Economie Politique Internationale
Notes sur la "Lettre à tous ceux qui aiment l'école"
Il ne s'agit ici que de simples notes. Elles sont offertes en toute humilité en ce qu'elles compensent l'éloignement des conditions spécifiques sur le terrain par un regard prospectif plus large que les principaux intervenants ne pourront pas mettre de l'avant comme tel mais qui est loin d'être hors-sujet. De ce fait leur importance ne peut être que relative quoique, je l'espère, non nulle. Car ce contexte plus large ne peut pas être entièrement absent de l'articulation politique de la réforme bien que les stratégies modernes de mise en œuvre des réformes supposent une progression prudente qui évite soigneusement de heurter de front les forces sociales organisées tout en ouvrant de prudentes perspectives que les contradictions naturelles se chargeront d'élargir rapidement par la suite et de transformer de fond en comble. Il importe alors d'envisager la direction générale imprimée aux timides ouvertures enfouies dans un texte complexe dont l'aspect huntigtonien qui lui sert d'étendard ne se résume bien qu'à condition de savoir ce qu'il doit aux néo-conservateurs de la Trilatérale et ce qu'il implique en matière de vision sociale projetée sur le long terme.
A part l'insistance sur " l'autorité ", c'est-à-dire sur le modèle de droite du " maître sur son estrade enseignant à des élèves entonnoirs ", la Lettre mérite d'être lue attentivement et parfois entre les lignes. La volonté de défendre l'école républicaine et laïque représente, en principe, une bonne nouvelle. Reste à savoir si cette pétition de principe pourra résister à quelques lacunes factuelles et à de fortes et insidieuses arrière-pensées qui, on l'espère, n'émanent pas directement du ministre ni de ses proches collaborateurs. Par exemple, passer sous silence ou ignorer que quelques 40 % des jeunes ayant de 15 à 24 ans proviennent de familles d'origine " étrangère " (v. " Le 21 avril sous l'œil d'étudiants en journalisme " in lemonde.fr, le 22 avril 2003) ne contribuera pas à accréditer l'accusation quelque peu idéologique et convenue de " jeunisme ". Plus grave encore, un tel oubli risque de faire sombrer tous les efforts concernant la lutte à l'illettrisme et ceux visant l'inculcation des principes fondamentaux de la laïcité, ceux-là même qui seuls pourraient dissiper durablement les atavismes engendrant le racisme et ses formes particulières, l'antisémitisme et l'antiarabisme. Nous reviendrons sur ce point. Notons en partant qu'il n'y avait aucune bonne raison " scolaire " d'ouvrir de nouveau le débat sur le port du voile, débat pourtant clos par le Conseil d'Etat.
Le programme de lutte à l'illettrisme semble aller généralement dans le bon sens (a) (apprendre à lire, à écrire et à compter et, pour ce faire, mettre à contribution les nouvelles possibilités offertes par les technologies modernes ainsi que les meilleures expériences pédagogiques recensées, baisser le ratio professeurs/élèves, utiliser Internet etc.)
Certaines mesures telles la mise à disposition de cartables électroniques et la mise en ligne du matériel pédagogique s'avéreraient utiles pour mettre la culture ainsi que les outils d'apprentissage électroniques à disposition de tous les élèves. Elles auraient également le potentiel de revivifier la " Francophonie " à moindre frais. On pourrait concevoir une collaboration entre le ministère de l'éducation nationale, le secrétariat responsable de la Francophonie et certaines maisons d'édition liées au secteur de l'éducation nationale visant à mettre gratuitement en ligne sur le site du ministère les cours d'introduction en langues étrangères (et naturellement aussi en français langue seconde) ainsi que dans de nombreux autres domaines. Je pense particulièrement ici aux supports électroniques permettant une grande interactivité des élèves - du genre Assimil.- faciles à télécharger. En général (principe de l'UNESCO visant les connaissances humaines) tous les manuels scolaires devraient être accessibles gratuitement aux étudiant-e-s mais il conviendrait de penser à l'élargissement de cet accès à un public plus large. Encore faudrait-il que cette lutte contre l'illettrisme ne cède pas le pas à son contraire, à savoir la lutte contre l'incivilité et la violence en classe. Le modèle " maître sur son extrade " ne laisse rien présager de bon malgré le fait que l'on reconnaisse explicitement que cette incivilité et cette violence au sein de l'école résultent le plus souvent de l'échec scolaire vécu comme une injustice de plus dans une société qui peine à faire la part entre compétition capitaliste et émulation dans l'acquisition des connaissances. Imposer la discipline en excluant les étudiant-e-s peut faciliter le travail de " l'estrade ". Mais alors autant mettre sur cette estrade un moniteur de télévision et un flic bien baraqué, du genre qu'on voudra, pour contrôler les issues. Un tel dispositif coûterait moins cher ! La Lettre reconnaît cependant la nécessité de substituer les explications (et espérons-le les mesures de prise de conscience et de rééducation) aux sanctions. Pourtant les " ateliers-relais " semblent être davantage destinés à répondre (mal) au ras-le-bol de certains profs ou, plus exactement, de certaines couches sociales, qu'aux impératifs pédagogiques. Je pense personnellement que des groupes ad hoc, composés par des pairs et des conseillers pédagogiques et incluant le cas échéant des surveillants et des professeurs, contribueraient plus efficacement à réinsérer les jeunes les plus réfractaires que des sanctions forcément contre-productives. A une pédagogie moderne ne peut correspondre qu'une " coercition " moderne directement axée sur la persuasion. Ces jeunes en question auraient bien plus besoin d'être mis à l'épreuve dans des situations impliquant leur responsabilité personnelle face à leurs camarades (par exemple en les faisant participer d'office à des comités de classe.) On a beaucoup galvaudé " l'esprit de mai " alors même que ses meilleures influences relèvent tout bonnement de " l'esprit francais " au point qu'il s'est naturellement diffusé de manière irréversible chez ceux-là même qui en remettent certains aspects les plus outrés en question - consciemment ou inconsciemment au nom d'une " inspiration " huntingtonienne, voire à la Lipset et Verba aussi compatible avec l'Hexagone que le carré avec le cercle ! Il eût été intéressant et sans doute instructif de disposer des statistiques portant sur l'impact des comités d'élèves ainsi que celles portant sur les comités réunissant l'administration, les professeurs, les parents et les élèves pour faire pendant aux statistiques portant sur l'incivilité. Car ce n'est un secret pour personne que toute statistique du genre comporte un biais organisationnel prévisible qui incite certains groupes à anticiper leur impact mieux que d'autres. L'autodiscipline ne serait-elle donc plus un des objectifs sinon l'objectif majeur d'une école républicaine et laïque ? Or comment pourrait-elle se manifester si les processus qui l'enfantent sont minés par une vision disciplinaire d'un autre âge ? Quoiqu'il en soit, les formes d'internement, sous le nom qu'on voudra, auront autant de mal avec ces étudiant-e-s que les écoles ordinaires qui partagent le même modèle du " maître sur son estrade " et donc produisent les mêmes mécanismes d'autodéfense qui sont ressentis vulgairement comme antisociaux par l'administration, voire par certains professeurs.
A plus long terme, il semble vain d'espérer lutter contre l'incivilité chronique sans mettre en œuvre des politiques de plein emploi, de construction de logements sociaux et de mixité urbaine et scolaire. Qui ignore par exemple que la concentration scolaire est systématiquement plus faible chez les élèves arrivant à l'école à jeûne ou ayant mal dormi du fait de circonstances familiales et sociales échappant à leur contrôle que chez leurs camarades plus chanceux? Cette remarque ne décrit pas seulement les conditions prévalant dans le tiers-monde. Elle est malheureusement généralisable dans son essence à des sociétés mieux nanties. On ne saurait réduire l'apprentissage des règles de la vie en commun, spécialement dans une démocratie républicaine ayant vocation de défendre " la liberté, l'égalité et la fraternité ", à une question de discipline béate : ceci reviendrait à évacuer le problème et constituerait de fait " une non-assistance à personnes en difficulté ", c'est-à-dire à une négation en acte de l'esprit républicain dont on se réclame. Les Règles républicaines doivent évidemment prévaloir partout et pour tous. Ce qui requiert toutes les nuances et les médiations aptes à provoquer leur internalisation en douceur et leur acceptation par un acte d'adhésion volontaire.
