirectement par les amortisseurs sociaux permettant aux entreprises de souffler (ce qu'elles font sans se gêner outre mesure.) Pour le reste, la gauche doit concevoir des manières nouvelles de structurer l'épargne nécessaire pour alimenter ces crédits d'investissement contre-cycliques en dehors du  budget comme tel, c'est-à-dire sans peser sur les critères de Maastricht, donc sans avoir à mettre à contribution les fonds propres de l'Etat provenant des impôts autrement que de manière exceptionnelle. Les germes de cette manoeuvre existent déjà. Le patronat misant sur des programmes à contribution sociale mais à contrôle privé du type fonds de pension d'entreprise et autres régimes complémentaires. La gauche semble peiner pour sa part à comprendre le parti qu'elle pourrait tirer de la socialisation de ces structures modernes de canalisation de l'épargne, alors qu'elle fut la première sans doute à en présenter une théorie à peu près complète. Dans cette perspective, la gauche doit d'urgence se questionner sur les moyens de canaliser l'épargne nationale par le biais de fonds contributoires alimentés par les travailleurs mais aussi contrôlés par eux (Milton Friedman avait reconnu dès 1970 que les « contributions » du Patronat étaient systématiquement répercutées sur les prix. Il y aurait là, en outre, un moyen de sortir des rendements décroissants des exonérations octroyées aux entreprises sous prétexte de création d'emploi et de productivité.) De la même façon, la gauche doit se questionner sur la pertinence de monétiser une petite partie des réserves de la BCE pour permettre la création d'une banque européenne d'investissements spécifiquement contre-cycliques (Cette mise de départ serait plus que découplée par le ratio Cooke adopté permettrant ainsi le lancement de grands travaux infrastructurels traditionnels (ex. Pont de Messine) ou non-traditionnels (liés aux nouvelles technologies), voire à donner lieu au montage de consortiums permettant d'opérationnaliser l'échange « dette nationale contre actions » par le biais de SWAPs, ce qui permettrait de libérer ainsi des marges de manoeuvres budgétaires par le biais de la réduction du service de la dette. Ces marges de manoeuvre pourraient alors être affectées d'office au soutien et à l'approfondissement des programmes sociaux.

 

Ajoutons pour conclure qu'il existe une énorme confusion entre cette constitution européenne, qui vise essentiellement à réaffirmer les prérogatives du capital européen tout en préparant l'élargissement en douceur de l'Europe, et la zone euro de laquelle relève la BCE ainsi que les critères de Maastricht. Cette confusion est voulue par la bourgeoise européenne, encore qu'elle n'exhibe pas toujours un aspect idéal. En effet, cette confusion vise à restreindre au maximum le poids du prolétariat européen dans les nouvelles instances supranationales qui demeurent sans réels équivalents démocratiques ou syndicaux comparés aux structures nationales. Elle relève partiellement aussi des contradictions opposant les bourgeoises européennes entre elles, notamment les bourgeoises allemande, belge et française d'une part et la bourgeoise britannique d'autre part, pour ce qui a trait à la politique monétaire et donc sociale (City versus bourse européenne etc.) ainsi que pour ce qui concerne la politique de défense et étrangère commune (Londres en faveur de la transformation de l'Europe, vieille et jeune, en avant poste docile de l'Otan, l'Angleterre devant représenter le porte-avions amiral ; Berlin, Bruxelles et Paris étant en faveur d'une forte autonomisation européenne sans toutefois nier la survivance de l'Otan) Comme on le voit les disputes liées à cette confusion consciemment entretenues ne se réduisent pas seulement à des questions de partage des pouvoirs ou de compétences législatives (unanimité v.s. majorité simple ou qualifiée) mais témoignent également d'une divergence réelle des modèles de société européens en cause. (voir « Tony Blair fixe les « lignes rouges » de Londres sur le projet de Constitution de l'Union élargie » in www.lemonde.fr 10/09/2003) Blair exige une Europe minimale simplement parce qu'il est contre l'émergence d'une véritable Europe sociale. Blair, le New Labour ainsi que les conservateurs britanniques et leurs maîtres de la City sont contre un euro qu'ils ne contrôleraient pas;¨ils préfèrent donc pour l'heure rester en dehors de la zone euro et de sa discipline, tout en utilisant les instances de l'Europe élargie pour appuyer les directives libérales prévalent ensuite à la fois dans les deux zones. Ce qui s'appelle vouloir jouer sur les deux tableaux à la fois, une coutume britannique bien développée, pour tout dire quasi invariable. Souvenons-nous de la zone de libre-échange opposé au marché commun. Souvenons-nous aussi, de Gaulle en avait alors fait la preuve, que cette stratégie des deux râteliers ne fonctionne que si les autres s'imaginent faire partie du même troupeau. Autrement, la City finit par faire, avec retard, ce qu'elle s'illusionne de bien faire en temps normal, c'est-à-dire dresser des comptes qui s'équilibrent, au prix de quelques contorsions bien policées.

