ANNEXE: AUX RACINES DU NAZISME.
Cette tentative analytique d'aller aux causes profondes qui alimentent le nazisme, par conséquent aussi le racisme et l'antisémitisme, s'explique pour deux raisons: 1) la première raison concerne l'idée très répandue qui voudrait expliquer la singularité des crimes nazis par l'aspect systématique, "moderne", de la production à la chaîne de la mort pour des motifs racistes, c'est-à-dire sans mobile explicable en termes des expériences historiques précédentes. On a ainsi peur de relativiser les crimes nazis. Holocauste est un mot pour lequel certains préfèrent Shoah. Dans les deux cas, ce sont des termes inacceptables car laissant de côté les Gitans et les communistes, à moins que l'on ne veuille prétendre que cela soit moins grave dans leur cas puisqu'ils n'appartenaient pas au peuple élu; conception implicitement entretenue mais néanmoins imprononçable car déshonorant trop ouvertement la mémoire des morts. Le peuple juif perdit quelque 6 millions des siens; mais fera-t-on l'injure aux Gitans de se questionner s'il convient plus de donner le chiffre absolu ou relatif à l'ensemble de leur population de leurs propres victimes? Ferait-on pareille injure aux communistes? J'ai, comme beaucoup, longtemps confondu techniques et moyens d'une part et relations de production et fins idéologiques d'autre part. J'ai compris aujourd'hui que c'est une occultation dangereuse qui nous livre tous ligotés dans les bras des Nolte et des Furet. C'est pourquoi, au risque d'être incompris, j'estime qu'il est de mon devoir de refaire un effort conceptuel en la matière; de meilleurs que moi devraient reprendre cette tâche désormais essentielle et de nouveau urgente 2) la deuxième raison tient à l'urgence de souligner que cette idée de la singularité de l'Holocauste et par conséquent des crimes nazis devient facilement une caution pour une nouvelle domination mondiale au compte des USA, la Communauté juive américaine s'illusionnant, dans cette société plus antisémite que l'on veut bien l'admettre, de pouvoir faire de Washington le glaive et le bouclier permettant de reconstruire le Temple, alors qu'il conviendrait de fondre les armes de guerre en instruments de paix. Galvauder le terme de génocide n'est pas du meilleur augure pour le respect de la Charte de l'ONU; quant à l'interventionnisme au nom de la Déclaration universelle des droits et des libertés, Kissinger a déjà dit ce qu'il en était à l'occasion de l'intervention contre l'Irak allant de pair avec l'inaction en bien d'autres points du globe: ce genre d'intervention, sanctionnée par les USA, ne peut s'accomplir qu'en accord avec leurs intérêts nationaux prévint-il. A-t-on jamais vu un sens de l'élection plus besogneusement raciste?
A la racine du mal antisémite et raciste en général, il y a l'exclusion de l'Autre, c'est-à-dire un appauvrissement de son propre être, tout autant que la dévalorisation de l'Autre. Cette exclusion prend la forme soit d'une prétention à l'élection par la grâce divine ou celle d'une élection par le destin biologique. Cette prétention à l'élection n'est autre qu'un racisme originel qui plonge dans les origines tribales des totems et des tabous de l'humanité. Sa charge, négative, en est toujours une d'inégalité posée comme inégalité ontologique. Les Juifs religieux les plus politiques ne sont pas seuls en cause du point de vue de l'élection divine: tous les fondamentalistes religieux partagent cette cécité d'une arrogance dangereuse. Les Calvin envoyaient les gens aux bûchers avec autant de bonne conscience que Torquemada et l'Inquisition. Et les Torquemada et les Calvin sont des figures familières de toutes religions lorsqu'elles poussent leur credo jusqu'à l'intégrisme.
L'essentiel à retenir est que toute croyance privée est admissible, même la plus outrée, tant qu'elle reste privée. Par contre toute croyance ontologiquement exclusiviste qui voudrait se donner comme programme politique ne peut être qu'une forme de racisme en acte qu'il convient de combattre avec toute la vigueur nécessaire. Une fois le stade démocratique atteint, toute personne peut se croire "born-again Christian" (intraduisible en français!), si cela lui chante. Ou même se prendre pour le Messie: tant qu'il garde son catéchisme pour lui il faut seulement espérer que ses semblables ou ses autres interlocuteurs l'incitent à un niveau qualitatif supérieur par des normes de rigueur intellectuelle, d'honnêteté et de comportement. Mais cela ne concerne plus la société politique qui ne reconnaît que des égaux sachant coexister entre eux comme tels.
On a instinctivement du mal à admettre que le même raisonnement vaille pour l'exclusivisme biologique. Cependant tout le monde s'accorde pour reconnaître que le choix des partenaires sexuels et le mariage relèvent du privé et non du domaine de l'Etat. Encore que l'Etat puisse et doive adopter des mesures d'intégration et de métissage, y compris au niveau de l'éducation du goût, ce qui ne manque pas de changer les perceptions privées à la longue. Nietzsche peut bien se croire d'une race de surhomme en soignant sa syphilis dans les "sommets" qu'il affectionne. Tant que tout le mal se résume par un échange de poivre et de séné entre lui, Wagner et leurs proches cela n'est, au mieux, qu'un cirque pour l'amusement d'un Ludwig II fantasque - roi de droit divin, comme chacun sait! Mais quant un monarque de la maison de Savoie ou un Hindenburg ouvrent la porte à un Mussolini et à un Hitler, alors le désastre public est déjà consumé.
La démocratie régresse toujours en acceptant de rendre public ce qui devrait rester du domaine privé, en ayant peur de défendre l'égalité, c'est-à-dire le seul cas où les deux domaines sont compatibles dans l'universel démocratique. Pour simplifier en nous appuyant sur l'histoire occidentale, nous avons un devenir incluant les prophètes égalitaires d'Ernst Bloch ainsi que Socrate, Joachim de Flore, Vico, Hegel et Marx; et de l'autre les Grands Prêtres de partout, les Torquemada, Nietzsche, Heidegger et Obadia Yossef.
Certains seraient tentés d'aller aux racines du junguisme afin de démontrer comment les vieilles hantises des sociétés primitives à esprit synthétique ayant précédé l'émergence de la rationalité en Occident sont sans cesse rejouées; d'autres, voudront voir dans l'histoire humaine des forces cachées dont seuls peuvent rendre compte ce que la société appelle folie, dieux, démons ou esprits. L'éducation obligatoire, gratuite et laïque constitue la réponse aux interrogations posées par ces deux conceptions. Pour le reste souvenons-nous de l'analyse de Mao dans le débat de la transition de la féodalité au capitalisme: les causes extérieures ne sont jamais opérantes qu'en autant que les conditions intérieures s'y prêtent.
Ce double exclusivisme (par l'élection religieuse ou par la biologie) permet seul de rendre compte des réactions viscérales de la bourgeoisie lorsqu'elle est aux abois à l'encontre des exclus, particulièrement des Gitans, ce groupe "singulier" qui ne prétend pas à une élection autre que celle de la liberté et de l'égalité, incarnée de manière certes approximative, mais néanmoins indéniable, dans l'affirmation du nomadisme, opposé à toute frontière "nationale" donnée comme éternelle et pérenne; ou à l'encontre des communistes pour qui l'élection séculaire commune et universelle signale la fin de toute élection particulière: le prolétariat, ce dernier des groupes sociaux, cet exploité non élu, étant destiné par son propre dépassement à clore la préhistoire des particuliers usurpant l'universel pour ouvrir l'histoire du devenir de l'universel commun, c'est-à-dire de l'égalité de tous dans la liberté générale.
Ce double exclusivisme agit comme mise en cause de toute sociabilité durable et ceci de manière plus aigue que cette sociabilité sera fondée sur l'égalité de tous, c'est-à-dire sur le questionnement de l'arrogance exclusiviste héritée à plus ou moins grand degré de l'histoire de chaque groupe, dans une phase longue de domination de l'exploitation de l'homme par l'homme.