D'autre part opposer l'école comme " lieu de travail " à l'école comme espace " ludique " peut partir d'une bonne intention mais sonne désespérément réactionnaire.
Surtout lorsque l'on enchaîne sur le " calcul mental " comme illustration de ce " travail " ! En dépit de la plasticité du cerveau humain, s'il est vrai qu'il existe 5 formes essentielles de mémoire, il faudra espérer que les prouesses en calcul mental seront réservées aux remplaçants de nos anciens camarades des filières " C " et " D ", autrement la relève en filière littéraire redécouvrira rapidement les gentils oiseaux libérateurs du calcul mental selon Jacques Prévert. Passant ainsi à côté de leurs propres programmes mathématiques qui, pour être allégés, n'en restent pas moins fondamentaux et restent susceptibles, lorsque complétés, de percer rapidement l'inanité de l'impérialisme de certains paradigmes importés tels quels des sciences " dures " (selon l'expression anglaise) et " froidement " appliqués aux sciences sociales. Mieux vaudrait ouvrir les portes permettant aux étudiant-e-s de faire un bon bout de chemin supplémentaire, moyennant les efforts requis et les manuels adaptés chaque fois que le besoin s'en ferait sentir, que de progresser à marche forcée ... dans le désert. (b) A moins que l'on ne veuille faire des cours de math des cours de littérature surréaliste supplémentaires (et peut-être réunire de nouveau les émules d'Escher et ceux de Coxeter !) Je suis de ceux qui pensent qu'à la limite les élèves qui ont des difficultés scolaires en math ou ailleurs sont aussi ceux qui auraient le besoin le plus pressant d'apprendre " à danser " avec le monde ambiant pour mieux l'apprivoiser en s'adonnant aux activités artistiques et ludiques qu'ils préfèrent au sein d'un groupe capable de les inspirer tout en leur inculquant la dure discipline du divertissement, lorsque celui-ci mène au dépassement de soi, en solo ou en groupe.
On peut déplorer, en revanche, que tout le domaine de l'aménagement du temps extra-curriculaire pour les enfants provenant des quartiers les moins favorisés semble passé sous silence. Paradoxalement, les vacances scolaires mériteraient plus de considération pédagogique ! Cet oubli est d'autant plus regrettable que le gouvernement précédent avait entamé une réflexion et accompli des efforts louables dans ce domaine.
Par ailleurs, l'effort annoncé en faveur de l'accession des couches sociales dites " défavorisées " serait méritoire car il recèle en lui tout le potentiel de la mission impartie à l'école républicaine pour favoriser la mobilité sociale et mettre ainsi à la disposition de ses citoyens le meilleur d'eux-mêmes dans le but de les servir. Espérons que cette annonce ne restera pas un vœu pieux.
La Lettre semble aussi concevoir la problématique du " collège unique " sous un jour potentiellement intéressant. Un tronc commun de connaissances fondamentales est proposé dans l'optique d'une modélisation selon les filières scolaires et d'une décentralisation ne mettant pas à mal l'école républicaine comme espace national commun de formation des citoyens. Dans l'abstrait cela semble parfait. Tout dépendra alors de la mise en application et de la conciliation des contraintes scolaires nationales, régionales et locales. Cependant, la Lettre n'aborde pas de manière assez explicite ce qui constitue le nœud du problème en ce domaine. Car il s'agit de concevoir les liens et les passerelles qui devraient exister entre le collège technique et le lycée d'une part (ainsi que leurs prolongements universitaires) et la gestion nationale de la main-d'œuvre. Ou si l'on préfère la question des débouchés et de leur valorisation sociale qui influe grandement le choix de certains étudiant-e-s et leur satisfaction future. A fortiori, le raisonnement concernant les passerelles et les curriculums valent pour ce qu'il était convenu d'appeler l'éducation aux adultes mais qui relève aujourd'hui à plus proprement parler de l'éducation permanente. Il s'agit aussi de savoir comment le corps professoral et les curriculums seraient affectés par ces changements mettant en œuvre une conception radicalement nouvelle du rôle de l'enseignement. Inutile d'entrer trop avant dans le sujet puisque rien d'innovant et de permanent ne pourra être accompli ici si l'on ne négocie pas honnêtement avec les syndicats des professeurs et des personnels de soutien mais aussi avec le Commissariat au Plan et tous les groups d'élu-e-s intéressé-e-s par la politique nationale de développement économique à moyen et à long terme - du moins en ce qui concerne les grandes orientations nécessaires pour assurer la prospérité et l'indépendance nationale. Quelles que soient leurs déclinaisons politiques ces grandes orientations se doivent de recueillir la plus large adhésion. Seulement ainsi pourra-t-on abstraire la réforme scolaire nécessaire du soupçon d'être avant toute chose une politique de classe cherchant à adapter l'école au développement d'une société post-industrielle de plus en plus inégalitaire sur le modèle anglo-saxon. En ramenant le regard au niveau des collèges comme tels, l'orientation des jeunes dès l'âge de 14 ans ne sera socialement (et individuellement) bénéfique qu'en fonction du sérieux mis dans la conception du tronc commun, des filières et des passerelles entre filières. De même que dans les mesures d'accompagnement individualisées destinées aux étudiant-e-s en difficultés passagères. Sans quoi, tout cela deviendra une légitimation facile pour la création de nouvelles voies de garage ; un prétexte d'autant plus commode que de nombreux contemporains partagent désormais le sentiment de Harry Braverman à l'effet que le capitalisme moderne nécessite la surqualification d'un petit nombre allant de pair avec la sous-qualification de la majorité, malheureusement sans partager l'indignation devant cet état de chose ressentie par le grand marxiste américain qui y voyait un aspect emblématique de la propension du capitalisme à gaspiller les ressources sociales les plus précieuses. Sans cette prise de conscience salutaire, la massification des produits dus à l'intelligence artificielle risque de produire plus de " trained gorillas " que le taylorisme traditionnel et provoquera le " retour " " naturel " de la conception de démocratie explicitement censitaire conçue comme forme idéale par Friedrich Taylor en personne.