 

Pour la gauche, son propre modèle social et politique européen ne se retrouve pour l'heure ni dans les institutions de la zone euro, ni dans celle de l'Europe élargie. Paradoxalement pourtant elle pourrait tirer un parti extraordinaire de cette confusion et de ces divergences inter-bourgeoisies. Elle devrait pour cela continuer à investir le présent processus constitutionnel relevant de l'Europe élargie, afin d'en préserver la laïcité et de veiller scrupuleusement sur la possibilité (au minimum) de réinsérer les paramètres de l'Europe sociale dans ce texte fondamental lorsque le rapport de force nous sera plus favorable (droit au travail et au plein emploi, droits syndicaux, droits acquis à l'assurance sociale etc.) Elle doit par ailleurs avoir le bon sens de même que l'audace de s'engouffrer impétueusement dans le vide créé artificiellement dans la zone euro et, avec la collaboration de tous les groupes sociaux et syndicaux ainsi que tous les partis de gauche, élaborer préventivement un projet de Constitution pour l'Europe monétaire et sociale, donc spécifiquement pour la zone euro. Ce projet permettrait de créer un cadre opérationnel permettant de mobiliser la gauche dans cette zone euro. Les idées et les idéaux communs seraient ainsi utilement cristallisés. Le projet servirait de base électorale commune en plus des programmes nationaux ordinaires. Promesse serait faite de soumettre cette constitution de la zone euro à référendum dès l'arrivée de la gauche au pouvoir dans un Etat membre de sorte que le processus de cohésion social acquerrait une dynamique propre, par nature incrémentale, un procès donc qui une fois en marche serait difficile à stopper par la bourgeoisie ou par ses épigones médiatiques. La nouvelle constitution prévoirait d'ailleurs la mise au pas des médias bourgeois, soit en imposant des comités d'équité relatifs aux contenus au sein de chaque entreprise afin de s'assurer d'une représentation démocratique de tous les groupes de citoyens cherchant à faire valoir leurs points de vue et leurs droits, soit en ajoutant aux réseaux publics des chaînes spécifiques allouant les temps d'antenne au prorata des suffrages populaires obtenus à tous les niveaux.

L'Europe élargie ne souffrirait pas de ce renforcement de la zone euro : elle en tirerait plutôt avantage de par une réorientation plus sociale des fonds structurels qui lui sont accordés. Par le renforcement des piliers européens naturels que l'Europe aurait tort de détruire (les dynamiques naturelles des régions naturelles américaines sont intelligemment soutenues permettant ainsi de maintenir plusieurs moteurs de croissance à l'intérieur de la même formation sociale américaine, chacun ayant sa spécialité East Coast, Midwest, South and West Coast.) En Europe on imagine facilement le renforcement des piliers nordique, de l'est, des Balkans recomposés et de l'Europe de l'ancien marché commun. On aurait là un processus dialectique normal mêlant élargissement et recomposition interne. A défaut de cela, l'entrée de nouveaux candidats dans la zone euro se fera au détriment de l'Europe sociale, sans jamais parvenir à briser le piège néolibéral et intrinsèquement anti-démocratique qui vise à éparpiller les pouvoirs dans des instances supranationales échappant au contrôle populaire, des instances qui se renforcent les unes les autres pour le seul bénéfice du capital et des nouvelles « élites philosémites nietzschéennes » ayant choisi la guerre permanente comme mode de vie..

 

Quoiqu'il en soit, évitons de faire les frais de la confusion artificiellement créée par la bourgeoisie sur ses institutions européennes et sachons toujours distinguer les institutions liées à Maastricht et celles relevant de l'Europe élargie. A moins que nous ne voulions chapeauter les premières par les secondes pour le plus grand plaisir du capital européen et accessoirement mondial.

 

Avec ma solidarité,

 

Paul De Marco,

Copyright © 11/09/2003

   

XXX

 

Crise fiscale de l'Etat ou crise d'accumulation du capital ?

 

 

 

"I padroni attaccano le 35 ore" écrit ilmanifesto.it (06/09/2003) Les patrons s'en prennent aux 35 heures rendues responsables du niveau élevé du coût du travail en Allemagne. Les 35 heures, ajoute-t-on dans ce court article, sont en vigueur dans le secteur métallurgique mais seulement dans la partie Ouest du pays, les syndicats allemands ayant échoué dans leur tentative de les étendre à leurs collègues de l'Allemagne de l'Est.)

 

Ce court article du Manifesto devrait être traduit dans plusieurs langues. Toutes les cellules, toutes les sections communistes devraient l'étudier et l'analyser (en tenant compte du fait que la version de Robien de la RTT équivaut paradoxalement à celle du Patronat, à savoir l'instauration séculaire du temps partiel et de la précarité généralisée, avec toutefois une tentative de légitimation supplémentaire : cette RTT bourgeoise offerte en lieu et place d'un véritable régime de « partage du travail ».)

 

En effet, nous avons affaire à une polarisation croissante et inexorable des choix de société. Il en va de l'avenir de la gauche authentique de savoir appréhender les conséquences de cette tendance socio-économique lourde. C'est là le seul moyen susceptible de recréer les bases de son unité programmatique sans dissiper ses forces dans de vaines « querelles d'Allemands » ou des attaques mutuellement destructrices, les uns taxant les autres de « gauchisme » ou de social-libérisme, selon le cas.