Etant donnée cette double élection exclusiviste, qu'est-ce qui constitue alors la singularité des crimes nazis, subsumée trop rapidement dans l'acception restreinte du terme génocide, comme "Holocauste ou plutôt Shoah" des Juifs, à l'exclusion des Gitans et des communistes? Et à l'exclusion aussi du concept de "races inférieures" appliqué aux Slaves, aux Noirs etc ... concept qui servit à rassembler des travailleurs-esclaves à l'est de l'Allemagne comme les puissances coloniales capitalistes l'avaient fait en Afrique et en Asie? Ou encore l'exclusion des Chinois, particulièrement à Nankin, et celle des Coréens, aux prises avec le fascisme japonais?
S'il ne s'agissait que de racisme menant à la destruction systématique de masse conceptualisée comme solution finale, il faudrait reconnaître que l'eugénisme sournois, tel que pratiqué en Suède après guerre, ou le clonage défendu par certains, en particulier les Anglo-saxons aujourd'hui, diffèrent, sans doute quant aux moyens mais pas substantiellement quant aux fins ou aux ressorts exclusivistes qui informent ces façons de voir et d'agir. Les moyens techniques ne sont que des prothèses: les plantations et les bateaux négriers, ces chaînons essentiels du commerce trilatéral capitaliste, tuaient aussi sûrement que les camps de concentration et les chambres à gaz, moins rapidement peut-être, mais avec une intentionnalité plus soutenue, malgré les dénonciations clairement énoncées de Las Casas à Victor Schoelcher. Il ne reste plus aujourd'hui un seul Amérindien natif de Cuba ou de Terre Neuve. On objectera sans doute que les Amérindiens et les autres esclaves du système esclavagiste capitaliste avaient néanmoins une issue de secours: la conversion. Outre qu'elle ne suffisait pas toujours à les soutirer au bûcher, elle ne les soutirait pas à la déshumanisation de l'esclavage et à son taux de mortalité aussi élevé que dans aucun camp de concentration. La conversion forcée représente toujours la mort de l'Autre en tant qu'Autre selon le principe de l'exclusivisme religieux, l'être étant visé plutôt que la vie physique de l'être. Les victimes du racisme nazi n'avaient quant à elles aucune porte de secours, qu'elles soient juives, gitanes ou communistes ou encore chinoises ou coréennes.
Cependant ceci n'autorise pas à faire de l'Holocauste, réservés aux seules victimes juives, la singularité des crimes nazis. On s'illusionne en croyant faire de l'Holocauste défini de la sorte la source nouvelle de tout humanisme: ce serait encore pire que toutes les supercheries idolâtres du Vatican béatifiant et sanctifiant à tour de bras, croyant pouvoir poser en modèle héroïque des réactionnaires comme Pie IX, des criminels comme Pie XII et des hurluberlus comme "Padre Pio". Ce dernier, célèbre pour ses stigmates faisant concurrence à San Gennaro, démontre sans l'ombre d'un doute que la morale commerciale n'est jamais remise en cause, à l'inverse d'autres sujets d'inquiétude. En fait, ce serait attribuer à cette singularité, c'est-à-dire à une exception formant un ensemble unique par distinction à un particularisme appartenant à une classe de particularismes identiques, la fonction de validité universelle, qu'il ne serait plus possible d'élaborer ou de questionner car donnée une fois pour toute. Or cette confusion méthodologique est dangereuse, elle fausse l'histoire réelle et ne permet plus d'avoir prise avec le devenir historique contemporain (par exemple, l'acoquinement de Schussel et de Haider lorsqu'il aurait suffit de la démission d'une douzaine de députés du parti populaire pour faire tomber le gouvernement et le recomposer après entente avec les socialistes, en vue de préparer de nouvelles élections. Lentement mais sûrement, on semble rejouer ici la trahison des Catholiques centristes du 23 mars 1933 permettant la destruction du Reichstag en Allemagne. Ou encore le voyage à Montréal vénalement (et monstrueusement?) préparé par les "conseillers" juifs de Haider).
En clair, à cette singularité exceptionnelle mal comprise ne pourrait correspondre qu'une monstruosité, elle aussi singulière, celle de la complicité active de l'ensemble du peuple allemand ou du peuple italien ou du peuple japonais. Amalgame coutumier de ceux qui préfèrent leurs idiosyncrasies monnayables à une véritable analyse historique -pour ne pas dire de classe- qui rendrait compte de la résistance intellectuelle et matérielle d'une fraction non négligeable de ces peuples appuyés par l'héroïque résistance du peuple soviétique. N'oublions pas que les fascistes envoyèrent Gramsci en prison afin de "l'empêcher de penser pendant vingt ans". De même, une telle conception historique maquillée comme pour une production hollywoodienne, fait la part belle à la grande majorité des bourgeoisies européennes et mondiales qui n'hésitèrent pas à collaborer, y compris aux tâches d'épuration politique et raciale. Tout comme on fait la part belle, à certains leaders de ghettos pour avoir pris tout le temps d'attendre ou pour avoir, à Varsovie, préférer lancer leur soulèvement final en accord avec les services anglais alors que l'Armée Rouge avait payé fort le prix du sang pour son avance. Il y a bien monstruosité mais décidément il faut beaucoup de malice et d'arrière-pensées pour vouloir effacer son aspect de classe. On voit ainsi des fils de bourreaux ou de collabos refaire de l'argent avec les belles oeuvres de leurs pères; inversement, on voit des filles et fils de victimes qui encensent un Céline ou un Furet pour cause de haine commune du communisme! Alors qu'ils feraient mieux de lire Primo Levi et Giorgio Bassani (et, Marx). La tentation de recréer l'équivalant culpabilisateur du péché originel (donnant naissant à une nouvelle caste de juges et d'inquisiteurs) ne peut qu'inférioriser tous les descendants de tous les peuples, à l'exclusion du peuple juif, bien qu'ils n'aient eux-mêmes rien à voir avec les fascistes et les nazis. Cela ne peut créer autre chose que la nécessité d'un rejet plus ou moins informé ou plus ou moins brutal: ne serait-ce que du fait que ces fausses prétentions se fondent sur une histoire réécrite et falsifiée avec trop de complaisance, sur "une chronique-amnésie". Gardons nous de transformer ce rejet en lit du fascisme alors qu'il n'est, au départ, que le symptôme d'une soif de bon sens et d'une soif de savoir. Les dialectiques tronquées mènent toujours au désastre. Pire, ces interprétations partielles, ne peuvent qu'alimenter un dangereux symptôme de Stockholm chez les enfants des victimes, privées ainsi de leur esprit critique à l'instar de n'importe lequel des catéchumènes les plus moralement illettrés. Il est possible d'échanger des analyses sur le fascisme avec le maire laïque de Tel-Aviv; le pourrait-on avec l'actuel maire de Jérusalem (Ouest)?
La vraie singularité des crimes nazis -de l'ensemble des déportations et des génocides- réside dans la VOLONTE CONSCIENTE d'utiliser la force brute raciste pour sauver le système de l'exploitation de l'homme par l'homme qui dans sa forme bourgeoise semblait alors condamné. Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht et les Spartakistes payèrent d'abord de leur vie la sauvegarde et le dépassement de la démocratie corsetée dans la belle constitution webérienne de Weimar. Cette réaction nietzschéenne passa par l'instrumentalisation des hordes de Hitler par les dirigeants allemands contre la classe ouvrière pour aboutir au triomphe de ces hordes sur ceux qui croyaient être leurs maîtres. Cette réaction illustrait parfaitement la ferme volonté de substituer la force aux prétentions d'une démocratie échappant chaque jour d'avantage, grâce à la poussée populaire, à son caractère de démocratie censitaire facilement instrumentalisée par les dirigeants bourgeois. Cette irruption du peuple, comme sujet historique, ayant confirmé en URSS sa capacité de remettre en question toutes les données culturelles concernant la supériorité des anciennes classes dirigeantes, la bourgeoisie chercha donc refuge dans une réaction brutale pour éviter sa fin en tant que classe. La preuve en est que Hitler trouva assez facilement un terrain d'entente durable non seulement avec la bourgeoisie allemande mais aussi avec les bourgeoisies européennes et mondiales dont les bourgeoisies anglaise et américaine tant que Hitler n'essaya pas de leur imposer une rivalité interimperialiste (contraire à l'esprit de Munich!), les forçant à une réaction nietzschéenne contre les émules de Nietzsche, c'est-à-dire à l'utilisation de la force pour assurer leur survie impériale et leur survie de classe.