Les statistiques actuelles en Amérique du Nord, comme en Europe et en France, démontrent ce qui est fondamentalement en jeu : le travail est instinctivement conçu sous deux formes, le travail libre et le travail exploité. Or, nos sociétés oublient trop souvent les liens entre le travail dit " productif " et le travail dit " improductif ", pour les mêmes raisons qu'elles confondent la plus-value extraite par la " productivité " en tant que telle et celle extraite par la " plus-value sociale " (et donc par l'organisation d'ensemble de la reproduction sociale comme force matérielle au même titre que l'organisation est un moyen de production à part entière au sein du procès de travail immédiat.) Sur la base de cette ignorance induite par les rapports de domination de classe se développent des paradoxes navrants tels la précarisation des tâches et des rémunérations, en particulier celles, manuelles ou pas, qui requièrent le plus de force physique mise en œuvre par le travail dit productif, et le transfert via la structure salariale des plus-values produites dans ces secteurs, vers des secteurs dits improductifs mais ne remplissant pas toujours leurs rôles dans l'addition de valeur ajoutée et, par conséquent, dans le bilan des balances externes. On vérifie cela tous les jours au Canada où des sous-traitants, souvent de second ordre mais revêtant le manteau usurpé des secteurs de pointe magnifiés par le Nasdaq et les autres indexes associés, ponctionnent sans gêne la plus-value produite par le travail payé au salaire minimum et abandonné sans syndicat aux agences d'emploi privées et aux déréglementations aux forceps imposées par le libre échange.(c) La revalorisation des filières techniques, aujourd'hui heureusement favorisées par la généralisation des nouveaux gadgets technologiques, devrait passer par la revalorisation des salaires perçus et les opportunités de carrières et de valorisation sociale disponibles au bout du chemin. A cet égard l'évolution des métiers liée à la gastronomie hors grandes surfaces en France est bien plus digne de considération que le modèle des citrons stiglitziens tel qu'interprété par les néocons et serait susceptible d'être reformulée (sur un coin de table ?) en tenant compte des inflexions provoquées par les paramètres contraignants retenus - bien entendu hors du champ traditionnel d'une certaine science économique faisant l'impasse sur sa dimension sociale et sur l'équilibre général du régime considéré ! Autrement dit, une réforme scolaire réussie, fière de sa vocation laïque et de son caractère public, passe aussi par la défense de l'Europe sociale et d'une régulation sociale appropriée à l'OMC puisque la formation sociale nationale s'inscrit nécessairement dans ces instances déterminantes dont il convient pourtant de ne pas subir l'influence dans une impuissance autodestructrice. Concrètement mais non exclusivement, les productions artisanales non-sérielles, reprenant le relais des anciennes productions industrielles ou agroalimentaires, devraient recevoir une protection internationale permettant la création de niches sociales ou régionales intéressantes pour l'emploi comme pour la valorisation artistique du quotidien des gens ce qui serait d'un bénéfice mutuel pour les producteurs comme pour les consommateurs. En amont, la formation scolaire serait donc essentielle. Ceci dit, est-il besoin d'ajouter que la difficulté d'atteindre l'environnement national et international le plus favorable permettant une réforme scolaire idéale devrait naturellement prêcher en faveur du renforcement de la polyvalence et donc de la fonction strictement pédagogique de l'école au détriment de sa fonction utilitaire. La formation doit pouvoir en elle-même préserver l'avenir des individus concernés. Ce choix devrait donc s'imposer pour préserver et favoriser le plus grand éventail de choix possibles au niveau individuel compatible avec l'acquisition d'une bonne culture générale permettant ensuite les ajustements qui s'imposeront avec toujours plus d'acuité. Par conséquent, l'insertion de l'école dans son environnement plus large doit être conçue dès le départ avec soin en tenant compte de cette contradiction inhérente sans la résoudre d'office par un choix de classe par définition non-collectif et non-républicain. C'est aussi ce que la contestation des orientations de la part des parents dit avec éloquence.
Concernant l'autonomie des universités, il est a priori difficile d'en dire beaucoup de choses puisqu'elle met en cause une décentralisation que le législateur est en passe de modifier substantiellement. La pratique et l'implication des agents sociaux concernés dira ce qu'il en est. La déconcentration n'est souvent qu'un paravent revêtu d'habits en apparence plus neutres servant à faire passer le transfert de responsabilités supplémentaires sans toujours prévoir les financements nécessaires pour les assumer. En France, le néolibéralisme ambiant ,allant l'amble avec une certaine mode anti-jacobine assumée aujourd'hui avec insouciance comme un luxe permis par le postulat de l'unicité de la République supposée " une et indivisible ", risque de mener cette décentralisation/déconcentration là où la majorité des citoyens ne désireraient pas forcément la mener. Quoiqu'il en soit, en autant que cette décentralisation/déconcentration ne détruise pas le tissu et les liens républicains vitaux en procédant à une dévolution des pouvoirs législatifs mettant en cause directement les prérogatives des citoyens en tant que sujets politiques souverains au plan national, toutes les expériences administratives, qui s'imposent comme médiations nécessaires compte tenu de l'environnement européen et mondial, semblent légitimes. Il en va de même de la décentralisation appliquée à la réforme scolaire en autant qu'elle s'attache à conserver l'école républicaine comme un espace commun de formation citoyenne en dépit de toutes les mesures susceptibles de rendre le système national plus flexible et donc plus à même de répondre aux contraintes régionales et locales. Au demeurant, nous refusons de jouer ici les oiseaux de mauvais augure et de partir du postulat voulant que l'actuel gouvernement de droite désire mener une politique reaganienne de la décentralisation/déconcentration avec quelques décades de retard et concevoir cette dernière comme le moyen le plus simple d'alléger le poids de l'endettement de l'Etat central en transférant aux collectivités locales des obligations supplémentaires sans aucune contre-partie fiscale. La Lettre (p.152) reconnaît à cet égard l'importante contribution des collectivités locales à " l'effort éducatif global ". Elle atteint déjà 21 % et ne saurait guère augmenter de beaucoup, toutes choses demeurant égales par ailleurs.
Le bât risque pourtant de blesser en ce qui concerne la trop rapide mention des relations entre le public et le privé. Espérons qu'il ne faille pas mettre en doute l'acharnement avec lequel la République francaise défendra son école laïque et publique dans toutes les instances nationales et internationales concernées. La Lettre parle cependant d'un champ plus vaste à ouvrir aux " procédures de contractualisation " destinées à maximiser les interrelations entre le public et le privé. Peut-on a priori penser que les marques connues de la mal-bouffe seront proscrites des enceintes scolaires et des cafétérias ainsi que leurs enseignes publicitaires ? Ce serait la moindre des choses. Plus grave encore, cette ouverture à la contractualisation met en cause un ensemble complexe allant du rôle et de l'utilisation de la recherche conduite dans des institutions financées sur fonds publics à la conception des droits relatifs à la " propriété intellectuelle ". Or, on sait que cette dernière risque d'affecter gravement l'héritage commun de l'humanité par ses prétentions à " privatiser la nature " et les fruits de la connaissance humaine oeuvrant sur la nature ou sur elle-même et, qu'a contrario, elle est simultanément minée par les aspects potentiellement plus libertaires offerts par les possibilités modernes de transmission des connaissances vers des audiences croissantes. Comment en effet ouvrir ces nouveaux champs d'interactions entre le public et le privé sans repenser au préalable ces droits en fonction de ce qui revient justement aux créateurs et à la société dans son ensemble avant même de savoir ce qui peut être légitimement abandonné aux opérateurs privés qui ne contribuent le plus souvent rien d'autre à la création comme telle que leur seul pouvoir de préemption dérivé de positions de monopole ou d'oligopole acquises dans les moyens de transmission de ces oeuvres ?