 

Les faits parlent d'eux-mêmes, ils interpellent la gauche européenne et mondiale comme jamais auparavant. Si le salaire ouvrier moyen oscille autour de 10 euros en Allemagne, il n'est que de 3 euros environ en Slovaquie, cette différence constituant la cause immédiate sous-jacente de la défaite syndicale en Allemagne de l'Est du fait de la structure européenne actuelle et de la forte dispersion syndicale à ce niveau. Or, ce salaire oscille autour de 1 euro dans une large partie de l'Asie et de l'Amérique latine; il est encore inférieur à ce niveau pourtant dérisoire en Afrique.

 

On comprend dès lors la stratégie du patronat allemand : tout en continuant à multinationaliser ses activités, il veut pouvoir continuer à tabler sur les avantages historiques acquis par la localisation industrielle et post-industrielle dans les régions motrices allemandes. (Marshall, Lipietz et al) Pour ce faire, il doit harmoniser les salaires européens vers le bas. Du fait de l'accroissement continuel de la productivité, cette baisse générale des salaires ne permettra pas d'absorber des franges croissantes de force de travail sans emploi, de sorte que le patronat est contraint de généraliser le temps partiel ainsi que la prise en charge de la précarité par la destruction des filets sociaux de l'Etat-providence et par le remplacement des acquis sociaux et des systèmes d'assurances chers au modèle rhénan par l'assistance sociale et par le caritatif. Il est clair, en effet, que ce changement dans la composition de la force de travail détruit irrémédiablement, par le fait même, le régime fiscal qui soutenait le mode de régulation économique et de redistribution sociale entériné par ce « modèle » rhénan. A ce prix, le « miracle » social-libériste sera accompli qui conjugue une croissance continue du PIB et de la « productivité » (1) avec un accroissement des disparités sociales et régionales et avec la création d'un tiers et d'un quart monde au sein même des pays nantis, le tout étant dûment sanctionné par des statistiques officielles montrant un taux de chômage généralement mais fallacieusement en baisse. (2)

 

Le gouvernement Raffarin ne fait pas autrement que le Patronat allemand ou que le Président Bush, avec toutefois un surplus de cartésianisme au niveau fiscal. Les exonérations fiscales (3) sensées soutenir ou créer de l'emploi sont loin de compenser la précarisation et la paupérisation croissante de catégories entières de travailleurs. Comme partout ailleurs, elles ne font qu'accompagner politiquement le transfert d'une part accrue de la valeur ajoutée (Passet) à la bourgeoise.  

 

La crise fiscale de l'Etat n'est pas une tendance inéluctable imposée par l'histoire, mais bien une invention des bourgeoisies occidentales ayant pour objet la déconstruction systématique de l'Etat social moderne dans l'espoir de faire reculer les barrières à l'accumulation du capital imposées par la surproduction et la sous-consommation chroniques. La remise en cause radicale des biens et des services publics ainsi que de l'agriculture traditionnelle par le biais de l'OMC relève de la même logique qui, du point de vue intéressé du Capital, apparaît comme une « destruction créatrice ». Angela Pascucci résume en deux phrases bien senties : « D'autre part, écrit-elle, la santé représente un marché de 3.500 milliards de dollars par an, l'éducation en vaut 2.000, l'eau, selon certains calculs, près de mille. La gratuité, quel gaspillage » conclut-elle. (4) On assiste ici à une vaste braderie des richesses collectives ainsi qu'à un colossal transfert de ces richesses à la bourgeoisie.

 

Le sionisme de droite (6) concrétisé par un unilatéralisme israélo-américain faisant fi de la Charte de l'Onu ainsi que de toutes les lois internationales et de bon sens connues, complète ce triste tableau par une « nouvelle alliance » du sabre, du goupillon et du fanatisme messianique le plus raciste comme le plus crapuleux. Dans un accès d'exclusivisme exacerbé, on nous propose d'établir par la guerre préventive ou ouverte un Empire mondial doté d'une théocratie adaptée qui promet de transmuter le particulier ethnique en universel humain et de contrôler tous les flux de communication nécessaires à l'établissement de cette ingénierie sociale vouée au retour des « castes » et de l'esclavage moderne.  

 

Les Partis communistes, en tout premier lieu le PCF et Rifondazione comunista, devraient rapidement prendre la mesure de cette polarisation inexorable touchant aujourd'hui tant les ouvriers traditionnels que ceux employés dans le secteur culturel ou ceux qui subissent le joug du capital-savoir.

 