Le pacte germano-soviétique (23 août 39) alimente encore les pires faussetés, la bourgeoisie occidentale cherchant à se réhabiliter sur le compte de Staline. Le Général de Gaulle, qui n'avait pas besoin des mêmes subterfuges, n'a pas jugé utile de dissimuler le rôle des services d'intelligence militaire détachés par l'Occident auprès du gouvernement polonais, ni les tergiversations et les refus de l'Occident opposés aux appels répétés de collaboration anti-fasciste de Staline. La France avait réussie à canaliser la révolution ouvrière par le Front populaire et ses gains syndicaux spectaculaires quoique vite grugés par l'inflation; l'Angleterre fut toujours plus chartiste que socialiste: ces puissances occidentales cependant n'étaient pas aussi menacées de l'intérieur et de l'extérieur par le communisme. La question communiste prioritaire en Europe pour les bolcheviks tout comme pour la bourgeoisie européenne tenait encore spécifiquement dans la résolution de la question polonaise et de la question allemande. Une partie de la bourgeoisie anglaise et française pouvait éviter la dérive ouvertement fasciste en maintenant les ouvriers et la social-démocratie dans une logique de luttes corporatistes plus que révolutionnaires. Après l'abandon de l'Espagne, Munich (1938) constitua le dernier avertissement dûment compris à Moscou concernant l'obligation de ne plus devoir compter que sur ses propres forces. Cette tactique avait d'ailleurs fonctionné en 1918: Brest-Litovsk est une première forme de la dissuasion entre deux régimes opposés diamétralement. Même les plus ignobles disciples de Furet et de Nolte ne pourront rien dire d'autre: qu'à leurs yeux le communisme soit pire que le nazisme, c'est compréhensible et c'est du nietzschéisme pur; prétendre que ces deux systèmes pouvaient durablement coexister cela devient une antithèse trop évidente. Mais que cette coexistence de classe ait bien été recherchée par les bourgeoisies occidentales, cela n'est plus contestable, ni après Munich ni après le ralliement de tous les gauleiters que l'on sait. Staline aurait gaiement échangé un accord avec la France dès 1936 à l'assurance d'une victoire remportée par les seuls communistes sur le nazisme: qui en doute? Quelles étaient les contraintes économiques forçant le retrait derrière l'Oural? Que disent les archives lorsqu'elles parlent d'elles-mêmes? Mais rien, comme le démontre encore une fois la montée de l'extrême-droite en Autriche et partout en Europe, rien ne permet d'éliminer la possibilité que la bourgeoisie ne remette une fois de plus les "clés" du pouvoir à cette nouvelle droite. Malgré l'efficacité démontrée des pactes républicains. Entre communisme et fascisme il existe une différence d'espèce; entre capitalisme et fascisme n'existent que des différences de degrés permettant diverses manifestations historiques -molles ou brutales.
Il est assez pathétique aujourd'hui de voir les analyses non-marxistes usuellement opposées jusqu'ici à l'analyse de classe, être elles-mêmes mises à l'écart. En vérité, ces analyses n'ont jamais constitué que des visions très partielles de la réalité. Bien qu'elles aient prétendu à une validité générale, elles ne servaient qu'à conceptualiser la position sociologique de groupes spécifiques. Le premier Nolte, par exemple, prétendait instrumentaliser la psychologie à cette fin: pour ne pas avoir à parler d'idéologie, donc des groupes et des forces matérielles qui la sous-tend, il semblait plus politique de renvoyer le phénomène à des bases "naturelles"; il accomplissait ainsi une première banalisation et mystification du nazisme, puisque la nature humaine étant donnée identique partout, tout le monde était susceptible d'être touché par ces désordres psychologiques. Aujourd'hui, l'Université de Chicago ayant fait son oeuvre de sape grâce à Furet et compagnie, Nolte n'a plus besoin de faut-fuyant, et reconnaît la nature bourgeoise de cette "nature humaine" qu'il donne comme triomphante puisque alliée des groupes, Juifs américains inclus, qui revendiquent la victoire sur le communisme! W. Reich, pour sa part, tenta d'interpréter le phénomène en privilégiant les pulsions libidineuses dont l'analyse était quelque peu de mode, avec le résultat que l'on ne voyait plus très bien comment ces pulsions étaient reliées à l'appartenance de classe, sinon par la manipulation. Enfin, Federico Chabod nous traita à la vision sociologique privilégiant les classes moyennes, dont aucun marxiste ne niait la dangereuse paupérisation du fait de l'insertion de la bourgeoisie allemande dans l'ordre mondial capitaliste après le Traité de Versailles et la stratégie de l'inflation galopante qu'elle adopta pour ne pas payer ses dettes de guerre. Autant de facettes de la totalité historique qui, loin d'infirmer la thèse marxiste du fascisme/nazisme, sont, soit complétées soit corrigées par elle.
Aujourd'hui, l'analyse historique du phénomène fasciste/nazi ne sert plus à ces " alliés" vainqueurs du communisme, dont "la monstrueuse sodomie de l'hostie et du victimaire" apparaît toujours plus au grand jour: Furet ne pouvait qu'engaillardir Albright/Berger/Cohen/Rubin et autre Clinton, qui ne pouvaient à leur tour qu'enfanter du second Nolte et de Haider. Il suffit de poser tout un phénomène historique comme une singularité absolue, de réduire la Déportation et les génocides à l'Holocauste/Shoah, par exemple, pour évacuer toute analyse et toute compréhension. Il restera seulement à constater et à faire son mea culpa malgré le fait que sur cette base doublement tronquée et imprégnée de racisme (conscient ou pas), on ne pourra retenir des victimes du nazisme que les victimes juives, transformées en victimes par excellence et donc seules habilitées, sinon à pontifier, du moins à parler. Institutions à l'appui, puisque aujourd'hui la Ligue anti-diffamation flanquée par le Centre Weisenthal et par le Congrès juif international, utilise les lois contre la haine raciale -tout comme les lois internationales- à son seul avantage: l'antisémitisme et le racisme ne concernant jamais les Arabes, par exemple, moins encore les Palestiniens.
Or, l'URSS n'étant plus, il n'est pas exclu qu'aujourd'hui toutes les bourgeoisies nietzschéennes et théocratiques confondues ne trouvent une entente supra-capitaliste fondée sur la puissance américaine et le droit d'aînesse (malgré, le rôle biblique des puînés) des orthodoxes ultra-religieux juifs reconstruisant leur temple sur l'asservissement du monde musulman: ensemble, ils pourront tirer les conclusions qui s'imposent à leur yeux concernant la croissance de la productivité et recréer un nouvel esclavage moderne: Gorz, avec ses élucubrations sur l'inévitable nouvelle domesticité, ne dit pas autre chose que les documents secrets des planificateurs militaires américains publiés jadis par Galbraith en guise de dénonciation, et qui anticipaient tout bonnement la création d'un "nouvel esclavage" nanti de "nouveaux gladiateurs" etc ...mais il ne le dit que partiellement et avec un vocabulaire qui légitimise ces inepties auprès des travailleurs et de certains de leurs porte-paroles qui se doivent de rester objectifs et devenir plus vigilants encore. Et qui devraient renforcer leur soutien actif à la "grande idée" d'Emile Pacault: le partage du travail.
On s'avisera sans doute de demander comment cette analyse de classe du fascisme/nazisme explique-elle la destruction des Juifs et des Gitans en tant que races plutôt que celle seulement des communistes toutes races confondues, puisqu'aussi bien c'est le communisme qui représentait la fin possible de l'être bourgeois comme forme actuelle de l'être menacé de l'exploiteur sous toutes ses formes.