Ajoutons que la vision en apparence démocratique selon laquelle le créateur dispose d'un droit individuel inaliénable et exclusif pour un temps déterminé aux fruits de sa création n'est pas entièrement conforme à la réalité, hormis dans certains secteurs. Ce " droit " me semble pour l'essentiel purement formel sinon dérisoire pour la majorité des créateurs qui ne peut pas vivre décemment de ses productions à moins que celles-ci ne soient prises en charge par de grandes entreprises privées portées dès lors à concevoir le travail intellectuel selon les mêmes critères de commensurabilité que le travail manuel taylorisé mais pondérés par les effets monnayables du marketing de masse.. Ceci est vrai en dépit des législations les plus strictes et presque par définition les plus susceptibles d'être contournées par les nouvelles technologies lorsque celles-ci ne sont pas captées par le privé. La manière la plus simple de poser le problème (sa résolution étant une affaire économique, politique et sociale) consiste à dresser trois modèles heuristiques archétypaux. Malgré leur signification relative, ils sont à même de faire ressortir instantanément la grandeur individuelle et sociale du travail intellectuel accompli au sein des institutions publiques appropriées dont l'UNESCO résume naturellement la philosophie. Ces trois modèles sont le modèle hollywoodien, le modèle du petit producteur intellectuel " indépendant " (PPII) en société capitaliste, et le modèle collectiviste. Dans le premier cas, le créateur payé par le possesseur des moyens de production et de distribution reçoit un émolument et perd par le fait même tout droit ultérieur à ses créations, y compris celui de les réviser. Le créateur est ici aussi " libre " que n'importe quel ouvrier face à " l'homme aux écus " mis en scène par Marx. Le PPII, à son meilleur artiste bohème malgré lui, dispose des protection légales des droits d'auteur développées par le capitalisme avancé qui a appris à gérer ses relations et ses alliances de classe avec une petite bourgeoisie tenant mordicus aux garanties chantées par le libéralisme " classique " à la John Stuart Mill en dépit du fait que les grandes corporations décrites par Hilferding, Lénine d'abord ou Berle et Means aux USA peu après, aient définitivement remplacé le vaillant épicier du coin et que les multinationales se soient substituées à Davy Crockett comme fer de lance de l'expansionnisme capitaliste. Car, ainsi que Lénine l'avait déjà démontré, le capitaliste intelligent, c'est-à-dire celui qui perçoit les contraintes imposées par les lois de mouvement du capital, préférera toujours opter pour les innovations susceptibles d'approfondir la productivité de ses propres entreprises puisque cela lui confère un avantage tant sur ces compétiteurs internes qu'externes. Barnett et Muller dans les années 70 (v. Global Reach) montraient à loisir la stratégie développée par les oligopoles et quasi-monopoles pour contrer ou coopter les innovations susceptibles de leur faire ombrage une fois que leur créateur (disons le vaillant entrepreneur de Schumpeter profitant des connaissances mises à disposition gratuitement par l'éducation publique) réussissait à atteindre une taille viable. L'achat de ces entreprises entraînant immanquablement l'élimination de produits alternatifs ou leur massification au profit de nouveaux propriétaires n'ayant rein contribué à leur développement. Depuis l'affirmation de la Silicon Valley comme phénomène de société allant de pair avec la sous-traitance et le just-in-time qui lui fait pendant, rien de neuf n'a émergé à cet égard sauf bien entendu, la tentative de transformer les PPII en " hollywoodiens " par le biais de la frauduleuse main-mise sur le travail d'autrui qui s'affiche sous le nom trompeur de " convergence " dans une synthèse de l'exploitation verticale et horizontale, du cartel et du trust, propre à assujettir le PPII à la tyrannie de la logique publicitaire ajoutée à celle de l'entreprise ! Même dans les pays où les PPII sont les mieux protégés, il demeure qu'aucun d'entre eux (à quelques exceptions près) ne peut survivre sans le marketing mis en marche par les diffuseurs dans un environnement très incestueux, de sorte que la lame de fond dont on vient de parler s'impose peu à peu ici comme ailleurs - en cooptant idéologiquement nombres de PPII qui déchiffrent mal le rôle objectivement réactionnaire de leur vaillante défense des droits d'auteur traditionnels. Le modèle collectiviste serait en principe le plus à même de respecter la vocation et le travail des artistes et des producteurs intellectuels. Ils sont alors payés par l'Etat ou bien par les institutions publiques, et conservent scrupuleusement leur droit d'auteur sous une forme nouvelle destinée à reconnaître leur rôle historique individuel ou collectif primordial dans la conception des œuvres qui deviennent par ailleurs propriété collective commune de l'espèce humaine. On connaît les écueils de ce modèle dans les variantes tentées jusqu'ici. En particulier, le risque trop évident de l'assujettissement de la liberté du créateur à un Etat parton, sinon à sa police. Il est possible que ce risque puisse être supérieur à celui de l'assujettissement à des patrons (mécènes ?) capitalistes mais cela resterait à prouver car, dans le pire des cas, il faut tenir compte de l'utilisation de la langue d'Esope comme fer de lance codé de la critique sociale plus encore que de la critique en rupture ouverte symbolisée par les samizdats (qui ne sont viables que grâce à un soutien externe qui les dévaluent quelque peu). Nous ne referons par tout Montesquieu ici : rappelons seulement le rôle qu'il assignait à la société civile comme contre-pouvoir ainsi que l'a magistralement démontré Althusser, un rôle qui n'est en rien incompatible avec le collectivisme, y compris dans ses formes étatiques transitoires. Il est vrai que le conformisme de la pensée fut historiquement le plus grand ennemi du modèle collectiviste, la pression du groupe devenant vite oppressive en l'absence des médiations nécessaires pour réaffirmer l'autonomie de chacun. Cependant, contrairement à ce que l'on pourrait penser, " le ver n'était pas dans le fruit " ici comme ailleurs et l'extraordinaire explosion culturelle due à l'avant-garde russe n'a rien à envier à celle du Bateau lavoir, malgré sa courte mais signifiante durée. Dans une société capitaliste avancée où les forces sociales progressistes refuseraient à la fois les modèles hollywoodiens et PPII, les potentialités de ce modèle collectiviste mériteraient d'être revisitées. Il devrait être adapté à l'alliance avant-gardiste seyant le mieux à un Etat social avancé conciliant un large soutien public accordé aux créateurs avec la mise à disposition " gratuite " de leurs œuvres aux citoyens en vu d'accroître leur productivité nationale globale mais aussi leur " richesse " collective accumulée. Une richesse qui échapperait largement à l'opération directe du capitalisme comme mode de production et par laquelle se manifesterait une logique alternative que les écologistes les plus conséquents connaissent bien. Les problèmes potentiels sont prévisibles mais, plutôt que d'être considérés comme des écueils, ils devraient pousser à une plus grande réflexion concernant les médiations culturelles et institutionnelles les plus à même de concilier liberté personnelle et intérêt collectif sans rien sacrifier ni de l'une ni de l'autre. Il serait vain de croire que l'on peut faire l'économie d'une telle réflexion, puisque ceci reviendrait à abandonner les créateurs et leurs institutions, notamment les universités et les instituts de recherche, à la logique dévastatrice de l'entreprise privée, fût-ce par le biais de la " contractualisation. " Une logique peu compatible avec la recherche pure, ce qui est tout dire. A cet égard les conditions qui seront faites aux universitaires et aux chercheurs anticiperont les tendances dominantes qui s'imposeront comme " la loi et les prophètes " à l'ensemble de la société. Dans une ébauche du modèle collectiviste adapté à l'Etat social avancé, l'auteur employé public resterait nominalement le propriétaire de ses œuvres mais recevrait probablement un pourcentage des profits que la société (entreprise publique ou privée) réussirait à en tirer, indépendamment du jugement que la prospérité portera sur leur valeur intrinsèque. Ceci simplifierait de beaucoup les aspects pécuniaires et plus encore éthiques reliés aux brevets et à la marchandisation des créations intellectuelles. Car, quand bien même l'expression plus ou moins authentique de la vox populi qui sous-tend tout succès de foule (et de mise en marché) ne reflèterait que le goût du jour, cette réflexion de la société sur elle-même joue néanmoins un rôle plus profond