On sait qu'il est parfaitement possible de préserver la « productivité » sectorielle ou générale en agissant sur le coût des éléments composant la « structure de v » ( nourriture, vêtements, santé, logement, éducation, transport, loisirs.) Ceci reviendrait à approfondir l'Etat social moderne, plutôt qu'à le déconstruire, en renforçant le rôle de la redistribution sociale dans le maintien du pouvoir d'achat des travailleurs. Autrement dit, on privilégierait la part du revenu net sur le salaire individuel. Au niveau du procès de production et de la reproduction élargie ceci reviendrait à comprendre que la « productivité » individuelle, pas plus que n'importe quel graphique d'offre et de demande (pace Marshall) ne s'établit en dehors du cycle complet de la reproduction (ce que Marx avait déjà noté dans Les manuscrits parisiens de 1844, et que Sraffa s'était attaché à re-démontrer organiquement dans ses deux fameux articles datant des années vingt.) Il en va de même pour le concept bourgeois très flou de « croissance ». De notre point de vue cela veut dire que la « productivité » individuelle dépend étroitement de la conception de « plus-value sociale » adoptée en période de transition vers une société capitaliste de plus en plus avancée. C'est bien entendu aussi le cas en régime socialiste, à cela près que la collectivité dans son ensemble (par le biais de la forme d'Etat adoptée) dispose librement de toute la plus-value sociale et de tous les moyens de production, levant ainsi potentiellement les contradictions opposant une production sociale captée par une accumulation privée qui, du coup, impose ses propres objectifs privés à l'Etat. (Voir à ce sujet mes commentaires sur le socialisme cubain dans Pour Marx, contre le nihilisme dans la section Livres (gratuits), http://lacommune1871.tripod.com.) Seule une appréhension critique de la plus-value sociale comme surdétermination de la « productivité » individuelle et de la « croissance » générale peut lever la contradiction intime du keynésianisme et mener à un mode de régulation économique avancé compatible avec l'approfondissement de l'Etat social. Keynes, via Sraffa, avait su tirer un bon parti des cycles M-A-M' et A-P-A' de Marx, pour en déduire la nécessité de l'interventionnisme d'Etat afin de sauver le capitalisme de lui-même. Mais Keynes restait idéologiquement aveugle au fait que ces cycles, propres à la reproduction élargie, allaient inévitablement opposer l'Etat et les agents sociaux (agissant comme « contrepoids » selon la théorie de John Galbraith) aux possesseurs de capitaux dans la tâche consistant à définir les objectifs socio-économiques à atteindre pour conserver la stabilité d'ensemble et la croissance du système. Contrairement à ces « élèves » plus ou moins « bâtards » qui s'enticheront de « dynamiser » le système après l'affrontement Keynes/White lors de la création du FMI et de la Banque mondiale, Keynes n'était pas aveugle sur les distorsions fatales qu'une société ouverte mais économiquement très asymétrique ne manquerait pas de faire subir à l'action du multiplicateur interne (critique fallacieuse donc de Milton Friedman s'adressant aux keynésiens plus qu'à Keynes). Par conséquent, il n'ignorait rien des déséquilibres extérieurs qui ne manqueraient pas d'affecter les Etats régis par le système de Bretton Woods lequel entérina, en fait le système américain de White. (Ce système connut ses premiers ratés dès le départ avec la dévaluation forcée de la livre sterling voulu par les USA pour affaiblir encore le Commonwealth avec ses tarifs impériaux alliés au rôle indépendant de la City. Ratés qui allaient se perpétuer en série par la suite jusqu'au Sommet de la Jamaïque de 1976 qui marque le décrochage officiel du dollar avec l'or, un décrochage opéré de facto par Nixon en août 1971 du fait de l'aggravation des déficits extérieurs dus en partie aux coûts faramineux de la guerre du Vietnam ainsi qu'à l'extrême expansion de l'Empire américain (selon Harry Magdoff et Paul Sweezy qui demeurent d'une lecture toujours instructive.)

 

Le régime monétaire en vigueur internationalement n'est donc pas neutre : Oscar Lafontaine avait raison de vouloir créer un système de coordination international entre les principales zones monétaires (dollar, euro, yuan et yen) afin d'assurer la stabilité des taux de change, par conséquent aussi la primauté de l'économie réelle sur l'économie spéculative. De la même manière gardent toute leur importance les outils traditionnels (subventions, barrières tarifaires et non-tarifaires classiques etc.) ainsi que nouveaux instruments du type principe de précaution, exception culturelle et charte de l'environnement, à quoi devrait se rajouter le respect des normes de travail entérinées par l'OIT etc. Il reste que tout approfondissement de l'Etat social moderne, tout régime de régulation reposant sur une conception finalement claire du rôle de la plus-value sociale exige un régime fiscal adapté. Ce régime fiscal exige lui-même une conception avancée de la RTT comme partage du travail. Il est aisé de comprendre que ce régime fiscal est aux antipodes de celui choisi par le Patronat.

 

La polarisation socio-économique en cours met en jeu avec une acuité de plus en plus évidente les promesses de la citoyenneté républicaine. Le développement démocratique de cette citoyenneté implique que les objectifs socio-économiques soient définis par l'ensemble de la société par le biais de l'action conjointe de la majorité gouvernementale, de la minorité élue ainsi que de l'ensemble des agents et des mouvements sociaux, chacun jouant son rôle respectif. A défaut de cela, nous subirons les effets d'une citoyenneté censitaire au service des seuls possesseurs des moyens de production qui auront vite fait de concevoir le gouvernement et l'Etat comme leur chose à eux, sinon leur « quartier général ». Encore serons-nous chanceux si le biais philosémite nietzschéen de ce « retour » sera contenu dans des limites compatibles avec le bon goût, en général réfractaire aux crapules et aux racistes exclusivistes s'affirmant comme tels avec un « culot » si peu justifié par l'histoire. Des speudo-élites si peu dignes du terme qu'elles n'ont de cesse de traiter les prolétaires, de qui pourtant elles vivent, de « mufles », croyant ainsi faire illusion sur eux-mêmes.

