Le lit du néo-fascisme (suite et fin)
Pourtant une approche marxiste critique enseignerait à tous les orthodoxes de quelque confession qu'ils soient et en particulier aux orthodoxes Juifs américains trop près du pouvoir impérial US qu'ils risquent un réveil brutal: la majorité confessionnelle dans un pays donné s'appuie toujours sur les minorités religieuses pour faire prévaloir des privilèges au nom de la multiconfessionnalité contre l'Etat séculier. Ce travail accompli, elle se comporte alors comme une majorité dominante, et ne rencontrant plus d'autre résistance majoritaire organisée par l'Etat elle devient libre d'interpréter la confessionnalité d'une manière moins neutre. Nulle part au monde, les Ratzinger de toujours n'ont remisé leurs prétentions absolutistes. Or, c'est s'illusionner que de penser pouvoir utiliser, en cette extrémité, la Charte des droits: les précédents judicieusement créés l'auront rendue inopérante. Au mieux, les minorités religieuses seront alors tolérées pour autant qu'elles ne dérangent pas. Est-ce cet avenir que l'on cherche à bâtir, au moment même où l'on ose béatifier Pie IX?
C) L'idéologie impérialiste du retour aux valeurs "morales".
Ces critiques aux fausses prétentions de la multiconfessionnalité et de la conception parallèle d'un universalisme pervers en matière d'éducation ainsi que dans tous les domaines investis par l'Etat social, valent aussi pour l'idéologie du retour aux "valeurs" qui accompagnent cette offensive réactionnaire savamment orchestrée. Au début était Samuel Huntington et la trilatérale. Hoover avait bien pris la précaution de noyer la contestation étudiante notamment à Berkeley par la jonction provoquée des Hells Angels et des manifestants et par la dissémination de la drogue sur les campus.(6) On cooptait ainsi le désir légitime d'expériences nouvelles au service du dévoiement de toute une génération de contestataires loin de la mobilisation politique et vers des paradis artificiels. La réaction à la mobilisation (draft), consécutif à l'accroissement de l'effort de guerre au Vietnam contrecarra pour un temps cette stratégie. Après 75 tout était dit: pas de Sartre américain, rien que des couleuvres poursuivant des sépulcres blanchis à moitié paranoïaques du fait de leurs expériences psychédéliques d'un ordre très différent de celles d'un Baudelaire, par exemple, et vulnérabilisées politiquement par elles. Comme Cocteau, mais sans sa perspective, cette génération soi-disant irrévérencieuse tant crainte par Samuel Huntington, appris très vite à savoir jusqu'où elle pouvait ne pas aller trop loin. Pas de Geismar ici ni de Sauvageot ni de PCF, pas d'Althusser ni de Cercle des amis de la Chine, en un mot pas de "délinquants" à l'européenne selon le "sociologue" américain S. Verba.
Le comique de cette histoire est de voir la droite américaine s'en prendre à partir de Reagan, à cette jeunesse peace and love mais largement anéantie comme bassin d'alternatives politiques viables, à l'exception de l'écologisme à la Greenpeace, simplement parce qu'elle avait refusée de s'enrôler pour le Vietnam! Quel incroyable manque de perspective sur les vraies valeurs américaines. Spielberg allait donc aisément remplacer Bob Dylan et produire des films d'une moralité exemplaire comme la liste de Schindler, cette apologie du racisme inter-élitiste donnant Schindler en exemple de l'homme juste à honorer par une inscription au musée de la Shoah à Jérusalem alors que les morts à Stalingrad sont ce qu'on voudra; un Spielberg produisant, entre autres, des films de guerre diamétralement opposés à celui de Tavernier sur la 1ère guerre mondiale où l'on serait en peine de voir la moindre goûte de sang, alors que le cinéaste américain se complaît dans une propagande de masse agrémentée d'une violence objective, documentée et morale puisque encensant le Pouvoir, celui-là même qui permet de détruire le réacteur nucléaire Osirak "no question asked". Il ne manquait plus qu'Allan Bloom pour remettre au goût du jour les préjugés de la commission des activités "un-american" sous couvert des belles valeurs morales mises en évidence dans les livres classiques; soit, en ce qui concerne les plus récents, moins Marx expédié selon la coutume en quelques paragraphes lapidaires, que les Nietzsche et Heidegger qui fascinent toujours autant ces besogneux prospecteurs de valeurs. Comment s'étonner alors de ce grotesque opéra-bouffe de l'affaire Monica Lewinsky-Clinton, dont l'intérêt principal ne réside pas dans le spectacle désolant de mauvais goût mais dans sa production et sa distribution gérées par les mêmes forces morales conservatrices qui produisent à la fois les acteurs principaux, les figurants, les cinéastes patentés, les juges et jurys et bien sûr les coeurs de pleureurs! De la génération de Clinton, les meilleurs, ces Malcom X et Martin Luther-King restés dans l'ombre, furent "busted" par tous les moyens y compris les plus répugnants; les autres, plus connectés ou déconnectés selon les heures, après avoir su éviter le Vietnam sans traverser la frontière nord comme le firent courageusement plus de 60 000 jeunes Américains, se firent un devoir de "confesser" à Bush senior et sa clique d'avoir "fumé sans avaler": cette hypocrisie liberticide, capitulation de toute une génération manipulée depuis ses couches, ouvrait la voie à la confusion des genres et à d'autres confessions d'apparat. Faute d'avoir insisté, à ce moment-là, sur la séparation de la vie privée d'adultes consentants et de leur vie publique, toute une génération de "boomers" se trouvait déresponsabilisée de nouveau et manipulée à croire que la dénonciation des frasques de l'Oval Office est plus importante pour la sauvegarde de la démocratie que la responsabilisation politique et légale des citoyens et de leurs dirigeants en ce qui concerne leurs actes publics. Car admettre la simple possibilité du parjure en matière légale revient à détruire toute possibilité de justice et de fait constitue un coup au coeur de toute démocratie. Quoiqu'il en fut, cette charade savamment montée ouvrit la voie à Albright pour le bombardement de la Yougoslavie, sans raison véritable du fait des propositions yougoslaves à Rambouillet. Espérons que la relève qui s'est vaillamment manifestée à Seattle saura éviter ce type de cooptation compromettante.