qu'il n'apparaît à premier abord (elle milite dans tous les cas pour une éducation générale du goût en tant qu'outils de liberté et d'égalité.) En mettant au mieux, Telemann n'est pas Mozart mais il reste néanmoins important pour l'histoire de la musique et des goûts musicaux, ces révélateurs sociaux discrets faisant plus ou moins de " bruit ". En tout état de cause, la situation faite aux intérimaires, souvent adeptes d'une bohème forcée scandée par l'assurance-chômage, montre le danger qu'il y aurait à ne pas poser la question des alternatives. A l'heure d'Internet et de Napster (et de ses émules), il est étonnant que des coopératives égalitaristes d'artistes ne se soient pas déjà imposées pour utiliser le potentiel des nouvelles technologies capables de magnifier leur liberté de création ainsi que leur possibilité de marketing hors des réseaux asphyxiants des grands médias et des grands oligopoles. Ces coopératives pourraient aisément adopter la forme de redistribution interne qui leur conviendrait selon l'importance donnée au succès individuel. Comme toujours l'écueil principal serait celui des critères de " sélection " des membres. Il est très largement factice et peut être contourné par des critères objectifs adoptés en commun. Quoiqu'il en soit, cet obstacle ne serait certainement pas insurmontable surtout s'il était appuyé par l'Etat. Les coopératives impliquées vaudraient bien mieux que les institutions en place lesquelles, de par leur biais commercial systémique, ne favorisent en fait que les gros cachets, et parfois la production commerciale. L'asservissement des PPII les mieux cotés par le biais de la concentration privée des entreprises de production et de diffusion repose tout autant sur la précarisation d'une partie du prolétariat que toute autre entreprise ayant compris les avantages pécuniaires et antisyndicaux d'une force de travail fortement duale. Les universités employant un corps de plus en plus nombreux de professeurs sans statut permanent illustrent cet état de fait (et ce gaspillage) aussi bien que le monde du spectacle. Ceci n'est pas l'endroit approprié pour pousser plus avant cette analyse. Cependant on m'accordera qu'elle demeure primordiale pour cerner le monde contemporain et qu'elle ne saurait être esquivée sans danger par une référence rapide à la " contractualisation " lorsque cette contractualisation concerne justement l'éducation nationale. Ceci est d'autant plus vrai que le concept de force de travail duale remonte aux années 60/70 (notamment Piore) de sorte que les pratiques qu'il servait à appréhender sont aujourd'hui en passe d'être dépassées donnant lieu à de nouvelles contradictions dont l'acuité va croissant. Le concept de nouvelle domesticité plus que celui entièrement fallacieux de " fin du travail " révèle bien la dérive possible qui commence d'ailleurs à être amorcée particulièrement dans les pays anglo-saxons ou dans les pays fortement inspirés par eux, comme les Pays Bas. Il ne semblerait pas que la structure " upstairs/downstairs " puisse être durablement déclinée en français sauf peut-être avec la grâce analytique d'un Alain Renais, la " France d'en bas " ne se comprenant pas sans Hugo ou Proust. Les 35 heures et plus largement la RTT restent dont un choix paradigmatique social qui est loin d'avoir donné toute sa mesure. (d)
La Lettre insiste conjointement sur la laïcité et sur la nécessité d'introduire des enseignements portant sur la religion dans le cursus scolaire. Ceci mérite la plus grande vigilance. Nul doute que le sujet soit à la mode ces temps-ci. Cependant, à mon humble avis, il pâtit d'avoir été coopté par des auteurs qui y virent trop rapidement un moyen de faire valoir leurs nombreux talents ou leur trop grand enthousiasme.(e) Chacun est bien entendu libre de faire valoir son opinion. Encore faudrait-il reconnaître qu'il s'agit d'un sujet par essence difficile. Il n'est pas discernable à une ontologie ordinaire, encore empêtrée dans son XIX è siècle ou pour mieux dire à plus proprement parler sa préhistoire.(f) Pour le dire métaphoriquement, la chimie éclaire scientifiquement l'alchimie mais l'inverse n'est pas vrai quand bien même de grands auteurs comme Hélène Metzgerélène etz... (g) démontrent avec brio qu'elle recèle un ensemble d'intuitions et d'expérimentations pré-scientifiques qui restent d'une immense richesse. En outre, ce sujet ne saurait être abordé honnêtement ou de manière éclairée sans partir des données de fait les plus fondamentales. Elles sont au nombre de trois :
D'abord et avant tout le lent et insidieux laminage de la laïcité à la fançaise (la seule forme de laïcité cohérente à ma connaissance) par un mouvement régressif vers son contraire, à savoir la " multiconfessionnalité " qui, par essence, peine à accepter l'option laïque et plus encore celle athée avec laquelle elle est symptomatiquement confondue. Taire l'aspect philo-sémite nietzschéen de cette volonté de " retour " serait indigne de ce qui est naturellement attendu de toute personne prétendant s'intéresser au secteur de l'éducation. On peut simultanément entrevoir la possibilité d'un refuge dans les catacombes pour les opposants de cette " multiconfessionnalité " désormais très " born-again " et très préventivement armée, mais cela revient à abandonner sans combattre la neutralité laïque de l'école à des agendas politiques peu républicains. Le point de départ ne peut pas être l'absence de la religion dans les écoles publiques et privées puisque cette absence n'est qu'une vue de l'esprit rendue opaque par des choix idéologiques, conscients ou pas, et ne correspond en rien à la réalité de l'alliance entre la bourgeoisie française et le haut clergé, au moins depuis Jules Ferry et Falloux. Dans un contexte délétère de regain d'une pseudo-spiritualité plus ou moins " new-âge " qui n'oserait pas avouer sa réelle provenance dans la plupart des cas (pensons aux sectes de Hubbard, Moon, Steiner et tant d'autres), certains semblent développer une mauvaise conscience confondant à dessein anticléricalisme et anti-obscurantisme. C'est leur droit mais cela ne concerne en rien la République ni l'avenir de son école. Vu la place déjà occupée par les écoles privées, et leur biais institutionnel pour le religieux en tant que hiérarchie de référence, la priorité devrait plutôt être la reprise en main des curriculums et des financements par la République en vue de préserver leurs aspects laïques et avec eux le libre arbitre et la liberté de conscience sans laquelle le citoyen ne peut se réaliser comme tel. Cette dangereuse confusion devrait donc être dénoncée avec la plus grande fermeté. Il convient également de rappeler à ceux qui auraient tendance à l'oublier que la laïcité est un principe qui figure au nombre des plus fondamentaux parmi les principes fondateurs de la République (h) . Cela n'interdit pas, le cas échéant, lorsque l'égalité des citoyens peut être mise à mal en tant que telle ou que le maintien de l'esprit de tolérance en dépende, que celle-ci trouve des accommodements dans sa mise en application, mais en gardant toujours à l'esprit que les gains dérivés en matière de laïcité doivent dépasser les dommages pouvant en résulter. Cependant chaque fois que l'espace public commun risque de pâtir, il est bon de tenir à l'esprit que toutes les religions disposent elles-aussi de la flexibilité nécessaire : ainsi certaines tendances judaïques de plus strictes observances usent d'exceptions tels les " erubes " en cas de nécessité, les musulmans, pour leur part, ont appris depuis toujours à procéder à leurs ablutions et à leurs prières dans le respect de l'esprit des textes chaque fois que le respect de la lettre s'avérait impossible. Les exemples peuvent être multipliés. On peut formuler le principe général de manière succincte : la laïcité exige que les religions renoncent définitivement à leurs prétentions théocratiques parallèlement au renoncement par l'Etat de ses prétentions à s'ingérer dans la sphère de la vie privée et de l'intimité des citoyens. C'est pourquoi les éventuelles exceptions relèvent principalement des religions chaque fois que l'espace public est remis en cause sauf si l'exigence de telles exceptions de la part de religions particulières les mettraient en situation d'inégalité par rapport aux conditions générales faites aux autres religions historiquement établies ou majoritaires. Les passe-droits sont incompatibles avec l'égalité laïque. En tout état de cause ,on voit mal pourquoi un certain retour régressif de la religiosité dans la sphère politique nous priverait de la sagesse pratique pourtant inscrite dans ces rituels, cette flexibilité si salutaire chaque fois que les possibilités d'épanouissement d'une citoyenneté pleine et entière sont remises en question.