 

Prenons garde néanmoins d'un « retour » malencontreux d'un bernsteinisme apprêté à la sauce de Carl Schmitt ! La bourgeoise occidentale, en mettant en place le plus vaste système d'embargo et la plus dévastatrice course aux armements destinée à essouffler le bloc communiste, mit idéologiquement sa « victoire » momentanée au compte des aspirations d'une classe moyenne s'affirmant partout comme « cols blancs » aisément mis en contradiction avec la classe ouvrière traditionnelle. On fit besogneusement mine d'ignorer que la paupérisation de cette classe moyenne fit le lit du fascisme et du nazisme. La question se repose aujourd'hui dans des termes à la fois semblables et différents. Avec près de la moitié du prolétariat occidental exclu du paiement du cens moderne donnant droit à une pleine citoyenneté qu'est l'impôt sur le revenu, il est clair que la bourgeoise a tablé sur une démocratie censitaire au service de ce que John Galbraith appela les « self-contented classes ». La fiscalité régressive alliée à la dé-légitimation des syndicats (Reagan contre les contrôleurs aériens, ou encore Thatcher contre les dockers et les mineurs anglais), le mode de scrutin électoral, le financement des partis politiques induisant l'abstention et la perte de facto de la franchise électorale, de même que le contrôle absolu des médias constituaient le coeur de cette stratégie reaganienne. Elle est aujourd'hui complémentée par le retour à la théocratie, la culpabilisation forcée faisant d'une Shoah amnésique le nouveau péché originel à expier en perpétuité, et la sélection au « mérite nietzschéen » nécessaire au rétablissement en douceur des castes. Et par les diverses dictatures liberticides de la bourgeoise, du type  « Homeland security », destinées à contrôler les nouvelles classes dangereuses et à garder la nouvelle domesticité dans la peur et la psychose permanente aussi bien au plan national que mondial. La politique pro-suffisance bourgeoise et petite-bourgeoise n'est que la matrice d'une démocratie archaïque de castes en rapide gestation. Aucune version de cette stratégie ne peut être compatible avec les objectifs d'une gauche authentique.(6)

 

Cette gauche a donc la responsabilité de repenser à fond les stratégies nécessaires pour atteindre ses objectifs de toujours quand bien même se serait sous d'autres formes. Le rétablissement d'une fiscalité progressive compatible avec l'approfondissement de l'Etat social hérité des luttes populaires et de la Résistance ne sera qu'un voeu pieux tant et aussi longtemps que l'on aura pas réhabilité aux yeux de la population la part du revenu net différente de celle du salaire capitaliste individuel, par conséquent tant que l'on n'aura pas pris tous les moyens pour créer les bases de son émergence. Voici une liste partielle des nouveaux outils nécessaires pour atteindre ce but. Elle constitue une invitation à tous les camarades à réfléchir individuellement, de manière critique, puisque de la résultante de toutes ces propositions mûrement réfléchies doit émerger les linéaments théoriques et programmatiques des nouvelles alliances de classes ouvrant la voie vers la restitution du pouvoir d'Etat à la majorité de la population.

 

1)      Refondation des systèmes statistiques rendus finalement compatibles avec les critères individuels et collectifs d'une Reproduction Elargie respectant les voeux de la majorité des élu-e-s et de la population. Ceci est nécessaire pour relativiser les performances trompeuses des pays leaders du néolibéralisme (USA, GB, Pays Bas). Avant tout, ceci est nécessaire pour remettre les dynamiques de la planification et des interventions d'Etat sur la bonne voie.

 

2)      Rétablissement des 35 h. strictes avec limitations légales du volume et de la durée admissibles du temps partiel dans ce cadre.

 

3)      Socialisation maximum des éléments composant la « structure de v » ( nourriture, vêtements, santé, logement, éducation, transport, loisirs.) en favorisant l'accès égalitaire et gratuit (i.e. payé collectivement) le plus rapide possible aux produits nouveaux d'une qualité ou d'une efficacité supérieures à celle des produits existants. Cette socialisation favorise la « productivité » économique réelle: mon exemple favori demeure les 9 à 10 % du PIB dépensé en Europe pour la santé (et donc le renouvellement de la force de travail) par rapport aux 15 à 16 % du PIB gaspillé aux USA pour un système privé faisant quelque 40 millions d'exclus !

 

4)      Mise en place d'une politique monétaire compatible avec « l'équilibre-valeur » tel qu'il se dégage des formations sociales nationales et régionales. Au niveau international cela impliquerait une coordination des taux de change des principales monnaies de réserve ou susceptibles de le devenir. Pour la zone euro, cela suppose le respect transitoire des critères de Maastricht sans toutefois confondre les 3% d'inflation tolérés avec le 1 ou 0 % recherché de manière suicidaire. En fait, 3 % d'inflation serait compatible avec l'équilibre valeur, c'est-à-dire avec un plein emploi keynésien classique n'excluant que le chômage frictionnel. Par contre, les banques centrales nationales devraient recevoir le mandat de faire respecter des Ratios Cooke (ou MacDonough) spécifiques pour chaque pays membre afin d'atteindre les taux d'intérêts fixés centralement par la BCE avec un minimum de distorsion dans chaque pays membre. Le respect de tous les critères de Maastricht durant toute la période pré-équilibre valeur s'impose par le fait que le prolétariat en a déjà payé le coût, de sorte que tout écart par rapport à ces critères se traduit immanquablement par un transfert éhonté des richesses collectives à la bourgeoise ainsi que le démontrent les politiques fiscales allemandes et françaises. (Dans ce dernier cas, le déficit budgétaire de 4 % plutôt que de 3 % se traduit immédiatement par le transfert rapide de quelque 7 milliards d'euros au patronat français alors que l'économie souffre d'une surcapacité chronique, que les investissements français à l'extérieur atteignent des taux records et que le taux de chômage, de précarisation et de pauvreté ne cesse d'augmenter au rythme de plans sociaux tombant en cascade.) En outre, la bourgeoisie sait qu'en aggravant les déficits et la dette nationale aujourd'hui, elle grève par avance tout programme de redistribution sociale susceptible d'être adopté par une gauche gagnant les prochaines élections ! Les politiques de la gauche ne peuvent avoir vocation de servir la bourgeoise nationale et internationale avant toute autre chose. La gauche ferait donc bien de notifier les électeurs ainsi que le patronat que tout accroissement des déficits et de la dette au-delà des critères de Maastricht seront nécessairement repayés par un impôt de solidarité nationale sur les hauts revenus, les grandes fortunes et les gains de capitaux, particulièrement les gains spéculatifs.