La réponse tient justement dans la globalité de la remise en cause communiste telle qu'illustrée par sa forme dominante bolchevik, le dépassement non seulement du bourgeois mais de l'exploiteur, c'est-à-dire la remise en cause des illusions culturelles de la bourgeoisie qui se voulait comme apogée de cette société de l'exploitation qu'elle aimait défendre comme règne de la liberté et de toutes les valeurs bourgeoises puisque règne du capital. A l'inverse, le nazi voudra sauver l'ensemble du système de l'exploitation de l'homme par l'homme et, acceptant les lois du capital, prétendra encore faire passer ces lois à un niveau supérieur et harmonieux, lorsque, logiquement, les bourgeois et les travailleurs seront tous deux soumis, chacun à sa manière, au surhomme nazi qui ne peut alors être aussi qu'un sur-bourgeois.
La lutte de classe du nazisme consiste donc à appliquer ce programme: construire, le surhomme nazi tout en raffinant l'ensemble des recettes de l'histoire de l'exploitation de l'homme par l'homme -la recherche philologique heideggerienne appliquée- afin de créer un surcapitalisme harmonieux dont l'inégalité absolue donnée comme loi primordiale se réalise dans "l'acte pur" de domination par la force brute.
Dans l'histoire fantasque née de cette philologie -très anti Vico!- tant admirée aujourd'hui par certaines victimes, revivent toutes les vieilles hantises de la société, que l'histoire fait remonter à la surface dès lors que leur dépassement historique a été inverti. Ainsi le Juif sera tour à tour l'Autre qui est un assassin potentiel puisque ayant assassiné le Christ, qui met la cohésion du groupe en danger puisqu'il subverti les justes prix de l'Eglise par le commerce et l'usure, qui met les royautés et donc leur droit divin en danger par son monopole de l'argent, qui met la propriété en danger par son adhésion aux luttes de la sociale faisant du Bund l'ancêtre des bolcheviks. Qui, enfin, met en danger les prétentions de peuple élu par la race par une prétention à l'élection religieuse et de race.
Ces hantises ne sont que des hantises ressassées consciemment afin de construire l'homme nazi par la propagande mais aussi pour créer vis-à-vis du peuple cette union harmonieuse du peuple aryen, supérieur à tous les autres et par conséquent aussi supérieur au peuple se disant élu. Toujours, le ressort intime de toutes ces hantises et de toutes les propagandes orchestrées par les nazis relèvent toutes de la volonté consciente de tuer tout ce qui relève de l'égalité.
Deux peuples diversement élus ne peuvent coexister si ces élections passant du privé veulent s'imposer au domaine politique: reconnaître l'égalité du peuple juif revenait à accepter la dégénérescence de la race de surhommes; à l'inverse, l'affirmation de cette race imposait la destruction des autres prétendants, dont le peuple juif. Le prolétariat prétendant abolir l'exploiteur posera le même problème: aucune coexistence n'était possible avec les communistes, c'est-à-dire avec le prolétariat comme sujet conscient.
Pour le nazi le pire crime du Juif n'est pas d'avoir, selon la propagande chrétienne, tué le Christ comme symbole de l'égalité contre l'esclavage: les théoriciens nazis ont toujours eu du mal avec ce Christ-là qui, en Allemagne comme partout ailleurs, y compris au Vatican, disposait de peu d'amis parmi le haut clergé. Après tout, tous ceux qui se réclamaient de ce Christ égalitariste payèrent cher leur audace -y compris l'ordre florense, Dolcino, Muntzer et tant d'autres: la barbarie qui accompagna leur persécution ou leur mise à mort, avec la bénédiction des Eglises, ne pouvait qu'inspirer les surhommes nazis dans une surenchère de cruauté dès qu'il s'agissait d'éradiquer les remises en question égalitariste de l'exploitation et des privilèges de classe. Par contre, Luther pouvait être instrumentalisé comme un héros national justement pour sa participation à cette éradication. Il représentait un Christ dominant appuyé sur l'autorité ecclésiale et séculaire qui avait soutenu le Prince contre les paysans et le Saint Empire Germanique, inspiration du Troisième Reich quant à ses ambitions universelles: ce Christ institutionnel tenant le peuple à sa place, quelle aubaine lorsque l'on cherche UN BOUC EMISSAIRE pour reforger la cohésion du groupe dans cette nouvelle alliance des classes inédite. En un sens, il est heureux de pouvoir démontrer le rôle de nombre de Juifs dans le développement de l'humanisme occidental, dans celui des mouvements sociaux inspirés à l'idéal de l'égalité, et bien sûr au développement du mouvement communiste, car LE FAIT EST QUE COLLECTIVEMENT LE PEUPLE JUIF ET LE PEUPLE GITAN PAYERENT AUX MAINS DES NAZIS POUR LES COMMUNISTES et le mouvement égalitariste, en tant que boucs émissaires nécessaires au soutien de l'alliance contre nature du "peuple" allemand, dépossédé de son histoire réelle, et de son devenir possible, et des nazis allemands; alors que les communistes, pour leur part, payèrent comme négation active de l'être même du surhomme. Les Gitans, cette anti-nation au sens où les nazis comprenaient cette notion vitale pour leur prétention, étaient naturellement aussi gênants pour l'affirmation historique de cette notion que le peuple juif avec sa prétention à l'élection. Pour les Gitans le seul "espace vial" qui vaille sont la terre et la route. Le peuple allemand eut-il été gitan que le nazisme n'aurait pas pu naître en son sein: non seulement il ne comprend rien au jus soli, cette forme d'expropriation, mais en outre il ne comprend rien non plus à la pureté de la race, ou jus sanguini, praticant depuis toujours l'agrégation des tribus -et l'adoption qu'on leur reproche. Brigand peut-être à ses heures selon la mythologie, nazi jamais. Honneur redoutable, car aucune autre "race" dite inférieure ne sera ressentie comme aussi antithétique à l'être nazi que le Gitan et le Juif et les communistes en tant que groupe, ni les Slaves, pourtant déportés massivement vers les camps de travail ni même les Noirs, présumément hors de la psyché eurocentriste des nazis, malgré la propagande de Goebbels et de Rosenberg les théoriciens de Hitler qui n'hésitaient pas à les soustraire entièrement à l'humanité, en dépit du fils à retordre donné par les tirailleurs sénégalais et les autres peuples des "colonies".
Ces boucs émissaires par excellence, désignés parmi des groupes depuis toujours en cohabitation avec le groupe allemand majoritaire, sont d'une nécessité absolue afin d'accomplir le replis raciste sur le groupe majoritaire. Ce dernier est appelé lui-même à participer à la domination, bien que subalterne, afin que le surhomme puisse s'affirmer sans être d'emblée rejeté par l'homme allemand ordinaire; le mode de production se mettra rapidement en place sur cette base compatible avec une réorganisation corporatiste du capitalisme. D'abord les syndicats seront supprimés ainsi que l'opposition, particulièrement communiste; ensuite, des emplois soutenus par le réarmement et le réaménagement de la dette par l'entremise des Anglais et des Américains, seront encore libérés par l'ostracisme des Juifs et des Gitans; puis suivra l'irrédentisme glorifiant l'espace vital du peuple allemand. Enfin, devant la capitulation de la bourgeoisie européenne, l'agression armée asservira cet espace et le transformera en territoire colonial où la destruction des communistes, des Juifs, des Gitans ouvrira la porte à la mise en oeuvre du reste du programme, soit la domination sans partage de la race allemande. Cette domination devant se faire par l'asservissement des autres races inférieures mais néanmoins nécessaires à la production et, à l'inverse, le raffinement de la "race d'élite" par les expériences du Dr. Mengele et de son équipe.