L'aspect pédagogique intrinsèque. Le meilleur moyen de résumer ce qui est en cause ici consiste à parler de " dialectique tronquée ". Ce ne sont pas des hasards, en effet, si la Cathédral de Chartres s'élève sur l'emplacement d'un important centre du culte druidique, si certains ont pu faire du principe de la " concordance " un outil méthodologique révélateur (quoique de maniement délicat) s'avérant efficace hors de son espace culturel et historique donné, ou encore si un pionnier comme Jacques Roumain pouvait pousser l'analyse des aspects syncrétiques si évidents dans la religion et les croyances haïtiennes. Mythes plus ou moins organisés en hiérarchies stables et mystère (purement scientifique) relevant de la réalité de ce qu'il est encore convenu d'appeler l'irrationnel se superposent constamment, l'aspect inexpliqué du second nourrissant sans cesse le " regain " des autres. Le socialisme réel n'avait pas davantage tort que l'athéisme classique de vouloir confiner cet " irrationnel " à un espace privé, strictement laïque, devant être compris scientifiquement plutôt que d'être abandonné aux manipulations des popes et autres prêtres attitrés qui ne disposent pas d'une meilleure connaissance intrinsèque de ces phénomènes mais qui ont néanmoins appris à asseoir leur pouvoir de caste sur lui, souvent en profitant de la crédulité des " bonnes gens ". (i) Pourtant le socialisme réel, de même qu'un certain athéisme réactif, ont jusqu'ici péché dans leurs tentatives d'admettre ouvertement leur partielle ignorance en matière " d'irrationnel ". A strictement parler, Lénine n'avait pas tort de dénoncer la religion comme un " opium du peuple ", c'est-à-dire une forme aiguë d'aliénation doublée d'une forme institutionnelle d'endoctrinement bien rodée et disposant d'une expérience plusieurs fois centenaire. Cela est si vrai que les nietzschéens de toujours, philo-sémites ou pas, cherchent sans cesse à s'approprier cette distillation de l'obscurantisme et de l'obéissance béate pour instaurer leur " retour " à une société de caste dont ils savent pertinemment qu'elle serait instable sans les arcs-boutants de cette mystification. Ce n'était cependant là qu'une donnée du problème. Faute de s'en rendre compte, la psychiatrie socialiste sombra, elle aussi, dans une certaine inhumanité justement parce que les faux-fuyants potentiellement obscurantistes (d'ailleurs mal rattrapés par une pensée religieuse classique et convenue, occultée et " scientifiquement " inavouable) utilisés par le freudisme et toutes les psychiatries bourgeoises lui étaient interdites " idéologiquement " mais également prohibées en toute bonne conscience. L'erreur méthodologique puis, plus gravement, l'erreur pratique fut de céder à la tentation de résoudre le problème en le niant purement et simplement puis, en désespoir de cause, à lui trouver une explication relevant presque strictement des besoins politico-idéologiques d'un système progressant vers un dirigisme de commandement et contrôle généralisé dans lequel même (surtout ?) un W. Reich ne pouvait avoir de place quand bien même on aurait fait abstraction de ses théories et pratiques les plus farfelues, qui, loin d'être expérimentales au sens scientifique du terme, devenaient toujours plus une expression supplémentaire du désarroi de la discipline. Or, pour réaliser quel vaste domaine peut être abandonné par pure ignorance et méconnaissance des faits à la " marginalité " et la " déviance ", c'est-à-dire à la moindre non-conformité avec le moule dominant, il suffit de se reporter aux volumineux ouvrages de référence (bibles ?) de ces disciplines plus propres à créer des chapelles que de la connaissance et moins encore de la guérison ! Nier la réalité ne la fait pas disparaître pour autant : au contraire ,cette négation factice engendre des effets pervers suivis de mises en œuvre de stratégies et de médiations destinées à rendre de nouveau le monde intelligible et supportable envers et contre toute explication factice. Aussi aucune conscience libre, responsable et consciente de l'Être ne peut jamais émergée d'une dialectique tronquée. En ce qui nous concerne ici, cela implique une connaissance du fait religieux, non comme d'une science de l'irrationnel, ce qu'elle ne peut jamais être, mais plutôt comme la prophylaxie historique et méthodologique révélant le nécessaire parcours du libre arbitre et exposant les conditions pérennes de la dialectique entre rationnel et " irrationnel " que ni les religions (explications synthétiques du monde) ni la science (expérimentale et positiviste) n'ont jusqu'ici entièrement compris. Une prophylaxie qui devrait en principe aussi plaire à ces religieux qui ont appris à mettre la qualité spirituelle à laquelle ils aspirent avant les rituels convenus et souvent inadaptés imposés par leurs hiérarchies. C'est-à-dire à tous ces religieux qui ne tentent pas d'éluder, par un fallacieux retour à une orthodoxie archaïque, les problèmes réels de société à peine esquissés par Vatican II en ce qui concerne l'Eglise catholique ou ces autres problèmes pressants qui opposent juifs réformés et juifs ultra-orthodoxes, ou encore ceux qui agitent les églises protestantes, les tendances musulmanes et tous les autres cultes connus et qui sont tous, au fond, de même nature. L'irénisme est ici mauvais conseiller. C'est seulement en montrant la grandeur et la misère des religions et de la science dans leur appréhension respective des dialectiques tronquées qu'elles se sentirent contraintes de mettre en œuvre, avec plus ou moins d'acharnement et d'aveuglement, que l'on pourra faire émerger la leçon essentielle de la tolérance - y compris vis-à-vis de ce qui demeure encore inexpliqué- hors de tout danger exclusiviste. La Lettre fait la distinction entre les diverses formes de " catéchisme " qui n'ont pas leur place dans l'école laïque et l'enseignement de l'histoire des religions. Elle récuse aussi toute forme de prosélytisme. Mais elle semble prendre pour acquis que les religions constituent une science en soi, ayant un objet de connaissance propre, ce qu'elles seraient bien en mal de prouver. L'émergence historique et tout à la fois contemporaine de la responsabilité et de la liberté des consciences, voilà me semble-t-il ce que l'histoire des religions et des sciences ont en commun et ce qu'il importe d'introduire dans les curriculum pour éviter tout relaps dans l'obscurantisme de caste, surtout lorsque certains groupes, aujourd'hui puissants, s'efforcent, les armes à la main, d'imposer cette régression comme un progrès nécessaire.
Cela admit la manière d'introduire le sujet dans les curriculums s'impose comme allant de soi du fait de la progression même des connaissances pertinentes. Il fut un temps durant lequel le peuple italien, héritant malgré lui du Temple-Vatican, retrouva sa santé psychologique grâce au Décaméron de Boccaccio dont Plutarque encouragea l'écriture en toute connaissance de cause. Cela n'échappa d'ailleurs pas à La Fontaine qui en reprit l'esprit libertaire si compatible avec le gallicisme de l'Eglise à son meilleur. S'il n'est pas envisageable que ces ouvrages soient mis au programme des classes moins âgées n'en oublions pas la leçon essentielle qui était de retrouver l'humanité encore intacte malgré les mutilations infligées par la religion. Le jardinier s'emploie parfois sur ses boulingrins avec un redoutable acharnement. L'ethnologie moderne ne retrouve-t-elle pas ce même esprit de communion sans a priori avec ce qui est humain en décentrant son regard et en élargissant ses horizons ? Une introduction même sommaire à l'ethnologie moderne et à la mythologie ou, à défaut, l'incorporation de ses leçons essentielles dans les cours existant, constituerait l'avenue pédagogique la plus saine - et sans doute la mieux adaptée à la patrie culturelle de Jean-Jacques Rousseau. Ni Feuerbach, ni Marx, ni Lévi-Strauss, Vernant, Bottéro, voire Barthes, n'ont consacré des vies entières à cette question pour qu'elle soit aujourd'hui abandonnée aux mains de kabbalistes et d'exégètes divers (religieux ou " laïques ") agissant en ce domaine comme les pilleurs au Musée National de Bagdad sachant jouir de l'impunité et d'appuis puissants! Il n'est d'Etre Suprême que la Raison, sous quelque forme qu'elle se manifeste. C'est-là le cœur battant de la République, la haute incarnation irrévocable de son humanité.