 

5)      Création d'une banque européenne de développement à vocation strictement contre-cyclique en direction des investissements en biens de capital (y compris par le biais de grands travaux infrastructurels, selon les anciennes prescriptions de M. Delors.) A cet effet, une petite partie des réserves en or de la BCE pourraient être monétisée sans danger inflationniste du fait de l'emploi décuplé des fonds disponibles par le Ratio Cooke octroyé à cette banque dans des activités strictement productives (emploi décuplé au minimum par dix, compte tenu des provisionnements pour risques en sus des garanties étatiques usuelles dans ces cas). Cette même banque pourrait aussi chapeauter la mise en place de consortiums voués à la réalisation de grands travaux infrastructurels donnant lieu à des opérations de  SWAPs (dettes d'Etat contre actions). Ces SWAPs, plus productifs que les piètres rééchelonnements destructeurs négociés sous les bons offices du FMI, permettraient de relancer une croissance véritable tout en réduisant la dette des pays les plus endettés de la zone euro. Les gains réalisés grâce à ces opérations sur le service de la dette seraient alors alloués d'office au maintien et à l'extension des filets sociaux. Les entreprises publiques devaient elles-aussi être astreintes à une planification contre-cyclique en tenant compte de leur  nécessaire expansion régionale et mondiale. Cette banque de développement appuierait également la réorganisation des fonds structurels européens, de sorte que les 4 piliers européens naturels, niés par la démarche constitutionnelle issue d'un élargissement précipité, puissent opérer à un niveau économique sous-jacent de manière à accélérer la mise à niveau des différentes zones concernées, sans nuire aux droits sociaux et syndicaux des zones les plus développées.

 

6)      Le système de planification indicative et incitative doit être renforcé. Il devrait inclure le rétablissement de la loi de modernisation sociale ainsi que de la loi Hue et adopter des normes nationales (limites supérieures très basses du seuil de contrôle des entreprises nationales par le biais de l'investissement étranger direct ou du capital portefeuille, taxation des gains de capitaux, exonérations fiscales strictement liées à l'emploi et aux 35 h., respect du principe de précaution et de l'exception culturelle, respect de l'environnement et des terroirs, etc.) ces normes étant déclinées selon des critères relevant de la cohérence industrielle et économique, de la préservation d'un seuil minimal d'emploi par secteur (garantissant le cas échéant des restructurations en douceur). Selon les besoins en investissement ou en importation de technologies de pointe d'origine étrangères, lorsque ceci s'avère nationalement ou sectoriellement profitable, à ces normes s'ajouteraient des frais administratifs, voire des taux de taxation différents. Nous aurions là une ébauche de la régulation internationale par des Seuils Tobin allant de pair avec une régulation économique par le partage du travail. D'une manière ou d'une autre la gauche devra relier institutionnellement les dynamiques présidant à son insertion régionale et mondiale au maintien du plein emploi keynésien. Le cas de la régression suédoise démontre que le régime de formation et de réinsertion de la main-d'oeuvre le plus évolué en société capitaliste ne suffit pas à la tâche socio-économique, loin de là, bien que son potentiel de légitimation soit indispensable. En l'état, l'OMC ne peut pas faire l'affaire quand bien même certains auraient l'illusion qu'il favorise les pays riches et donc l'Europe de part leurs accumulations respectives de richesses et de savoir-faire capitaliste, de sorte qu'il faudrait seulement se préoccuper de rester dans le peloton de tête et de redistribuer, à terme, les coûts accumulés du chômage et de l'assistance sociale vers un nouveau régime de RTT mou, dans un continuel travail de Sisyphe réformiste-pompier (oserais-je dire à la Rocard tout en reconnaissant le rôle éminent de M. Michel Rocard dans la conception des 35 h. appliquées avec des résultats enviables par la gauche plurielle.) Au minimum la gauche authentique devra rompre définitivement avec le paradigme de l'équilibre économique bourgeois qui est toujours (et par définition ) atteint sur le dos de l'ajustement du « travail » conçu comme un simple « facteur de production » parmi d'autres, c'est-à-dire comme donnée économique formalisée hors de tout contexte social ou simplement humain (« desembedded » disait Karl Polanyi dans une bonne intuition restée sans résultats théoriques/pratiques cohérents malgré de vagues réminiscences du Cercle Petöfi)