Devant cette capitulation, les émules de Huntington en profitent pour tisser les nouvelles bannières idéologiques capables de rallier les "boomers" européens plus rétifs. Marx comme chacun sait est un athée et un antisémite notoire dénoncé comme tel pour sa conception de "la question juive" -le tour de Sartre ne saurait tarder- et sa conception de la liberté de conscience en tant que réalisation accomplie de l'esprit de tolérance, balbutiant seulement avec la multiconfessionnalité. Mais faut-il pour cela prétendre, comme le croient certains, pouvoir remplacer le prolétaire de Marx par le Juif allemand parlant yiddish? Marx avait posé le prolétariat comme porteur, par excellence, du devenir humain; ne disposant pas des moyens de production, il réunit donc en lui toutes les misères mais aussi tous les espoirs de l'ENSEMBLE de l'humanité. De ce fait, sa délivrance ne peut être qu'une délivrance universelle, délivrance ne pouvant émerger que du dépassement de la condition même de prolétaire et d'exploité. Ceci est très différent de la figure mythique du Juif persécuté, mais élu; en effet, comment la délivrance de ce Juif, figure particulière, pourra-t-elle prétendre à l'universalité? On ne se pose même pas la question et l'on se contente de clichés qui occultent plus qu'ils ne clarifient. Certains donne l'Holocauste comme excuse, et sa singularité supposée absolue comme universelle: mais en quoi le SYSTÈME DE L'ESCLAVAGE systématiquement mis en place avec exploitation de la main-d'oeuvre ravalée à un état infra-humain et construction de navires négriers, d'instruments de torture, et d'une théologie appropriée, bref, de tout un mode de production social, en quoi cela serait-il moins grave? Y eut-il moins de victimes? Était-ce moins horrible? C'était plus long, bien sur! Mais si le temps devenait l'élément décisoire que faudrait-il alors en conclure? En fait, la singularité de l'Holocauste ne tient nullement comme on veut le prétendre à la destruction systématique de tout un peuple. Outre que les Gitans ont partagé cet honneur, les communistes l'ont, en grande partie, partagé aussi pour des raisons idéologiques, qui furent les véritables raisons autour desquelles la catalyse barbare fasciste/nazie s'organisa. Les esclaves amérindiens et africains, souffrirent avant tous les autres de cette systématique et meurtrière déshumanisation: leur crime n'était pas autre chose que d'être naît Amérindien ou Noir, et d'être nécessaire à la production malgré les listes Schindler. Il est temps que la gauche, y compris la gauche juive, se rende à l'évidence: les ressorts des systèmes sociaux ne sauraient reposer sur de simples techniques, y compris des techniques de dévastation et de mort, sans tenir compte des relations sociales de production. Après tout, les Anciens Romains possédaient la locomotion à vapeur mais la réservèrent aux jouets de leurs enfants plutôt qu'à leur mode de production; les Chinois disposaient de la monnaie en papier sans devoir s'encombrer du capital bancaire et du capitalisme en général.(v.Annexe) Il est dangereusement contre-productif de vouloir faire de l'Holocauste défini restrictivement le seul puits des valeurs modernes, en définissant un nouveau péché originel et ses obligations de rachat aux mains d'un nouveau clergé (impérialiste) de la culpabilité.
Pourtant à l'Université McGill, par exemple, certains, en mémoire de leurs chers, victimes du nazisme, se sont donnés comme mission de faire revivre le yiddish; ils n'ont pas eu le moindre mal à trouver tous les fonds nécessaires ni à recevoir la bienveillance de l'Université alors que l'Université York refusa récemment la permanence à un professeur palestinien qui osa timidement exprimer des doutes sur l'attitude israélienne dans le processus de paix lancée à Oslo, un sujet tout aussi digne d'analyse et d'attention. Comme il fallait s'y attendre, une fois le programme en place, il reçut d'autres impulsions, notamment celle d'une campagne qui commence à avoir des échos en Europe visant à faire du yiddish et de la culture qu'il véhicule une langue internationale emblématique de l'avenir de homme. De préférence à l'allemand de Goethe et de Heine? De qui se moque-t-on? Ceux qui croient pouvoir gagner des coeurs en Europe avec cette stratégie de substitution du prolétaire se trompent lourdement sur la signification de l'ancien slogan gauchiste soixante-huitard: "Nous sommes tous des Juifs allemands" et ils devraient vite lire Il giardino dei Finzi-Contini de Giorgio Bassani pour comprendre vraiment de quoi il retourne: ces Juifs allemands de qui nous nous réclamions sont ceux à qui Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht ou encore Einstein écrivant "Why socialism" (Monthly Review, May 1949) ont donné leur vraie voix; ceux-là même en qui tout démocrate peut identifier son propre combat pour l'égalité, la liberté, la fraternité et la dignité de tous. Dans les efforts de préservation du yiddish, on se félicitera de la conservation d'une partie du patrimoine linguistique mondial, cependant les lubies doivent être dénoncées pour ce qu'elles sont, des lubies manquant d'innocence. Force est de constater ici une dérive du particulier se donnant comme universel, quand il vaudrait de prendre la peine de reconnaître la particularité de sa forme propre. Mais si de telles idiosyncrasies sont encouragées, ne doit-on pas alors s'attendre à ce que le xhosa, le swahili, le peul, le bambara etc.... fassent aussi valoir leurs droits? Quand apprendra-t-on à entendre du bon yiddish dans tous ces langages différents? Ne retrouve-t-on pas un peu Homère dans le poème zoulou "Empereur Shaka, the Great" et la longue histoire orale qu'il transcrit? Pourrait-il y avoir un racisme par omission volontaire?
D) Valeurs égalitaires et valeurs inégalitaires
Toutes les voies ne mènent pas indifféremment à Rome. Comme si ne suffisaient pas déjà les geôles morales patiemment construites par le Vatican et par les interprétations réactionnaires qui peu ou prou concernent toutes les institutions religieuses établies, voici donc la théorie de l'Holocauste comme singularité absolue venant conforter ce néo-rigorisme et l'aider à basculer du domaine religieux au domaine politique. Par conséquent, c'est aujourd'hui un devoir impératif pour tout esprit critique d'élucider cette dérive moralisante et fascisante en remontant même de manière cursive à sa genèse historique.