Ces mécanismes idéologiques répondant strictement à une logique de lutte de classe extrêmement cohérente et mettant en cause la transformation du capitalisme bourgeois en une de ses formes plus achevées du point de vue de l'inégalité. Loin d'être singulière l'expérience nazie, y compris dans des formes juives nazies, ne peut pas être exclue définitivement du devenir historique: il faut même fortement craindre un tel retour sous des formes historiques neuves mais toutes aussi barbares et destructives de l'égalité, à mesure que l'évolution des forces productives rendra superflue une majorité de la population qui exigera, par conséquent, le partage du travail et de ses bénéfices et la création d'une véritable société de "l'abondance relative" par la redistribution; ce qui ne manquera pas d'attiser la haine nietzschéenne de la classe dominante qui perdrait une partie de ses prétentions par une telle redistribution. Certains commentateurs du programme de télévision américain "Survivor" n'hésitèrent pas à se demander quand un tel programme serait rejoué avec la mort en prime. Jadis Marcello Mastroiani joua dans une histoire de chasse à l'homme organisée comme jeu. Rhétorique que tout cela? Relisons Galbraith.
Il convient ici de ne pas être dupes des arguments des défenseurs de Nietzsche qui voudraient mettre son antisémitisme à la charge de sa soeur et de son beau-frère en insistant sur les lubies paraguayennes de celui-ci et les retouches aux manuscrits par celle-là. L'argument, candide s'il en fut jamais, voudrait que Nietzsche favorise trop l'irrationalisme anti-système pour soutenir aucun système, fut-ce celui de l'antisémitisme. Pourtant, tous les aphorismes nietzschéens ne sont que la tentative de dresser "un système de l'irrationalité", adéquat dans sa pratique à sa théorie, mais d'une cohérence soutenue, contre la rationalité de la philosophie de l'histoire, du système hégélien contre lequel il avait commencé par se faire les dents et contre le matérialisme historique. Ils ne sont que la tentative de déconstruire une dialectique du maître et de l'esclave dont le devenir était concrètement explicité par le prolétariat allemand entre autres. Cette déconstruction pose les bases volontairement systématiques du racisme fondé sur la biologie -la volonté de pouvoir et le surhomme d'où qu'il vienne -qui englobe le racisme national et l'antisémitisme.
Autrement dit, chez Nietzsche, le double exclusivisme (élection religieuse et élection de race) est compatible avec des termes que l'on voudrait croire, à tort, plus généraux. Ainsi, puisant dans une biologie faite sur mesure, à l'élection fondée sur la race "nationale" on peut opposer l'élection philosophique: à la limite donc cette race sera une race nouvelle, issue de choix "séculiers" à l'enseigne de la volonté du pouvoir: l'auto-élection par l'auto-création. Qu'elle aubaine à une époque de globalisation! On aurait maintenant le choix entre diverses formes "d'élites SS" et "d'enfants de Salo", à l'échelle de la planète!
Les germes de cette version internationaliste de la théorie du surhomme apparurent très tôt chez une élite occidentale extrêmement jalouse de ses privilèges de classe, qu'elle défendait volontiers comme représentant l'apogée de la civilisation occidentale. Cette trahison des clercs jamais totalement éradiquée de la conscience bourgeoise était évidente, par exemple, chez Ezra Pound, Céline, Robert Brasillach et chez ce Ernst Hanfstaengl, "distingué" représentant de Harvard qui dans les années 30 enseigna à Hitler les ficelles des relations publiques et de la théâtralité grandiloquente. Et nous nous épargnons la peine de citer les Michels, Gentile et autre Marinetti. Nombre de ces clercs sont aujourd'hui réhabilités, en particulier aux Etats-unis d'Amérique, là où personne ne doute plus de la stature "littéraire" d'un E. Pound.
Pourtant, de cette version "philosophique" découlent certaines tensions possibles et déjà exhibées au sein du fascisme et du nazisme. En effet, il est clair que le torchon ne pouvait que brûler entre les prétentions de domination politiques constituant la philosophie séculière du nazisme et les prétentions de domination religieuses d'un haut clergé souvent aussi inégalitaires que celles des pires nazis. La coexistence du pape et de son haut clergé avec Hitler ne pouvait être qu'instable, les grands messes genre Nuremberg et les grand messes chrétiennes s'étant partagé la ritualisation du credo inégalitaire de manière plus instable que l'empereur du Saint Empire Germanique et le pape.
Les autres virtualités se reflètent dans cette fraction -minime sûrement, mais suffisamment présente pour dévoiler une malheureuse possibilité- de Juifs allemands ayant porté la chemise brune au début. Malgré le communiste Joe Slovo, même après la Seconde Guerre Mondiale, les Juifs d'Afrique du Sud (à l'instar d'Israël) ne se distinguèrent pas par une opposition massive au système de l'apartheid. Si le nazisme historique allemand dû s'appuyer sur le peuple allemand, plutôt que sur la "race" auto-construite des surhommes encore à naître sur grande échelle, naissance que le système organisera d'ailleurs immédiatement, c'est que le devenir historique à renverser avait ses échéances; il fallait être expéditif et pour cela on glorifia l'ensemble du peuple allemand -y compris à l'extérieur- ce qui imposait aussi qu'on trouva des boucs émissaires désignés par les hantises, inégalitaires et racistes héritées du passé, pour solidifier cette union. Le concept de la liste de Schindler reflète d'ailleurs cette tension conceptuelle, bien que cela ne soit plus très compréhensible aujourd'hui après le film que l'on sait puisque on ne peut que se féliciter que quelqu'uns de plus aient ainsi pu échapper à l'enfer nazi. Il est pourtant clair que même si l'antisémitisme racial n'avait pas joué, même si Hitler avait été plus partisan de Nietzsche que de Gobineau, ou de Houston Chamberlain, en fin de compte la coexistence des Juifs avec ce régime n'aurait pas pu durer, l'un séculier mais totalitaire devant périr ou tuer l'autre religieux et également aussi exclusiviste. Evidement, cette mort pouvant être la mort du Juif comme être culturel spécifique hors de son appartenance à une religion quelconque, c'est-à-dire la transformation du Juif en nazi, un sort sans doute pire que la mort physique. (Malgré les confusions en vogue aujourd'hui, la différence est énorme avec les nécessités découlant du régime communiste dont le "totalitarisme partiel" s'appliquait avant tout au domaine politique en séparant toujours le domaine politique du domaine privé: l'impression du contraire vient, largement, du fait que les institutions religieuses quelles qu'elles soient ont du mal à s'habituer à se confiner au domaine privé sans empiéter sur le domaine politique; empiétement vu par les communistes comme la distribution d'opium au peuple par un Haut Clergé viscéralement anti-communiste. Or, si l'on prend soin d'y penser, cette distribution d'opium au peuple est aussi dangereuse pour la démocratie, dite occidentale, que pour la démocratie populaire où encore pour le régime de "dictature du prolétariat", c'est-à-dire, le régime de centralisme démocratique s'appuyant, à son meilleur, sur les soviets. Cela étant dit les empiétements du politique sur le privé dans le système nouveau débutant en 1917, ne pouvaient manquer au départ. La solution la plus évidente eut été celle d'une justice administrativement indépendante du pouvoir en place quoique soumise strictement aux contraintes politico-économiques de la Constitution socialiste. Cependant, on le voit, ces critiques ne sont constructives que si l'on sait de quoi on parle hors de tout voile idéologique en vogue; autrement des attaques mal dirigées à un système qui en méritent sûrement ne font qu'empêcher les corrections de pouvoir être apportées. Ce qui est pire encore que de faire le jeu de l'ennemi de classe. Remarque qui vaut d'autant plus aujourd'hui que l'Union soviétique, expérience historique constituant le patrimoine de tous les peuples, n'est plus, mais qu'existe la nécessité, partout, Russie comprise, de faire renaître le communisme démocratique comme défense politique de l'égalité et de la liberté).