 

7)      La mise en place de Fonds ouvriers gérés par les syndicats grâce à une véritable réforme des régimes de retraite existants, qu'ils relèvent du régime général de répartition ou des régimes privés par capitalisation ou encore des régimes spéciaux. Compte tenu du délai appréciable avant d'avoir à affronter les pressions démographiques les plus fortes, compte tenu aussi de l'ampleur du fonds de réserve existant (créé par Monsieur Jospin) et de sa possible monté en puissance, il serait possible de doter rapidement la France (et par émulation tous les pays européens) d'un système de répartition élargi décalé d'au moins une année et géré par ces Fonds ouvriers. Ceci doterait la France d'une épargne nationale pouvant rivaliser avec les fonds mutuels anglo-saxons. C'est le moyen le plus approprié pour la gauche de canaliser l'épargne nationale en fonction d'objectifs vitaux tels le maintien de l'emploi, le maintien de la cohérence économique interne et la maximisation du contrôle national, ainsi que la maximisation des effets des multiplicateurs sectoriels, l'assistance à la restructuration économique des entreprises dans le respect de la compétitivité nationale et de l'emploi, sans pour autant négliger l'assistance à l'expansion régionale et internationale des entreprises nationales publiques et privées.              

 

 

J''ai bien peur cependant qu'une partie de la gauche sombrera sur la question de l'exclusivisme qui constitue pourtant une attaque frontale à son principe premier, l'égalité intrinsèque entre tous les êtres humains, de la même manière qu'elle sombra jadis sur la question de la solidarité nationale ou internationale du prolétariat face à la guerre mondiale intra-impérialiste. Ou plus exactement de certains dirigeants renégats face à la guerre. Faut-il de nouveau payer ce prix pour séparer le bon grain de l'ivraie dans la gauche authentique, ou plutôt pour pouvoir enfin revendiquer ouvertement le principe selon lequel chaque être humain, quel qu'il soit, doit être responsable du destin de son prochain ? Un socialisme composant avec l'idée de l'élection divine d'un sous-groupe ethnique ne peut être qu'un socialisme brun. (7) Toutes ses manifestations, même les plus insidieuses, doivent être rejetées, elles doivent être boycottées avec la plus grande fermeté puisqu'elles sont, par nature, diamétralement antithétiques à toute gauche respectable. La gauche ne dispose pas, sans trahir sa mission historique, de la même latitude qu'une certaine droite européenne. Celle-ci sait jouer de l'ONU lorsqu'il s'agit de défendre ses prérogatives ou de transformer le Conseil de sécurité en « directoire » multinational de la bourgeoisie inter-impérialiste résistant aux prétentions super-impérialistes (Hilferding, Lénine) et exclusivistes des USA et d'Israël. Mais elle sait aussi fermer pieusement ses yeux, tout aussi ésotériques et messianiques que ceux des nouveaux « maîtres du monde » autoproclamés, lorsqu'il s'agirait de suspendre sans tergiverser les 3 milliards de dollars d'aide que reçoivent les assassins judéo-fascistes qui perpétuent leurs crimes crapuleux en série contre le peuple palestinien et à travers lui contre l'esprit humain.

 

Paul De Marco

Copyright © 07/09/2003          

 

NOTES:

 

1)       On se souviendra de l'exemple illustrant l'accroissement du PIB par le biais d'une intensification des embouteillages urbains entraînant une plus forte consommation d'essence, proposé par Guillaume dans son Anti-économique. Les statistiques américaines actuelles faisant état d'une hausse de la « productivité » allant de pair avec une diminution des outputs et avec une hausse du taux de chômage sont aussi parlantes: elles montrent l'inanité de la science économique bourgeoise ainsi que le parti pris de classe de la plupart de ses porte-parole académiques et patronaux. Quant à la croissance réelle US que serait-elle sans le « gaspillage » fiscal et sans l'accroissement phénoménal des dépenses militaires, des déficits budgétaires et de la dette nationale ?  

 

2)       Il convient de rappeler encore et encore les mirages produits par les statistiques officielles sur l'emploi dès lors que le travail d'une heure ou d'un jour dans la dernière semaine suffit pour considérer qu'une personne est employée alors que l'on fait l'impasse sur les personnes découragées par les tracasseries administratives (ou sur la progression vers un workfare de type anglo-saxon) qui sortent totalement du champ de vision statistique bourgeois. (Ajout tiré de l' "exemple" italien: mises à part toutes ses avanies habituelles, dénoncées dans les Note* et Note ** de mon Keynésianisme, Marxisme, Stabilité Economique et Croissance - section Livres de ce site) le taux de chômage officiel - quelque soit sa définition par ailleurs- fait toujours fi du pourcentage de la force de travail active; ainsi l'Italie affiche un taux de chômage officiel irréel oscillant autour de 8 % alors que seul 59 % de la force de travail active est effectivement au travail, même partiel ou ultra-précarisé; or, la moyenne européenne est autour de 67%. Ces mirages bourgeois-marginalistes se passent de tout commentaire.)  