Parce que Gobineau ou Houston Chamberlain semblent décidément trop grossiers -excepté lorsqu'ils sont recouverts des habits volés de la génétique moderne- la source où vont puiser tous les racismes contemporains cherchant à se dissimuler sous les dehors "respectables" de l'anti-communisme n'est autre que l'oeuvre de Nietzsche. Nietzsche est le vrai précurseur de l'inégalitarisme moderne. Toute son oeuvre vise à assassiner l'égalité et à refonder sur son cadavre les prémisses ontologiques et les pratiques systémiques de l'inégalitarisme. Avec ses saltimbanques de disciples, clairons et cymbales dignes d'un cirque légendaire wagnérien remis à la mode jusqu'en Israël, ils préfèrent s'en remettre à un surhomme plutôt que d'accepter le devenir historique: ce devenir exposé par Hegel et Marx annonçant leur mort inévitable en tant qu'êtres historiquement déterminés, bien que destinés sans doute à renaître dans une autre forme historique plus évoluée, représente l'inconvénient majeur de supprimer leurs privilèges de classe antérieurs. Si Marx a raison, il convient donc de détruire Marx. De là la haine du marxisme. Heidegger fournira la suite, ce qui explique pourquoi il se devait d'accepter la mission intellectuelle que lui confiait l'histoire par l'entremise d'Hitler: du haut de son rectorat, par une philologie bidon inspirée de maître Nietzsche, retrouver dans l'atavisme historique une filiation nouvelle qui supprimerait la conception même de l'égalité (du communisme) comme destin de l'humanité. Ce qui est extraordinaire, c'est que nombre de Juifs ainsi que tous les croyants réactionnaires aient repris en coeur cette conception nietzschéenne/heideggerienne: un fascisme théocratique mou, couvert du masque de la multiconfessionnalité, leur paraît préférable au devenir marxiste. Ainsi, réactionnaires juifs, musulmans et chrétiens pourront bien diverger sur la sacralité des lieux dits saints à Jérusalem, ils sont tous en parfait accord avec cette vision restrictive qui détruit les racines, non seulement de l'athéisme, mais aussi du libre arbitre et de l'humanisme occidental.
A l'inverse, Ernst Bloch avait brillamment montré les racines concordantes de l'égalitarisme moderne et celles présentes dans l'Ancien et le Nouveau Testaments ainsi que dans la philosophie des Lumières. Il avait déjà montré à ce sujet l'importance de Joachim de Flore. Ajoutons que l'humanisme occidental qui puise depuis la Renaissance à de nombreuses sources, puise aussi dans l'héritage de la Première Renaissance et notamment dans l'apport essentiel de Joachim de Flore: il n'est pas impossible d'affirmer que l'exposé "négatif" de la Scienza Nuova de Gianbatistta Vico (qu'il affirme avoir égaré) soit ancré dans les manuscrits de l'abbé calabrais toujours présents dans les abbayes du Sud malgré les réserves de la commission d'enquête réunie à Anagni en 1255, réserves dues surtout à l'animosité du futur évêque d'Arles, Florent. Vico n'ignorait manifestement pas la conception centrale de l'abbé concernant la concordia historique et immanente, propre à transformer pour la première fois dans l'histoire intellectuelle, la manifestation de la divinité en Ages du père, du fils ET de l'Esprit dans sa forme séculaire achevée. (Tout le contraire des réactionnaires catholiques tel Ratzinger et sa Congrégation pour la doctrine et la foi qui veulent kidnapper la figure de Jésus-Christ au profit d'une structure ecclésiale figée dans le temps et détentrice d'une vérité absolue et exclusiviste, telle que déterminée infailliblement par un pape-souverain. v. Rai, 5-09-00 concernant le document Dominus Jesus) Ces textes ou des textes se rapportant à eux circulèrent auprès des franciscains et des dominicains et auprès des artistes, parmi lesquels Dante. Vico y trouva non seulement ses Ages historiques mais surtout sa vision ethnologique et séculaire: refusant de commencer l'histoire avec l'histoire sacrée admise par la chapelle catholique contente de rejeter tous les autres dans les Limbes, il ouvrait aussi son investigation à l'époque antérieure à Jésus-Christ et, comme Joachim, y voyait des concordances bien qu'exprimant des Ages différents. Plus pessimiste que Joachim, Vico voyait néanmoins aussi le triomphe de cette marche séculaire de l'esprit dans le triomphe de la démocratie et de l'égalité.
Il y a là le coeur battant de l'humanisme occidental que, suivant Tagliacozzo, on voit battre chez Rousseau, Herder, Hegel, Marx et tous ceux qui se réclament de l'humanisme et du devenir historique. Cette conception du devenir historique transcende la multiconfessionnalité en ce qu'elle reconnaît les religions historiques comme des contenants recelant du vivant mais un vivant qu'elles emprisonnent et recelant du mort qu'elles imposent au vivant sous forme de dogmes et d'institutions dépourvues de démocratie interne: i.e. comme des moments de la réalisation de l'esprit qui restent figés et rétrogrades alors que le destin de cette réalisation consiste à s'objectiver sans arrêt dans des formes neuves. C'est pourquoi aussi, Gramsci, lecteur critique de Benedetto Croce qui à travers Fausto Nicolini connaissait son Vico, pouvait concevoir un dialogue entre athées sincères, libre penseurs et esprits religieux authentiques et non dogmatiques: au fond, ils s'abreuvaient tous aux mêmes sources humanistes.
Or, un tel dialogue n'est possible que lorsque l'on pose la libre conscience comme achèvement des revendications progressistes de la multiconfessionnalité. A l'inverse, lorsque le pape polonais, ce pur produit de l'esprit anti-communiste doctrinaire, limité, borné, superstitieux ou manipulateur ( v. secret de Fatima) qui, de plus, se veut prosélyte et croisé ou encore la plupart des grands rabbins -pour ne pas parler de certains imams- se réclament de la multiconfessionnalité comme antidote à l'athéisme et à la philosophie du doute, ils se font les chantres théocratiques nouveaux d'un racisme et d'un fascisme religieux qui s'abreuvent à Nietzsche et à Heidegger, comme ils s'abreuvent à une kabbale fantasque propre à diviser le monde entre croyants, quitte à ce que leur dieu respectif leur attribue en propre la terre promise, en bons élus qu'ils sont. Convenons-en, Nietzsche et Heidegger nous mènent à une société bourgeoise de la barbarie organisée par une volonté désespérée d'invertir le devenir historique. Pour les mêmes raisons, les religieux de tous crins veulent nous mener à la théocratie et au droit divin.