On a pu voir à l'émission Campus télédiffusée par TV5 (jeudi 24 avril 2003) l'éminent savant M. Albert Jacquard rappeler que le credo de Nicée (et, sous réserve de lire son livre, par extension tous les credos des religions constituées, voire de toutes les religions possibles, (Note: voir ci-dessous pour le résumé de ma lecture du livre début mai 2003*), consiste à exiger de croire alors que la science exige le doute, l'investigation et des démonstrations reproductibles. La théologie et l'herméneutique à leur meilleur n'exigent-elles pas la même vigilance et la même responsabilité ? Eludant la question d'autres intervenants ont préféré décréter comme une vérité allant de soi, sinon une vérité révélée, que la religion et la spiritualité avaient trait au problème de la mort et à celui du salut. Notons que le deuxième mot constitue déjà une pétition de principe eurocentrique, voire égocentrique, et démontre une dérisoire connaissance de la genèse des religions comme de la genèse de la pensée magique puis de la psychiatrie (particulièrement freudienne) ainsi que des trop méconnues inter-relations entre les deux approches. Une telle réduction présente la déplorable certitude d'être méthodologiquement peu fertile (pour reprendre ici le mot de l'épistémologue positiviste Popper, qui croyait lui aussi aux " miracles ") à l'heure même où la science découvre pour la première fois des centaines de planètes potentiellement semblables à la Terre et où la physique de l'infiniment petit laisse entrevoir la possibilité matérielle de mondes parallèles intrinsèquement terrestres que seule la mathématique abstraite d'un Lobatchevski avait pu concevoir jusqu'ici. Cela reviendrait à comprendre Kant aujourd'hui sans ternir compte des changements dans la compréhension de l'espace et du temps selon les référentiels considérés, ce qui serait encore le plus sûr moyen de passer à côté de la laïcité profonde du penseur chrétien qu'il fut. Il y aurait là potentiellement le berceau d'une catastrophe politique et scientifique à venir ! Abraham, Mahomet, un prophète ou un shaman quelconque, a bien le droit de croire à la bienveillance de son inspiration, voire de ses voix. Cependant, cette certitude n'est pas le lot du commun des mortels, de sorte que, mythologie à part, force nous est de constater que ceux-là prennent le soin de limiter leur message universel central, hors scories ajoutées par divers commentateurs plus tardifs, à un petit nombre de préceptes mettant tous en cause la libre adhésion et la responsabilité individuelle et collective. Des préceptes qui, dessein, coïncidence ou confluence concrète des dialectiques de l'investigation et de l'exposition, incarnent à si méprendre les critères épistémologiques et méthodologiques de base de toute science qui se respecte. Toute genèse, tout récit mythologique relève de la pensée synthétique, y compris l'Epopée de Gilgamesh et ses nombreux avatars plus ou moins heureux. La religion peut-elle être autre chose qu'une médiation opérant politiquement et psychologiquement à ce niveau-là ? Quoiqu'il en soit, lorsqu'une religion abandonne l'entêtement aveugle à ses croyances et aux devoirs potentiellement mutilants de sa foi pour mettre la responsabilité des consciences personnelles à contribution, elle se mue en autre chose quand bien même toute la réalité du monde ne serait pas encore révélée au point d'être devenu un " livre ouvert ". C'est, je crois, M. Jacquard qui a raison.
Depuis la mise en place de structures socio-politiques suffisamment démocratiques pour permettre l'éclosion et l'épanouissement de consciences citoyennes, donc libres, il en est de la " fin de la religion " exactement ce qu'il en était de la " fin de la philosophie " : ce qui devait être antérieurement accouché par une intervention exogène fait naturellement partie de la " praxis " quotidienne des gens aux prises avec les conditions du monde contemporain. C'est ce que Marx disait magistralement dans une de ses Thèses à Feuerbach. Parce qu'il reste un petit pas à faire en matière de compréhension de ce qu'il est convenu d'appeler l'irrationnel, il faudrait abandonner tout le terrain conquis de longue lutte contre tous les obscurantismes et les exclusivismes et revenir en arrière en prétendant, tambours battants, aller de l'avant ? Il y a des chutes qu'il faudrait savoir s'épargner. La Lettre parle du " fait religieux " en occultant trop facilement les luttes internes et les guerres de religions qui lui sont dues et qui continuent à tuer plus saintement que le communisme réel ne l'a jamais fait, en mettant désormais en lice des guerres préventives baptisées " guerres justes " par des thuriféraires religieux du pouvoir et sans jamais hésiter à apporter la " bonne nouvelle " à grands coups de bombes " intelligentes " de plusieurs kilotonnes, ces engins barbares propres à faire retourner un Las Casas dans sa tombe ! Les yeux sont pourtant faits pour voir comme les oreilles pour entendre, nous dit-on. Une histoire des religions qui ferait l'impasse sur les guerres de religions serait une misérable régression qui n'augurerait rien de bon pour l'avenir de la tolérance.
Heureusement, la journée des élèves comme du commun des mortels n'a que vingt-quatre heures, de sorte que le retour à la pratique devient étrangement salutaire. A moins que l'on ne veuille forcer le curriculum scolaire au détriment de l'éducation générale. La tendance jusqu'ici fut de considérer que l'histoire des religions jusqu'à la fin du secondaire ne pouvait faire l'objet de cours à part. En autant que la laïcité définisse les paramètres de toute introduction éventuelle de cette histoire, cette tendance reste la bonne. Dès lors, tout devient plus simple et moins tendancieux. Il suffit de garder à l'esprit les deux aspects de cette histoire, soit le temporel et l'ontologique. Pour le reste, Marx avait déjà remarqué comment l'histoire de France se prête naturellement à un exposé des valeurs clés de la laïcité. Ainsi les cours d'histoire proprement dits pourraient ajouter quelques exposés sur la vision du monde de nos ancêtres à des moments pouvant être considérés comme des charnières. Par exemple, pour l'histoire de France proprement dite dans ses relations avec l'histoire européenne et mondiale, les sacres de Clovis et de Charlemagne sont utiles pour introduire les distinctions entre le temporel et le spirituel, la personnalité de Saint Louis ouvre la porte à une discussion du droit divin et des croisades. L'Espagne, 1492, les guerres de religion et l'Inquisition, L'Edit de Nantes et sa révocation (lieu privilégié, s'il en fut), les Maquisards des Cévennes et les Dragonnades, cette version française de La guerre des paysans, et ainsi de suite, en passant par les Arbres de la Liberté et les références à l'Etre suprême et jusqu'à Mai 68, sans oublier Jules Ferry, voilà autant d'autres moments cruciaux. En somme, il s'agirait ici plus d'une emphase prophylactique que d'autre chose. L'introduction à l'histoire de la Mésopotamie et de l'Egypte ancienne reste par ailleurs le meilleur moyen d'effectuer cette " décentration " cognitive si chère à Piaget. Par son droit d'aînesse légitime, elle est naturellement propre à l'exposition, hors de tout exclusivisme, de nombre de notions (genèse, immortalité, déluge, amitié etc.) qui, avec celles typiquement humaines chantées par l'Iliade et l'Odyssée constituent l'ossature principale de la civilisation européenne et ses traits-d'union avec l'histoire universelle. La littérature ( le Molière l'auteur du Tartuffe et de Dom Juan n'est-il pas la meilleure introduction à la " spiritualité " pour les jeunes esprits concernés ?) et la philosophie pour les finissants se prêtent aussi naturellement à l'introduction des concepts de base, tant ontologiques que méthodologiques, valables pour toute réflexion consciencieuse mettant en œuvre les domaines scientifiques, le fait religieux et bien entendu l'éthique. A l'université les précautions à prendre deviennent moins rigoureuses puisque l'esprit des étudiant-e-s est déjà formé et que le matériel (mythologie, ethnologie etc.) contient en lui-même ses propres garde-fous, s'il n'est pas présenté de manière insidieuse donc peu universitaire. Il serait bon alors de faire en sorte que toute cette tempête soit confinée à son bénitier ou à sa tasse de thé, qu'ils soient dadaïstes ou pas, selon les goûts. En outre, il serait bon de rappeler que le système actuel en la matière est déjà naturellement excellent, de sorte que l'on peut légitimement vouloir l'améliorer pour mieux contrer des dérives modernes déjà perceptibles à l'œil nu, mais, de grâce, que l'on s'interdise toute marche en arrière par respect pour la liberté des élèves, ces futures citoyennes et citoyens. Qu'on me permette enfin d'ajouter que l'exemple de la France reste d'autant plus important en ce domaine qu'il est emblématique d'une manière de penser l'éducation comme formation à la liberté et à la responsabilité citoyennes.