 

3)       Connues sous le terme de « tax expenditures » dans le monde anglo-saxon, à leur paroxysme elles constituent le pendant obligé de la marche vers un régime de « flat taxe » et de précarisation du travail préconisé par le néo-libéralisme. J'ai déjà souligné que ces exonérations devenaient rapidement contre-productives. Le Conseil des impôts ne dit pas autre chose selon le résumé fourni par l'article « Le conseil des impôts juge la politique d'exonérations « mal maîtrisée » et d'une efficacité « incertaine » » in lemonde.fr, 04/09/03. Voir aussi l'article « Une nouvelle réduction chiffrée à 3,9 milliards d'euros » in lemonde.fr, 04/09/03.  

 

4)       Angela Pascucci, « All'anima del commercio » in ilmanifesto.it, 26/08/2003 (c'est moi qui traduit)

 

5)    Il importe de distinguer sionisme et sionisme de droite. Le premier est compatible avec le respect de la loi internationale et des Résolutions de l'ONU, en particulier les Résolutions 242 et 338. Il fut d'ailleurs accepté par l'OLP sous réserve du respect de ces résolutions, donc du principe échange de la paix contre tous les territoires occupés depuis juin 1967. Le sionisme de droite n'est qu'une nouvelle peste brune philosémite. De loin pire qu'une quelconque mafia luckylucianesque. On aurait tort de penser qu'il est possible de composer avec lui. Car ses prétentions ne se bornent pas seulement à la volonté de destruction de Haram al-Sharif, troisième lieu saint musulman, pour construire un temple de Salomon illégitime, ni à la politique d'occupation militaire des terres palestiniennes en vue de créer un Grand Israël, ni même au traitement infra-humain, assassinats ciblés à l'appui, des opposants politiques : ce qui est visé avec un unilatéralisme de « bête féroce » ce n'est rien d'autre que la vision néo-nietzschéenne de l'ensemble du globe comme une vaste Palestine dans laquelle une infime minorité aurait tous les droits et tous les pouvoirs, de part une surreprésentation insultante agissant comme un nouveau haut clergé ultramontain (Une surreprésentation d'autant plus insultante que par l'oeuvre de certains grands rabbins interposés, cette minorité distingue encore en secret sur son propre état civil un exclusivisme inter-juif.) Or, les messianiques chrétiens sont tout aussi fanatiques, de sorte qu'il y a de fortes chances qu'ils aient plus de latitude guerrière pour accomplir les propres « prophéties » visant la conversion ou l'extinction finale des « juifs »,  que les « juifs » en ont eux-mêmes pour réaliser les leurs, malgré l'illusion dangereuse procurée par un arsenal nucléaire, vulnérable et déjà à moitié obsolète. La logique de l'exclusivisme est forcément celle de la guerre et de la force brute. Le philosémitisme nietzschéen se mue immanquablement en « arianisme » quelconque. C'est là la grande leçon de la Déportation et de la Résistance au fascisme et au nazisme. Le reste est franchement aussi grotesque et contradictoire (du point de vue nietzschéen) que le catéchisme culpabilisant d'une Shoah amnésique et marchandisée.

 

6)       En gardant en mémoire le fait que tout instrument de ce type atteint rapidement des rendements décroissants et que le partage du travail ne constitue pas à lui seul la panacée universelle, il est bon de rappeler que les exonérations d'impôts du gouvernement Jospin avaient un objectif fondamentalement opposé à ce qui se pratique aujourd'hui. Son heure de vérité serait arrivée en terme de contrôle du volume et de la durée du temps partiel toléré dans le cadre des 35 h, donc du volume de contributions sociales disponibles à l'Etat. Il est, par conséquent, inutile de spéculer sur l'accusation de « social-libérisme » portée contre le Premier Ministre Jospin lui-même par de pseudo-maximalistes changeant d'avis selon les régimes mais en fonction d'un objectif qui reste toujours fidèle à lui-même. En réalité, une victoire présidentielle aurait donné à la gauche des instruments dont elle ne dispose pas autrement du fait de sa faible cohésion européenne.  

 

7)       Jabotinski et le père de Netannyahou représentent la peste brune alors qu'un Rosenberg hitlérien représente la peste noire. Cette pathologie de l'esprit peut malheureusement être transversale, ce que nous avions du mal à imaginer avant l'arrivée au pouvoir du criminel de guerre Sharon. Aujourd'hui, lorsque de prétendus socialistes font consciemment ou inconsciemment, selon le cas, les oeuvres des divers Foccart ou des diverses Albright, lorsqu'ils participent à la mise en place d'une « ingérence humanitaire » calculée pour son potentiel de choc anticommuniste ou pro-empire judéo-chrétien (sic !) mais se traduisant par la déportation molle, mais néanmoins réelle, de milliers de gens sous leurs yeux de « responsables », on est en droit d'exiger un respect des principes ainsi que des statuts des partis concernés. Ces gens-là ont probablement droit à leurs idées sans qu'on les accuse « d'autorité » de commettre une « faute » contre un quelconque droit divin : mais, qu'au moins, ils les fassent valoir selon leurs propres forces intellectuelles et politiques, sans phagocyter des individus, des partis et des mouvements desquels, honnêtement, ils ne partagent ni les principes, ni les objectifs minimums fondamentaux. Car il ne s'agit pas là d'interprétation tendancieuse mais de faits patents qui ont le potentiel de porter la gauche à sa ruine

 

 

 

 

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