Ne nous y trompons donc pas: leur position est une condamnation à l'ostracisme et à la mort pour tout citoyen jaloux de ses droits démocratiques, y compris sa liberté de conscience. A cela, les démocraties peuvent encore répondre par l'exigence d'un respect scrupuleux des Constitutions, des lois et, ma foi, des Chartes universelles des droits et libertés qui valent bien les Commandements, tout le Lévitique, toute la shari'a et tout le fiqh de la terre en autant qu'elles prétendent en cueillir l'apport progressiste et en étendre, séculairement, l'esprit. Vico, comme Marx, est d'avis que les réponses aux problèmes posés par la lutte de classe illustrées par les réformes de Solon ou l'institution de l'office des tribuns ne sont pas moins importantes que certaines restrictions alimentaires, vestimentaires ou autres. Ces restrictions pouvaient valoir à une certaine époque mais sous couvert de moralité elles constituent souvent aujourd'hui autant de barrières au progrès social, ce moyen égalitaire nécessaire à l'épanouissement libre des esprits et à leur responsabilisation.
S'il fallait parler de valeurs, convenons qu'un aggiornamento des religions établies serait donc de mise. A défaut d'une reprise de Vatican II et de réformes religieuses concernant l'égalité des sexes, je serais d'avis pour ma part que le pouvoir politique laïque prenne ses responsabilités. Par exemple, les gens défendant le port du voile ou toute autre restriction du même genre devraient eux-mêmes s'y astreindre: ainsi, les intégristes musulmans devraient devoir porter le voile, nécessaire à leur modestie autant qu'à celle qu'ils pensent devoir imposer aux autres, dans sa forme afghane. Bien entendu, le respect des droits exigerait de recevoir l'accord préalable des personnes concernées. Pourtant, cette mesure pourrait s'appliquer d'office de manière dissuasive comme sanction en cas de sévices ou de violence selon les lois ordinaires relevant du domaine séculier. Ceci renforcerait la garantie par l'Etat des droits fondamentaux y compris ceux des enfants, en Occident pour le moins, disposant de la sorte des plus odieuses formes d'un patriarcat dépassé.
Le discours sur les valeurs revient à une lutte idéologique visant à faire passer des croyances de classe pour le bon sens, c'est-à-dire une lutte pour l'hégémonie. C'est de bonne guerre tant que cela se déroule dans le respect des lois et des droits conférés par la Constitution et généralement tant que cela respecte le droit des autres à adopter des croyances différentes. Pour ne donner qu'un seul exemple, dans les années 50/60, en Europe, la gauche jouissait d'une certaine hégémonie intellectuelle qui mena à Vatican II: si la fréquentation des églises était délaissée personne à gauche n'aurait voulu empêcher cette fréquentation par la force. Même l'Union soviétique ne s'y prit pas de cette façon, bien qu'elle alla très loin dans la distinction des domaines religieux et politiques. Pour leur part, les membres du clergé les plus habiles et les plus sincères espéraient compenser "qualitativement" ce qu'ils avaient perdu "quantitativement": pour cela, l'aggiornamento s'imposait. On sait que Paul VI n'avait pas tardé à y mettre fin.
E) Stratégies de déconstruction réactionnaires
Pour les réactionnaires de tous bords, le discours sur les valeurs n'est pas conçu comme un discours libérateur. Au contraire, il constitue le moyen privilégié de confondre domaines privé et public et c'est pourquoi ils choisissent en premier lieu de s'attaquer aux cas limites et marginaux qui permettent ensuite d'ouvrir le débat parlementaire et de renverser tous les progrès légaux accomplis jusqu'ici: une attaque de front se heurtant au bon sens antérieur qui soutint la législation, il convient donc d'abord de déconstruire puis de recréer un "bon sens" alternatif. Le coût de la généralisation de l'utilisation des techniques médicales de pointe devient-il prohibitif pour la bourgeoisie au moment où le vieillissement de la population atteint des proportions inédites? Et voici que les discours patentés couverts par le masque grimaçant, sous le fard, de la "mort dans la dignité", euphémisme pour l'euthanasie, vient remplacer le respect du droit à la vie: la pratique de "l'accompagnement", pratique au départ humaniste, y perd son latin et ses lettres de noblesse. Pense-t-on remettre en cause le système de soutien social qui coûte trop d'argent à l'Etat? Pour cela il faudrait pouvoir, comme dans l'après-guerre, renvoyer de nouveau les femmes au foyer. Cependant, cette stratégie à l'emporte-pièce ne pouvant plus s'appliquer telle quelle, il convient, au préalable, d'infléchir un féminisme américain très militant sur cette question particulière, bien que peu progressiste sur presque tout le reste. On féminisera alors les titres et les salaires sous prétexte d'appliquer le principe "à travail égal, salaire égal" et l'on dualisera encore la force de travail (permanents vs part-timers) par l'extension du rôle des agences d'emplois, cette nouvelle parade anti-syndicale. La charge égalitariste du féminisme sera alors remplacée par l'adoption par tous, hommes et femmes, de valeurs conservatrices néolibérales où la survie remplacera la solidarité. Les mères célibataires, particulièrement les Noires, sont-elles, non seulement fortement représentées dans les statistiques sur la pauvreté mais surtout pèsent-elles trop lourdement sur le budget "welfare"? Et voilà tout le débat sur la trop grande promiscuité, la contraception et les valeurs familiales bien lancées; pendant ce temps ces mêmes réformateurs zélés remettent en cause le libre choix en matière d'avortement, s'efforçant ainsi de créer une situation de contrôle absolu des classes exploitées. Pour faire bonne mesure, en mettant les célibataires aptes au travail dans l'équation, on remplacera le "welfare" par le "workfare" en dépit de la liberté tant vantée des facteurs de production et en dépit des règles du BIT. Nous obtenons ainsi le plus sûr moyen de garantir la productivité du capital américain par "un retour de techniques" (Sraffa) dépassées mais profitables grâce à la création de ces "working poor" venant flanquer plusieurs millions d'illégaux. Un moyen indéniable de disposer de la culture de dépendance des classes laborieuses! Quant aux marginaux et protestataires, voici que la guerre contre la drogue -qui là aussi pénalise de préférence les Noirs- sert à écarter ceux, parmi les "boomers", qui seraient encore tentés de modifier quelque peu les bases du système, tout en prenant bien soin de fumer sans avaler pour conserver une virginité politique de façade sans se découvrir trop du point de vue légal! L'instrumentatisation des débats concernant la violence, les abus sexuels etc.... au moment même où l'Etat réduit les budgets alloués aux programmes développés dans les années antérieures pour contrecarrer ces problèmes, montrent très bien ce qui est en cause: moins la volonté de prévenir et de guérir ces abus et leurs conséquences que celle de réprimer tout en épargnant l'argent nécessaire à d'autres réductions d'impôts favorisant les plus aisés. Il s'agit bien de la stratégie déjà explicitée par Gramsci dans son analyse sur le fordisme et la sexualité visant à substituer une pédagogie moderne par une pédagogie répressive propre à structurer la nouvelle force de travail dont le capitalisme à besoin.