Aujourd'hui, certains parmi la Communauté juive d'Amérique et d'ailleurs, sont facilement fascinés par Nietzsche et Heidegger, sans savoir les lire et en tronquant leur compréhension de la réalité historique par leur sentiment que la prémisse douteuse de la singularité est un meilleur antidote que le soutien à la démocratie dans sa marche vers plus d'égalité comme fondement stable de la liberté. Certains voient dans ces théoriciens la prophétie de la mort d'un dieu qui ne répondait plus à Auschwitz; d'autres y voient la réfutation des systèmes et confondent allégrement la réaction nihiliste contre le devenir historique fondé sur l'égalité avec un anticonformisme créateur. Peu importe que Nietzsche soit aussi athée qu'un ange déchu rêvant de revenir à son Eden natal par la force et masquant son impuissance en remplaçant Dieu et Socrate, cette autre figure animée de meilleurs démons, par un Dionysos fantasque, dans lequel on reconnaît bien l'ivresse mais plus du tout le bagage de lumière; peu importe cette dialectique tronquée du chrétien infériorisé et effrayé par la charge égalitaire de certaines interprétations: puisqu'il ne peut ni ne désire dissiper "l'angoisse"qui enveloppe tout son être prisonnier dans ce monde-là, il ne pourra que crouler sous la hantise du péché et du rachat sauf à "tuer" volontairement dieu, c'est-à-dire en changeant de créateur, ce qui est l'objectif premier de la genèse philologique de Nietzsche autant que de Heidegger. Autrement dit, on admire Nietzsche pour son anticonformisme et sa découverte de l'irrationnel alors qu'il est possiblement le plus conformiste et rationnel de tous dans son apologie de l'inégalitarisme. Non athée mais anti-chrétien.
Par conséquent, certains Juifs conservateurs et réactionnaires, tels les membres du Shass et du Kakh et beaucoup d'autres aux Etats-unis et au Canada, s'illusionneraient dangereusement en croyant utiliser les enseignements anti-communistes de Nietzsche/Heidegger pour conceptualiser leur rôle comme appui à la domination impérialiste unipolaire américaine: leur prétention religieuse, qui reçoit une impulsion nouvelle dans la problématique de la reconstruction du Temple plutôt que dans la Tente du rendez-vous plus égalitaire, ne pourra que finir par se heurter de front avec l'impérialisme séculier US -appuyé par une majorité chrétienne, catholique et protestante pour envenimer encore plus les choses. L'affaire du procès de béatification de Pie IX malgré le ghetto romain et l'enlèvement du jeune Juif italien Edgardo Mortara, constitue un présage et une énième illustration des prétentions tyranniques des majorités "morales". A moins que l'on ne s'illusionne sur la possibilité de créer le système le plus fasciste de tous, à savoir celui de la domination théocratico-philosophique, le surhomme étant alors l'élu d'un dieu non égalitaire, redéfini pour la cause, celui précisément des institutions impériales. Ne pouvant plus être la vestale d'une telle divinité quel sera alors le rôle dévolu à une Albright?
Les théoriciens américains s'illusionnent eux-mêmes sur les capacités intégratives de l'ancien empire romain, en apparence l'exemple typique du théocratisme multiconfessionnel. Or cette intégration multiconfessionnelle romaine ne pouvait fonctionner harmonieusement qu'avec d'autres religions polythéistes. Bien sûr les stoïques, selon Ernst Bloch les inventeurs de "l'oekoumène" cette idée universelle de l'humanité, cherchèrent à dépasser toutes les particularismes religieux en privilégiant l'idée de l'empire et de l'appartenance à l'empire, vu comme zone de réalisation possible des virtualités des "citoyens". Mais l'empire ne réussit jamais à imposer une sécularité impériale, même paradoxalement, en divinisant l'empereur. Dès lors les conflits couvaient toujours pour la domination entre les différents courants. Ces conflits ne pouvaient être que des conflits ouverts avec toute prétention au monothéisme, c'est-à-dire, avec toute prétention à une domination alternative. Les Juifs pouvaient être tolérés dans l'isolement, mais même les rivalités entre sectes juives étaient vues nécessairement comme profondément déstabilisatrices de l'ordre impérial par leurs prétentions religieuses exclusivistes et ne pouvaient que s'attirer les déboires décrits par Flavius Josèphe. Un avant-goût de cette exclusivisme impérial fut offert par l'exigence du Président Bush lors de son attaque contre l'Iraq: il n'était pas question que la première salve tirée pour l'établissement du "nouvel ordre mondial" soit gâchée par des ripostes israéliennes et Bush le fit savoir en des termes on ne peut plus explicites.
Le même genre d'illusions nocives ont aujourd'hui cours en Europe, dans certains milieux. Il est question de la recherche d'une intégration selon des voies plurielles au capitalisme mondial sous domination américaine. Bien entendu, cette intégration consubstantielle avec le nouvel ordre américain, implique la dissémination d'une conception particulière de la multinationalité et de valeurs propres à justifier la déconstruction de l'Etat social et la glorification de l'entreprise privée. Cette désagrégation de la conscience républicaine prend aussi la forme "vertueuse" d'un discours anti-jacobin, ainsi que nous l'avons déjà montré pour la problématique de la multuconfessionnalité dont elle calque les prétentions. Il importe, par conséquent, d'en exposer les ressorts.
Dominé par un conservatisme hérité par la vieille hantise du séparatisme des élites austro-hongroises, on cherche à développer une conception de l'autonomie culturelle personnelle (a) capable de balayer le "jacobinisme citoyen" hérité de la Révolution française et de la Révolution bolchevique, c'est-à-dire la pensée politique sous-tendant la conception même de la citoyenneté autant que celle du traitement de la question nationale. Les théoriciens austro-hongrois tant bourgeois que social-démocrates ou même marxistes, relayés par certains théoriciens du Bund, cherchaient essentiellement, quant à eux, deux choses: a) établir les formes de coexistences pacifiques entre les peuples de l'Empire dans les formes sociales et juridiques les plus avancées possibles b) éviter, en ce qui concernent les minorités juives, l'assimilation, cette variante sécularisée de la conversion.
Toute cette problématique était faussée trois fois à la base:
1) on confondait la démarche impériale issue de la pratique de la double loyauté à la personne de l'Empereur dans la double couronne autrichienne et hongroise avec les progrès de la démocratie et de la coexistence des peuples.
2) on confondait l'accès spécifique aux faveurs du système impérial pour la liberté qui, elle, contrairement aux privilèges, ne peut être que générale; la peur de l'assimilation poussa dans cette voie, les "sujets" se réjouissant de se voir octroyer le statut de "servi camerae" dans l'espoir de l'éviter. Pour leur part, les bolcheviks comprirent que l'affirmation des valeurs citoyennes de la République ne mènent en rien à l'assimilation: ils distinguaient entre les droits politiques, économiques et sociaux des citoyens et leurs droits nationaux (et culturels). Observons la théorisation de la multinationalité ou des droits des minorités chez Lénine, Staline, Trotsky et Tito d'une part et celle que l'on retrouve chez Brenner, Otto Bauer et Martov d'autre part; les premiers réfléchissaient toujours sur la base de l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme et de la propriété privée: les républiques fédérées, garantissant les droits nationaux, allant de pair avec les soviets, ou l'autogestion, garantissant les droits économiques et sociaux; enfin la constitution -sans doute à parfaire- garantissait les autres droits individuels et collectifs du citoyen socialiste. Qu'en est-il des autres? De fait, une théorie globale développée par la généralisation de l'expérience particulière des kehilots ne peut être qu'antithétique à la citoyenneté (forcément égalitaire) car comme les kehilots elle ne peut se concevoir qu'au service spécial de l'Autorité par des serfs ou des sujets et non des égaux qui ne peuvent avoir que des égaux en face d'eux. Une théorie des privilèges octroyés par un souverain contre la théorie des droits inaliénables des individus et des peuples!