L'exemple du traitement médiatique de la pédophilie est encore plus intéressant en ce qu'il démontre le mécanisme mis en lumière par Emile Durkheim: cette volonté de répression contre quelques déviants sert à garantir l'adhésion de la masse à l'ensemble des règles en vigueur, au moment même où l'exploitation capitaliste, l'appauvrissement et la paupérisation intellectuelle bourgeoise est encore relayée par un consumérisme vulgaire ajoutant Internet, et sa fausse prétention à l'immunité, à la télévision, cet autre déversoir unilatéral. La lapidation de l'Autre, surtout lorsque sont "blessés les états forts de la conscience commune" relatifs aux délits ou aux transgressions, semble servir de prétexte pour afficher à bon compte sa propre bonne conscience d'emprunt. Pour les défenseurs réactionnaires de la famille traditionnelle, cette structure de base du pouvoir patriarcal, comme pour tous les caves de Vatican, le Rapt des enfants est encore plus déstabilisateur et létal que le Rapt des Sabines (i.e. des femmes), plus dangereux encore que le viol de la prohibition de l'inceste. Pour ne rien dire de la prostitution, ce rabaissement forcé des êtres par leur marchandisation complète, que les forces "morales" tolèrent souvent comme soupape de sécurité, puisqu'elle évite de poser les problèmes de fonds sur le comportement normal des gens dans une société libertaire et non marchande. Les actuelles campagnes d'hystérie de foule, lancées par des torchons évidemment anglais, qui nous font revivre les pratiques archaïques du lynchage public et des lapidations, pour répugnantes qu'elles soient en regard du droit et de l'équité, ne peuvent malheureusement pas nous étonner. Comme ne peuvent nous étonner les dérives du genre de celle subie par ce malheureux pédiatre du Sud du pays de Galles, Dr. Yvette Cloete, agressée par une foule en délire, pour avoir été jugée pédophile du fait de l'inscription "paedo" désignant sa profession inscrite sur le mur de sa maison!(7) En effet, pour le capitalisme néolibéral réactionnaire, la figure du pédophile, plus encore que celle du violeur, supposé sujet aux effets de la testostérone lorsqu'il ne peut exhiber son portefeuille et une situation économique souvent usurpée, serait à inventer s'il elle n'existait pas déjà: car elle légitimise tout un système de répression plus vaste sans grand rapport avec les causes du mal. La seule chose qui y ressemble est l'accusation totalisante d'antisémitisme par les gardiens vigilants de temples qui n'hésitent d'ailleurs pas à traiter avec les Haider en coulisse, laissant à d'autre la patate chaude politique. Il en va de même pour la peine de mort. Le système est le même: réduction d'un problème complexe à une singularité monstrueuse et montage d'un système de surveillance et de répression à l'emporte-pièce qui ne font rien pour affronter adéquatement les vrais problèmes mais servent à légitimiser la répression de classe. L'exemple belge est particulièrement instructif: si d'aventure, la société voulait aller à la racine du problème, les élites et le système ne suivraient plus. Par contre, si le problème sert à remplacer une moralité libertaire bien que lucide par une moralité restrictive et réactionnaire, c'est autant de gagné pour les nouvelles élites néolibérales et il s'en trouvera plusieurs pour se rabaisser au niveau des journaux anglais. Leur intérêt alors est de laisser pourrir et de canaliser la douleur des familles et des gens à leur avantage, et ils ne s'en privent pas. Au Canada, les condamnations en matière de pédophilie concernant les églises ont été noyées par des excuses et la requête des églises afin que l'Etat paie les dommages qu'elles ne veulent pas assumer, prétextant de leur indigence financière: stratégie sans doute destinée à calmer l'ardeur des procureurs et des juges.
Jamais pourtant on ne s'est avisé dans ces débats à rappeler l'analyse de Gramsci et à remettre les pendules à l'heure, en termes de priorités et de stratégies, la gauche hésitant à se donner une politique propre sur des sujets si émotionnels. Ce qui ne pourra que lui nuire. La gauche ne peut sans s'autodétruire et détruire tout humanisme éclairé abandonner ce que les Anglais appellent "the high moral ground" à de quelconques religieux et moralisateurs qui se rapproprieraient ainsi la direction des consciences. La gauche doit faire mieux. A défaut de le faire, il nous faudra endurer des Lieberman prenant l'extraordinaire liberté (fin août 2000!) de suggérer que seuls les êtres religieux sont des êtres moraux, lui qui n'hésita pas à rompre la discipline de parti pour voter le bombardement de l'Irak avec les Républicains de Bush Sr. provoquant ainsi le long génocide des enfants irakiens! Au minimum, concernant la plupart des valeurs civiles, il convient de rappeler la phrase libertaire de St-Paul dans l'Epître aux Romains à l'effet qu'il ne saurait y avoir de crime en l'absence de loi; et, bien sûr, pas non plus de civilisation, sauf cas utopique de réalisation de l'anarchie. A l'inverse, toute loi sociale superflue et/ou répressive engendre la barbarie. Les lois ne se justifient que dans la mesure où elles arbitrent entre les libertés de l'individu et celles de l'espèce. Surtout celles qui sont le plus fortement déterminées par le mode de production et l'époque (sociale, idéologique, morale et culturelle) qu'il engendre nécessairement, doivent être prises avec un grain de sel, c'est-à-dire, avec une forte reconnaissance de leur validité bornée historiquement. Les transitions avec leurs épiphénomènes inévitables, ne doivent jamais être confondues avec une complétude achevée, que même les mathématiques rejettent. Le devenir historique reste le premier concept concret, ce qui, au regard des victimes comme des coupables, une fois acquittée leur dette envers la société, demeure la seule source d'espoir possible, en vue de retrouver une vie sociale harmonieuse. On peut voir ici la forme immanente, laïque du pardon par la réhabilitation des êtres, leur réappropriation en fin de compte d'eux-mêmes par eux-mêmes.
Ces remarques sont évidentes lorsque l'on considère des exemples tels les délits d'alcool et l'abaissement de l'âge de la consommation doublé par les efforts pédagogiques appropriés: toxicité reliée à quantité, danger au volant etc...Une comparaison avec les effets néfastes de la Prohibition est rapidement instructive à cet égard. Elles sont presque aussi évidentes pour la révolution sexuelle accomplie après-guerre et dans les années soixante, ne serait-ce que par les effets conjugués de l'abaissement de l'âge légal de relation libre, de la généralisation de la contraception et du principe de relations entre adultes consentants. Si elles apparaissent moins évidentes dans des domaines tels le mariage, le divorce, l'avortement, les drogues -autres que l'alcool- etc...cela dépend en général de deux facteurs: soit la séparation entre le domaine civil et privé n'a pas été entièrement accomplie, soit les frontières entre libertés individuelles et libertés collectives n'ont pas été entièrement explicitées. Il reste donc du travail sur la planche; cependant, l'élimination des garanties civiles protégeant les libertés privées acquises ne doivent jamais être tolérées: c'est d'ailleurs là un des objets fondamentaux des constitutions modernes incorporant des chartes des droits et libertés. La lutte, largement réussie dans les pays riches, contre l'opprobre et l'hystérie réactionnaires reliées au sida et à sa transmission démontre l'importance de ne jamais baisser la garde dans ces problématiques concernant les valeurs mais plutôt de développer ses propres positions au bénéfice de tous.
De plus, sans vouloir amoindrir l'importance intrinsèque du genre de problèmes montés en épingle par les forces réactionnaires, il faut bien convenir qu'ils ne peuvent pas, sans manipulation, être considérés d'une priorité plus grande que le combat contre la pauvreté matérielle et l'ignorance qui souvent les engendre; tout comme la répression des gens allant de pair avec la libéralisation sauvage d'un médium comme Internet ne devrait pas prendre le pas sur sa réglementation, sous prétexte que ce médium constitue le plus sûr soutien du capitalisme spéculatif moderne; beaucoup d'encre cesserait de couler si l'on s'avisait de responsabiliser légalement les serveurs et les distributeurs Internet, y compris les plus "malins" réfugiés dans leur "Sealand". Ni, bien sûr, d'une priorité plus grande que la prévention et la réhabilitation des victimes comme des coupables. Les priorités des politiques sociales et de la justice ne peuvent pas être celles de la mise en page des torchons réactionnaires de Fleet Street ou des clones les imitant.
Il en va de même pour les "dilemmes" posés par les découvertes scientifiques des dernières années, notamment en matière de génétique. Plutôt que de laisser la résolution de ce genre de problème à une supposée neutralité scientifique hors de toute analyse de classe ou hors de toute analyse de ce que, suivant Oppenheimer et Einstein, nous appelons aujourd'hui "responsabilité sociale des savants", la gauche se doit d'établir clairement ses positions de classe, sujettes aux données de la science, de la laïcité mais aussi de sa propre conception du genre humain. Sûrement, la gauche devrait être encore capable, comme elle le fut jadis, de déterminer ce qui pour elle et l'espèce humaine est substantiellement à la fois bon et bien. Nul besoin des bulles du Vatican ou d'autres religieux pour cela. Le principe de précaution, respectueux d'un devoir de recherche socialement encadré, complété par l'analyse du risque restreinte à l'individu ou du risque de transmission à l'espèce constitue une meilleure règle déontologique que la pontification intéressée, ex-cathedra, de limites dogmatiquement religieuses déguisées sous l'apparence de limites morales. Les vrais problèmes sont d'un ordre différent: si les Anglo-saxons s'entêtent à privilégier la seule marchandisation des découvertes scientifiques, comment l'Europe pourra-t-elle préserver son autonomie selon le principe de précaution sans devoir restreindre la mobilité des personnes qui est d'un autre type que celle des produit transgéniques? Les relations internationales sont ici utiles à consulter.
Pourquoi alors ce tapage à propos des "valeurs" au moment même où les fonds pour l'éducation, la prévention et la réhabilitation sont supprimés? En résumé, le débat néo-libéral sur les valeurs, permet:
a) De monter en épingle des problèmes sociaux par définition marginaux afin de déconstruire l'Etat providence et de créer la pédagogie répressive nécessaire pour façonner une classe ouvrière plus soumise au besoin du nouveau système d'exploitation plutôt que pour résoudre ces problèmes.
b) De sabrer dans les dépenses publiques. En effet, les politiques de rechange proposées ne coûtent rien ou pas grand chose à l'Etat (ex. féminisation des titres) et permettent surtout de remplacer les vraies avances démocratiques par des besognes de légitimisation précédant les inévitables coupures de fonds ( féminisation des salaires, culpabilisation des célibataires y compris les filles-mères et remplacement du "welfare" par le" workfare"). Ceci au moment où la période volckerienne des déficits provoqués par la hausse des taux d'intérêt commence à être partout remplacée par une période marquée par des surplus budgétaires que les bourgeois rêvent de s'approprier en entier.
c) De créer l'adhésion servile des masses à leur propre répression généralisée: l'auto-répression puritaine remplaçant alors la résolution des vrais problèmes en s'attaquant concrètement à leurs causes.
d) Enfin, ajoutons, et ce n'est pas le moindre avantage pour le capital, que cela sert à désorganiser la gauche plurielle qui investit sa conscience dans ce genre de débat alors que la droite est toujours absoute d'avance par ses grands prêtres et sait compter sur l'hypocrisie inhérente à tout système de répression: a fortiori celui qu'elle entretient auprès des masses, ne serait-ce que par le traitement différentiel des gens aux mains de la justice de classe. (8)
F) Morale et méthodologie.