De fait, une république même très jacobine, en autant qu'elle reconnaît les droits linguistiques et culturels de ses communautés - sur une base territoriale dans les ex-pays communistes ou sur la base de simples droits des minorités- n'a besoin de rien d'autre que de sa charte pour assurer l'autonomie linguistique et culturelle. En Urss, si les bases territoriales étaient assurées, la mobilité faisait sans doute défaut; comparons à la mobilité de la main-d'oeuvre au Mexique et aux Usa ou en UE: un abîme sépare les droits formels des possibilités matérielles. Aujourd'hui une république jacobine peut atteindre cette autonomie culturelle personnelle simplement en octroyant une autonomie linguistique dans certains départements -et encore en s'assurant que la langue maternelle et la langue nationale coexistent de manière à ne pas nuire aux chances d'accès aux Grandes écoles et aux universités. Pour le reste, les moyens de diffusion tels la radio, la TV, Internet permettent à toute personne de s'abreuver à la culture qu'il veut (b). Le problème est de donner les moyens linguistiques et culturels aux peuples plus restreints en nombre -ex. les Basques- et pour qui d'éventuels accords culturels internationaux n'offrent pas l'appui d'une communauté nationale, hors frontière, plus vaste et donc capable de nourrir une culture dans tous ses aspects. Il s'agit là d'une nécessaire solidarité nationale garantissant le respect des différences qui constituent autant de richesses. Mais pour tout le reste, toute dévolution autre qu'administrative serait une trahison de la République, de l'égalité et par voie de conséquence de la citoyenneté même. La voie plurielle sous couvert de non assimilation culturelle - déjà assurée par la République- représente la volonté de fragmenter les peuples et la destruction de la solidarité nationale.
3) La reprise moderne de la théorie et pratique des kehilots ne pouvait pas être compatible avec l'idée citoyenne de la fédération des peuples ET des soviets: Trotsky l'avait bien compris à l'encontre de Martov. Pour les bolcheviks, le problème de la non assimilation se posait en terme d'Etat fédéré ou de districts autonomes: y compris la question de la formation d'un Etat fédéré pour les Juifs soviétiques. Le reste étant question de droits en tant que citoyens. La difficulté pour les communistes résident plutôt dans la question gitane: comment concevoir une nation nomade tant que les moyens de production sont immobiles: à la limite, seuls les artistes représenteraient une "tribu" nomade se déplaçant avec ses moyens de production. Or, quelque soit le degré de mobilité des Gitans hors de leurs districts autonomes (v. L'ex.de la Yougoslavie) seuls les garanties conférées par les chartes républicaines font la différence (ex. comparons l'obligation française faite aux communes d'accommoder "les peuples du voyage" et les tentatives de scolarisation compatibles avec le nomadisme vs l'ostracisme des "révolutionnaires de velours" et de leur humanisme vénal en Tchèquie et en Slovaquie où le printemps de Prague fut assassiné deux fois).
Le fait est que dans une société de classe et une société reposant sur la propriété privée, les voies spéciales multiples à la kehilot présentent exactement, et pour des raisons strictement identiques, les mêmes problèmes et inconvénient que la théorie de l'universalité néolibérale et inégalitaire. Les communauté juives aux USA (2% de la population) et au Canada en sont la preuve patente: dans l'une la solidarité nationale est au plus bas au point que la défense des quotas est perçue comme une idéologie "un-american"; dans l'autre, les "sujets" les plus riches rêvent de s'accomplir dans la "pairie": les hochets de clubs selects étant préférés à la citoyenneté, malgré les dispositions légales du pays qu'on prétend même faire changer. Par contre, dans ces deux pays le nombre de synagogues et de centres communautaires n'a de commune mesure que la richesse de la minorité plutôt que le nombre de fidèles ou de membres; et les écoles privées ne manquent pas! Chaque communauté peut donc disposer de son autonomie culturelle personnelle et en jouir pourvu que le système des quotas ne vienne pas tout gâché et soit, au maximum, amendé sans modifier l'accès au pouvoir!
Si l'Europe s'avisait d'adopter ces voies plurielles de l'autonomie culturelle et de la multiconfessionnalité, reposant toutes deux sur le règne sans partage de l'entreprise et des écoles privées et secrètant naturellement de tous leurs pores l'inégalité masquée par l'universalisme néo-libéral, alors il faudrait faire ses adieux anticipés à la constitution d'une véritable Europe républicaine et sociale. Cette Europe-là ne peut pas naître de la fragmentation. La solidarité citoyenne européenne ne peut reposer que sur l'harmonisation de solidarités citoyennes nationales dûment renforcées.
CONCLUSION
Sans délaisser Bible, Talmud et kabbale, les Israéliens et les Juifs, notamment américains, devraient vite retourner à l'étude désintéressée de l'histoire, sinon du matérialisme historique, avant que les conservateurs pro-américains parmi eux ne nous entraînent et ne les entraînent dans des voies qu'il importe de savoir éviter dès le début. La "révolution civique" que M. Barak semble vouloir lancer serait de bon présage si elle était accompagnée par la restitution de Jérusalem Est -et le développement d'une souveraineté partagée sur l'ensemble de l'agglomération urbaine que cette restitution préalable rendrait possible.(c) Mieux vaudrait, en effet, en revenir à la tradition des prophètes égalitaires et à l'histoire des luttes pour l'égalité et la non-discrimination de la Diaspora -dont Maïmonide (d), Spinoza et Marx- et militer pour un universalisme vrai voyant la réalisation de la liberté collective et individuelle dans la capacité de créer sans cesse l'égalité concrète des citoyens. Egalité qui subsiste et s'affirme naturellement malgré les différences nécessairement présentes parmi les individus formant une même espèce, dans toutes les formes évoluées d'existence et, en particulier, au sein de la seule espèce terrestre CONSCIENTE de son existence comme espèce et donc de son devenir historique.
Pour ce faire , on l'a vu, il importe de clairement démarquer entre sphères privées et sphère politique, cette dernière reposant sur le nécessaire PARTAGE DU POUVOIR POLITIQUE ENTRE TOUS LES CITOYENS: à cette condition impérative, tous les exclusivismes religieux ou autres pourront coexister dans le privé, transmutant leur lutte en débat philosophique ou théologique, préférablement dans une vision oecuménique, c'est-à-dire, égalitaire, sans jamais déborder sur le politique. Il reste encore aux constitutions laïques occidentales à parfaire leur protection d'une redistribution compatible avec un haut niveau de réalisation de l'égalité, et de protéger très strictement cette égalité et cette liberté avec le même pointillisme que les Conseils constitutionnels et les cours suprêmes protègent aujourd'hui la propriété privée, cette reine douairière non détrônée du libéralisme capitaliste plus que de la démocratie. Si cela était accompli, il resterait encore un énorme champ au politique puisqu'il faudrait encore assurer, au sein de ces constitutions, l'organisation de la production, et donc choisir les modes de production, de propriété et de possession, les mieux adaptés pour ce faire, compte tenu de la lutte de classe interne et de l'évolution du système mondial dans lequel on s'insère.
L'approfondissement du capitalisme par un Etat providence avancé représentait une forme avancée du capitalisme du côté de l'humanisme et d'une plus grande égalité. On se souvient de l'avertissement de FDR: il faut réformer le capitalisme pour éviter la révolution. Or cette autre voie qui devait, à terme mener au socialisme par la voie de la réforme, voie que même Lénine avait reconnue possible pour l'Allemagne en accord avec Rosa Luxembourg, cette voie fut de nouveau barrée par la régression réactionnaire aux mains des Volcker, Reagan, Thatcher et des Friedman monétaristes de tout poil. Le combat n'est certes pas terminé. Mais il n'y a guère que trois possibilités majeures 1) une poussée populaire faisant, à terme, triompher un état social avancé 2) une réaction néofasciste- la destruction physique des opposants étant désormais remplacée par les mesures de contrôle omniscientes offertes par les nouvelles technologies plus encore que par les vieux moyens de manipulation psychologique, i.e. un nouvel esclavage justifié par une nouvelle théocratie 3) un état de guerre larvé entre prolétariat mexicanisé et nouveau néo-libéralisme utilisant les apparences de la démocratie pour faire accepter sa domination. On reconnaît dans cette troisième voie le modèle nouvelle gauche anglais, avec Rawls, Dworkin, Giddens, Blair et Cie officiant comme Grands Prêtres pour définir le nouveau catéchisme "new-speak" de l'égalité inégalitaire.