L'exigence du respect des démarcations entre religion et politique telles qu'elles apparaissent dans les lois et la Constitution représente aussi une exigence méthodologique et qualitative. Cette exigence a commencé à germer en terrain religieux en Italie au moins depuis Bellarmin. On comparera l'exégèse aujourd'hui explicite d'un Obadia Yossef et celles implicites mais non moins pesantes dans le silence révélateur des grands rabbins d'Israël face à cette interprétation du Talmud et des textes kabbalistiques, avec le sérieux académique d'un Guttierez, d'un Chenu, d'un Maurice de Gandillac, d'un Bottéro, d'un Henri Guillemin etc... dont les travaux révèlent la profonde connaissance des méthodes modernes d'investigation et de la sociologie de la connaissance qui servent alors à éclairer leur compréhension des dogmes auxquels ils sont libres de croire. Sur ces bases méthodologiques communes, un athée peut alors entamer un vrai dialogue dans un esprit de respect mutuel. Mais quel dialogue peut-il y avoir avec des gens qui prennent les diagrammes de Cordovero ou de Luria comme des vérités révélées malgré la discordance des deux et qui seraient prêts sur la base de leurs computations mystiques et souvent exaltées à revendiquer le droit de régimenter le monde extérieur objectif? Quel dialogue peut-il y avoir avec des "Mgr" Lefèvre, des Archevêques de Cantorberry plus attachés aux dépouilles de l'empire que des fantômes de Rudyard Kipling, des Papes canonisant des criminels notoires et des Partriaches Alexis sanctifiant les criminels Romanov, des Ayatollah intégristes, des mollahs et autres talibans? Les gens sont libres de croire ce qu'ils désirent, même d'attendre le Messie, en privé: qu'il faille, encore aujourd'hui, alimenter des conflits inutiles et des guerres pour ce faire, voilà qui est proprement criminel. A Yossef et aux silencieux grands rabbins il vaut mieux alors préférer Gershom Scholem: il est de la vieille école et ne mélange pas sa méthodologie et son herméneutique. On remarquera que la confusion au plan des pratiques sociales -confusion de la liberté de conscience et de la multiconfessionnalité- est précédée et accompagnée par cette confusion sur le plan intellectuel; dans les deux cas, la démocratie exige que l'on demande clarification: c'est d'ailleurs le rôle de l'éducation républicaine laïque et de la justice.
Pour toutes ces raisons, il importe de ne pas céder un pouce sur la défense de la laïcité car cela reviendrait à trahir la Constitution et à se condamner à mort. Le respect des droits de chacun garanti par les droits constitutionnels et en particulier par la liberté de conscience bien plus que par la liberté du culte et la multiconfessionnalité est un acquis civilisationnel sur lequel il n'est pas possible de modifier un iota, quand bien même le Président de la République, pourtant garant de la Constitution, se plairait à faire passer ses idiosyncrasies avant la défense scrupuleuse des institutions républicaines laïques qui lui incombe.
Une Grande Clarification s'impose donc sur ce qui constitue légitimement des partis politiques, des groupes de pression et des associations religieuses ou relevant autrement du domaine privé et sur ce qui constitue des valeurs républicaines. Il importe de savoir qui est en droit de recevoir des aides et subsides de l'Etat du fait de la compatibilité de son groupe avec les lois en vigueur et les garanties constitutionnelles et quelles sont les associations et groupes légalement constituées mais relevant du privé et du religieux et devant par conséquent assumer seules leur financement auprès de leurs membres. Il en va du caractère non théocratique de la démocratie. De fait, aucune association non politique ne devrait être reconnue d'utilité publique et recevoir des fonds de l'Etat, si elle n'est pas ouverte librement à tous sans distinction de foi, ce qui n'est, par définition, justement pas le cas des associations religieuses traditionnelles, new-âge ou sectaires.
Tous les groupes de pression non-confessionnels, que les membres des partis de gauche ne devraient en aucun cas délaisser, doivent être d'une vigilance extrême en ce qui concerne la laïcité et doivent être prêts à livrer bataille au plan légal chaque fois que des Partis, des groupes et des associations violent ces règles constitutionnelles ou chaque fois que le Parlement ou la Présidence semblent s'égarer. Le Mouvement laïque italien, en particulier, doit redevenir très actif; des avocats sympathisants doivent être recrutés et des campagnes de financement doivent être lancées chaque fois qu'un procès s'engagera. Ce qui aura aussi l'avantage de mobiliser l'opinion publique. Ceci doit se faire sans négliger l'éducation et l'information des citoyennes et des citoyens par tous les moyens disponibles, y compris les mobilisations populaires. Le blocage symbolique, filtrant pour les touristes, de toutes les voies d'accès au Vatican, s'impose chaque fois que le pape se mêlera de la politique intérieure italienne ou en appellera directement à des citoyens, élus ou pas, concernant des problématiques pour lesquelles seul le Parlement et les citoyens italiens sont habilités à se prononcer. Le temps de Pie IX est révolu depuis belle lurette. Aucun ministre du gouvernement italien ne doit se sentir dans le rôle de Galilée face à l'Inquisition: ni Veronesi, ni personne d'autre. Trop, c'est trop.
Paul De Marco, Richmond Hill, le 5 septembre 2000.
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Notes:
(1) Souhaitée par des maires comme M. Frêche nostalgiques des vieilles routes commerciales du Moyen-âge et de la place du Languedoc-Roussillon au confluant de ces routes, maires qui ont, par contre, l'avantage de vivre dans un Etat "bien policé" et sainement planifié -pour ne pas dire jacobin, ce mot galvaudé en Italie malgré l'importance de l'expérience napolitaine dans la genèse de la République. Un Etat qui peut donc encore expérimenter sans reproduire l'exemples de la Belgique; ou celui de l'Ecosse et du Pays de Galle cette dévolution voulue par un capitalisme financier anglais, exploitant le pétrole de la Mer du Nord et délocalisant ses activités de préférence aux USA, faisant ainsi de la dévolution le moyen de légitimiser la création d'un sous-prolétariat périphérique docile, encadré par des élites locales subalternes. Cette dévolution destructrice de la solidarité nationale est alors entièrement compatible avec l'Europe et ses aides structurelles, ce qui n'est pas le cas de la City, qui cherche désespérément, pour sa part, à noyauter la constitution d'une place boursière proprement européenne. Le cas de l'Italie est instructif: elle sut accomplir les démarches autonomistes qui s'imposaient dès l'après-guerre; ainsi le Val d'Aoste, la Sicile, le Trentino-Alto-Adige. Dans ce contexte, confondre la réforme actuelle de la régionalisation pour un quelconque "fédéralisme" implicant des dévolutions de pouvoirs législatifs ne peut être qu'un CRIME CONTRE LA REPUBLIQUE: de fait, certaines élites de la Péninsule ont toujours préférées diriger une nation européenne subalterne plutôt que de respecter les droits et aspirations de son peuple. Cela dans un contexte où ce pays dispose de conditions géo-démographiques gagnantes dans la nouvelle Europe: en fait Italie dispose de nombreuses Villes, comptant chacune plus d'un million d'habitants, bien disséminées sur l'ensemble de son territoire: ces Villes constituent des pôles naturels de développement et d'attraction pour leur région respective; elles DOIVENT, par conséquent, être coordonnées au niveau central par l'entremise d'une planification moderne, interactive, afin qu'elles puissent jouer pleinement leur plein rôle au niveau européen. Que seraient aujourd'hui Turin et la Fiat sans le programme d'assurance-chômage qui réussit à fournir les mesures d'adaptation organisées nécessaires à Agnelli? Pense-t-on sérieusement que la paupérisation générale par la généralisation du travail intérimaire et la sous-traitance pourront durablement remplacer ces mesures d'adaptation organisées et négociées nationalement? Pense-t-on vraiment que les citoyens italiens vont supporter longtemps ces élites régionales défonçant intentionnellement le budget alloué à la santé afin de couler le système pour ensuite imposer sa privatisation SANS EXIGER LEUR MISE SOUS TUTELLE PAR LE POUVOIR CENTRAL? Ou leur emprisonnement, pur et simple?
2) Prenons garde qu'en Europe ne se développe l'obscurantisme philosophique, scientifique ET démocratique qui prend la forme aux USA du débat entre créationisme et théorie de l'évolution, le premier gagnant du terrain malgré les protections constitutionnelles simplement parce que le travail démocratique d'information auprès des citoyens et des PARENTS a été négligé. Négliger la défense de la laïcité et de l'esprit d'investigation libre qui la soutient revient à se condamner soi-même à mort. Rappelons que lorsque Marx découvrit l'ouvrage De l'origine des espèces du vrai Charles Darwin, si peu "darwiniste", il déclara vouloir accomplir pour la théorie sociale ce que Darwin avait accompli dans le domaine de la nature: c'est-à-dire, le développement d'une méthodologie et d'une théorie adéquates à son objet d'étude, sans aucun préjudice de départ.
3) On se référera, entre autres, car les exemples abondent, au traitement de l'Affaire APEC par le Premier Ministre J. Chrétien et son conseiller politique attitré, E. Goldenberg, digne émule de son prédécesseur Spector; à l'affaire de Petawawa; au rapport de Stephen Lewis sur le Rwanda où tous sont déclarés coupables - en quoi il a probablement raison - sauf, incroyablement le Général Allaire, qu'il vaut mieux laisser à sa conscience pour avoir, en bon Canadien, sut prendre la porte de secours au moment crucial, bien sûr, en obéissant aux ordres. (Stephen Lewis doit son premier titre d'ambassadeur au très conservateur et très libre-échangiste Premier Ministre Mulroney. Son père aussi avait bien servi la gauche canadienne par sa lutte anti-communiste. La véritable histoire des peuples canadiens en passant par la Conquête, la Rébellion des Patriotes et les luttes de la gauche n'est jamais véritablement enseignée du fait de la même épuration sans merci dans les institutions d'enseignement; on s'étonne ensuite que les problèmes de fond tel le nationalisme québécois ne puissent pas être résolus. La pratique de "l'accommodation des élites" fondée sur la "servitude volontaire" dont j'ai déjà parlé fait, au contraire, que ces problèmes sont instrumentalisés, avec l'accord à gauche des dignes successeur des Lewis, pour diviser les peuples plutôt que de les unir sur la base du respect mutuel de leurs droits, seul garant de la solidarité nécessaire.
4) Récemment, on a pu voir l'ahurissante charade des falsifications massives des concours en Italie. C'est une réplique grotesque de ce qui se passe ordinairement aux USA et au Canada et dans bien d'autres pays, bien que leurs systèmes soient mieux rodés, ayant moins dû faire leur compte avec la problématique de la démocratisation de l'éducation; les lettres de recommandations font silencieusement des merveilles pour sélectionner les "meilleurs". Il serait pourtant facile de rendre les concours totalement fiables: l'anonymat pourrait être garanti par la conjugaison des empreintes digitales et d'un numéro d'identification obtenu par la méthode éprouvée des "bar-codes": aux grands maux, les grands remèdes, ni l'appartenance sociale, ni aucune autre information que le concours lui-même ne pourraient alors faire la différence, indépendamment des correcteurs.
Pour toutes les autres méthodes d'évaluation et de sélection, que certains jugent préférables aux concours où prime la mémoire plus que l'intelligence, il convient de se rendre à l'évidence: l'équité ne peut être garantie que par une pluralité philosophique du corps enseignant et par des procédures de révision des évaluations facilement accessibles aux étudiant-e-s, sans le moindre soupçon de pénalité.
5) Aujourd'hui, le Premier Ministre J. Chrétien et ses libéraux semblent s'être émus des tentatives de Black visant à être anobli en Angleterre afin de pénétrer un cercle influent de plus et ses tentatives d'utiliser ses médias pour mousser la campagne électorale de l'ultra-conservateur et ultra-croyant Stockwell Day: en conséquence, ils poussèrent, en sous-main, le libéral Juif-Canadien Izzy Asper à racheter les journaux de Black. Avec la bénédiction, sans doute, du conseiller politique attitré Goldenberg et des membres influents de la bourgeoisie juive canadienne pour qui Asper est un meilleur porte-parole que l'histrionique et quelque peu méprisé Black.
6) Outre Hoover et le FBI, un survol des chiffres relatifs au budget de la CIA durant toute la guerre froide montre que la dizaine de milliards de dollars accordée annuellement dans le budget officiel, cachait des revenus autres, nécessaires aux "covert opérations" et supposant des réseaux illicites puissamment soutenus. Les activités bancaires de M. Harriman parlent d'elles-mêmes. Plus tard, celles de M.Olivier North seront tout aussi explicites. De quoi commencent à témoigner les commissions d'enquêtes du Congrès.
7) Globe & Mail, 30 août 2000, p A11
8) Andreotti, par exemple, sait, en son âme et conscience, qu'il ne regrette aucun de ses crimes et sait pouvoir compter sur ses maîtres américains pour empêcher l'apparition en cour des repentis pouvant l'incriminer; empêchement qui continue le temps nécessaire pour que la mort dispose naturellement du problème. Aux USA mêmes, l'accès à la justice, l'emprisonnement massif, ce nouveau goulag sans Soljenitsyne et la peine de mort, sont strictement reliés à la couleur de la peau et à la classe sociale d'origine plutôt qu'à la bonne marche d'un vrai système judiciaire.