Bien sûr, ces deux dernières voies fascisantes ouvrent forcément sur l'ensemble de la scène mondiale et la tentation d'imposer l'ordre américain par la force. La priorité sera donc octroyée à la destruction de l'indépendance des élites chinoises et russes - et de celles de tous les autres rivaux potentiels des USA. En ce qui concerne Pékin, on optera pour la stratégie de l'échange d'un surplus commercial important contre l'espoir de l'accroissement d'une interdépendance à forte vulnérabilité chinoise, renforcée par la discipline imposée par l'OMC. Dans cette perspective et tant que cette vulnérabilité s'accroît, le déficit commercial américain importe peu, puisqu'aussi bien Washington sait disposer des privilèges exorbitants conférés par leur monnaie de réserve. On rêve d'établir ainsi un "communisme des élites dominantes" sous contrôle impérial américain.
Deux éléments viennent contrecarrer ce nouveau fascisme global. D'abord la lutte des prolétariats. En Europe et en Asie -en Chine notamment- ils ne sont plus très dupes, et ils apprennent vite à utiliser les principes de précaution et d'exception culturelle afin de faire fonctionner l'OMC à leur propre avantage. Ensuite, les réalités géostratégiques sous-jacentes qui recouvrent des enjeux économiques: ressources eurasiatiques, matérielles et humaines, mais aussi marché de consommateurs et donc force déstabilisatrice, au besoin (dévaluation du rouble ou du yuan). La mise en route du projet de système anti-missiles US et le rôle assigné à Taiwan auront tôt fait de clarifier les choses permettant aux prolétariats du monde entier de s'appuyer de nouveau sur l'Eurasie.
Paul De Marco, Richmond Hill, 5 septembre 2000.
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Notes:
A) v. Yves Plasseraud, "l'histoire oubliée de l'autonomie culturelle", Le Monde diplomatique, mai 2000.
B) Distinguons entre Etat multinational comprenant des Etats fédérés et Etat national pour qui il s'agit de protéger les droits des minorités dans le respect de l'unité nationale, en donnant corps aux garanties existantes, notamment celles découlant des Accords d'Helsinki. Je pense pour ma part que ces garanties doivent être compatibles avec l'unité nationale et la citoyenneté. Des pays comme l'Italie et la France devraient distinguer très nettement entre autonomie linguistique et culturelle sur lesquelles il convient d'innover et sur toute autre autonomie qui ne saurait être qu'administrative. La mise à jour de la décentralisation administrative constitue une nécessité liée au progrès économique et social. La dévolution des pouvoirs d'Etat des Etats nationaux constitue un crime contre la citoyenneté en détruisant les bases nationales de la solidarité.
Les grandes lignes de l'autonomie linguistique pour les minorités nationales - à distinguer des citoyens issus de l'immigration- concerne avant tout l'école. Il est possible que l'on apprenne mieux dans sa langue maternelle bien que la citoyenneté implique la connaissance de la lingua franca nationale, donc le bilinguisme. Encore, faut-il éviter de faire de ce bilinguisme un obstacle à l'accès des minorités nationales aux universités et aux Grandes écoles républicaines. En prenant la situation française comme contexte, le schéma suivant mériterait alors d'être considéré (en pays basque ou en Corse, par exemple). Le choix réside entre le type d'aménagement décrit à grands traits ci-dessous ou une forme moins générale reposant sur le choix individuel des parents, ce qui supposerait le "bussing" et des internats appropriés. L'intérêt de ce schéma consiste à dévoiler de manière très terre à terre ce que l'autonomie impliquerait:
a) jardins d'enfants, maternelle et élémentaire: utilisation de la langue de la minorité comme langue d'enseignement dans les districts et communes désignés. L'étude du français pour tous ne serait cependant pas négligée -ce qui consiste à bâtir sur le vécu des élèves dans leur milieu familial ou entre amis.
b) CM1, CM2, 6-3ème: immersion française pour tous appuyée par des heures consacrées à la poursuite de l'étude de la langue maternelle et l'introduction à sa culture.
c) 2-Terminale: immersion dans la langue maternelle et étude de la culture française. A ce stade, les internats permettent plus de flexibilité pour les élèves dont la langue maternelle est le français, ce qui est à éviter aux niveaux antérieurs pour des raisons de socialisation citoyenne. Le même raisonnement s'applique aux lycées techniques.
d) Universités: une université en langue minoritaire serait créée. Mais cette université serait partiellement bilingue. A ce stade tous les étudiants provenant de la minorité seraient parfaitement bilingues de même que les étudiants appartenant à la majorité: ensemble ils seraient les garants de la préservation dans l'unité des différences, par conséquent, de la richesse culturelle de la nation. Encore faudrait-il prévoir que quelque 30% des cours soient offerts par des professeurs provenant du groupe majoritaire afin de garantir la pluralité des points de vue, tout en offrant des possibilités plus grandes pour le choix des professeurs. A cela, devrait s'ajouter la pratique des échanges de professeurs avec les autres universités nationales.
e) les Grandes écoles resteraient inchangées. Et c'est aussi pourquoi, un contrôle et un suivi pédagogique strict devrait accompagner ce type d'expérience; la méritocratie républicaine ne vaut que par son accès équitable sinon encore égalitaire. L'autonomie culturelle devant se réaliser sans porter préjudice à cet accès.
En ce qui concerne les moyens de diffusion culturelle, les technologies modernes permettent désormais une très grande flexibilité. Il faut cependant veiller à éviter les dérives dès le départ: M. Pinault peut vouloir une TV bilingue en breton et en français; encore faudrait-il que l'Etat se donne les moyens démocratiques pour éviter que la programmation, le fonctionnement, bref le mandat de ces médias ne finissent par porter atteinte aux droits et à la solidarité entre citoyens minoritaires et majoritaires: si Murdoch et Berlusconi disposent chacun de 13% du capital de cette télévision, sa tendance "anti-jacobine" (de l'aveu même de Berlusconi) sera assurée. Le jacobinisme étant ici le mot code pour désigner l'ultime rempart à la contre-réforme néo-libérale et à la pénétration mafieuse parallèle du pouvoir d'Etat en Europe. A cela, la République a le devoir sacré de répondre par l'utilisation de la justice, hors de sa manipulation par certains juges véreux et corrompus.
Dans tous les autres domaines, la Santé représentant le cas emblématique, seule la décentralisation administrative peut être tolérée dans les Etats nationaux, tels la France et l'Italie.
La décentralisation administrative concerne la gestion locale de l'argent public dans les paramètres fixés par des normes nationales puisque le niveau local reste, par principe, plus sensible aux besoins locaux que ne peut l'être l'administration centrale. Mieux, cette autonomie administrative du niveau local permettrait une meilleure planification interactive entre centre et régions, communes et administrations locales. La dévolution législative constitue ici une attaque mortelle à la solidarité nationale et à l'égalité de tous les citoyens. Elle constitue la mort par anticipation de l'Europe sociale encore à naître. Cela dit le budget de l'Etat alloué aux divers domaines -y compris ceux concernant l'autonomie linguistique et culturelle- se doit de tenir compte de la répartisition per capita corrigée selon les divergences notées par le service statistique national. Outre le budget, l'embauche doit faire l'objet d'une attention particulière. Dans les régions jouissant de l'autonomie culturelle, il devrait être possible de considérer sinon des quotas de médecins du moins la formation d'équipe -médecins, infirmières, personnel soignant- de manière à assurer les débouchés nécessaires aux élèves et à répondre aux éventuelles exigences -ou au simple bon goût- des minorités concernant la communication dans leur langue maternelle.
C) v. ci-joint, ma proposition alternative concernant la formation d'une communauté urbaine de Jérusalem, qui définirait une souveraineté partagée sur l'agglomération après restitution préalable de Jérusalem Est.
D) Sans doute du fait de sa situation au sein de l'empire arabe, Maïmonide allait clairement dans le sens de la tolérance sinon de la laïcité lorsqu'il excluait le retour en Terre sainte et l'affirmation de l'élection du peuple juif de ses fameux "13 articles de foi" ayant pour vocation de résumer les croyances fondamentales de la tradition juive.