La Lettre insiste à juste titre sur la nécessaire revalorisation de la recherche et du statut des chercheurs. Elle bénéficie d'une connaissance intime de ces besoins dans les domaines les plus en pointe. Aussi c'est naturellement que l'on tient compte des données de la prospective et de celles de la planification dans la longue durée. Il n'y a donc pas grand chose à ajouter au constat sinon peut-être le curieux oubli des mesures d'urgence à prendre pour favoriser et atteindre la parité partout dans ces domaines de pointe sans succomber à la tentation facile de sacrifier fallacieusement la nécessaire mixité plutôt que d'affronter intelligemment les obstacles culturels qui font aujourd'hui obstacle à cette parité dans la mixité en vue de les lever. Pourtant qui parle de recherche aujourd'hui peut difficilement éluder les contraintes financières. Il devient alors primordial de replacer ouvertement le débat dans son contexte plus vaste qui est celui qui conjugue recherche, indépendance économique et modèle de société. La France n'est pas sans expérience et savoir-faire lorsqu'il s'agit de développer des stratégies capables de tirer le meilleur parti des institutions européennes et mondiales quitte à inciter et à soutenir leur mise en place. Considérant les contraintes budgétaires ambiantes que la conjoncture économique ne semble pas vouloir alléger, quelques pistes de réflexion visant à tirer le meilleur parti des expériences passées devraient être considérées. J'en mentionne ici cinq qui me paraissent utiles :
1) Le réexamen approfondi des synergies et des possibilités de financement européennes spécialement dans les secteurs les plus menacés dans le contexte actuel, à savoir la recherche pure et la recherche appliquée destinée à en tirer le meilleur parti pour la société civile sans mettre en danger la sécurité nationale. Comme une partie de la recherche est et devrait continuer à être tirée par des impératifs liés à la sécurité nationale et par conséquent au domaine militaire, l'accélération du processus de massification des dérivés civils de cette recherche - duale - devient une composante de la productivité nationale autant que de la stabilité du financement des recherches pures qui les rendent envisageables. C'est le seul moyen de ne pas sombrer dans le pseudo-cycle réellement pernicieux connu sous le nom de keynésianisme militaire qui n'est à la portée que des puissances hégémoniques capables de transférer les coûts découlant de ce choix économiquement contre-productif au reste de la communauté internationale par le biais, entre autre, de leur domination monétaire.
2) Utiliser les économies éventuellement rendues possibles par l'intensification des coopérations européennes pour conserver la stabilité dans le long terme des recherches purement nationales considérées être d'une importance stratégique (militaire ou sociale) indéniable. Par exemple, le secteur pharmaceutique et médical doit être mis en mesure de capter l'essentiel de l'argent public dépensé par le système de santé public et collectivement " gratuit ". Ces multiplicateurs sectoriels méritent une grande attention à tous les points de vue. Il serait en effet ruineux d'abandonner le secteur à la recherche aux entreprises étrangères tant du point de vu de l'équilibre de la balance des payements que du standard de vie des citoyens.
3) Maximiser, de concert avec l'Allemagne et la Belgique et les autres nations européennes intéressées sans arrière-pensées, les projets franco-russes et franco-chinois. Ceci devient désormais une urgence vu le choix onusien de la France. A ce sujet rappelons que l'élargissement de l'Europe ne manquera pas d'opérer officiellement ou officieusement en fonction de la constitution de piliers régionaux intensément européens mais pourvus de par leur géographie et leur histoire d'appuis régionaux qu'ils redécouvriront tout naturellement plus rapidement qu'on ne veut l'admettre aujourd'hui. La direction générale et la rapidité avec laquelle s'effectue l'élargissement de l'Europe n'ont en rien dissipé cette tendance au regroupement régional. Il s'effectuera simplement par le biais du choix du type d'union (fédérale ou intergouvernementale, en gros) et par l'opération souterraine de l'impact des négociations internationales mettant en cause l'Union européenne telles que concrètement médiatisées par la mise en œuvre de la subsidiarité. Cette tendance prévisible permettrait d'atteindre les équilibres les plus bénéfiques au sein de l'Union si elle était consciemment admise sans arrière-pensées. Il est peu probable que les Etats membres de l'Union, héritiers directs de la longue histoire menant à l'émergence de la nation et de l'Etat central, abandonnent facilement le terrain à une Europe recomposée selon les anciennes voies de communication du Moyen-Age, ce que même M. Frêche ne jugerait ni possible ni souhaitable. D'autre part, ces piliers régionaux seront nécessaires si l'on refuse d'harmoniser l'Europe sociale selon ses protections les plus basses et si l'on désir au contraire tirer les nouveaux citoyens européens vers le haut en matière de protections sociales et syndicales. Une meilleure coopération des syndicats et des partis de gauche en vue de garantir la défense d'une Europe sociale de plus en plus égalitaire devrait devenir une priorité. Elle serait propre à dissiper nombre de malentendus avant même qu'ils ne se cristallisent en oppositions mutuellement destructrices. Quoiqu'il en soit, depuis 1991 l'Allemagne et la France ont acquis des positions économiques très fortes dans les pays de l'ancien bloc de l'Est. Pour l'essentiel ces positions se développeront désormais selon leur logique propre en mettant à profit leur expérience des institutions européennes et de leurs modes d'opération. La priorité économique, culturelle et stratégique aujourd'hui s'est déplacée plus à l'Est vers les virtualités concrètes de l'Eurasie et en particulier des puissances susceptibles de renforcer immédiatement le choix onusien de la France et de l'Allemagne. Encore faudra-t-il réapprendre, pour certains, à ne pas se payer de mots cachant des pensées inavouables (supposées incarner une quelconque " destruction créative " sur le dos de peuples qui n'en demanderaient pas tant et dont on se félicite en coulisse des potentialités " nihilistes militantes " ) et à retrouver l'esprit des Trois Corbeilles d'Helsinki sans en omettre ni en privilégier arbitrairement une seule. Le temps où les services français, relevant pourtant d'une république laïque, concevaient la politique culturelle, voire religieuse, comme un moyen légitime d'affaiblir des puissances appartenant à des régimes jugés antagonistes, devrait avoir pris fin le jour où le conseil de sécurité national d'une " "hyper-puissance " connue adopta la " "guerre préventive " comme instrument principal et permanent de sa politique étrangère, à moins que ce ne fut le 11 septembre 2001, jour funeste d'un nouveau Pearl Harbor si ardemment souhaité par certains. La Russie, en particulier, dispose encore des fruits d'une recherche soviétique très poussée sur laquelle le Congrès américain lorgne en avançant une petite poignée de dollars juste bonne à éviter le démantèlement des équipes de haut niveau qu'elle ne peut pas drainer immédiatement chez elle mais qu'elle ne veut pas abandonner à des pays rivaux. Cet état de fait n'est nullement à l'honneur de la recherche européenne. Elle n'est pas non plus d'une acuité stratégique perçante. Pour peu qu'elle sache retrouver la voie d'une éducation publique et gratuite la Chine, quant à elle, a le potentiel de tirer à moyen terme un énorme parti scientifique et économique de sa démographie, tout pourcentage prenant chez elle une dimension en nombres absolus propre à transformer le quantitatif en saut qualitatif. Reconnaissons pourtant que la coopération scientifique avec la Russie et la Chine ne pourra pas donner toute sa mesure sans la prise en compte des aspects militaro-économiques dans l'optique d'une conception duale visant aussi les retombées civiles. Le cadre de l'UEO et celui de l'ONU doivent par conséquent recevoir une attention plus soutenue que celui désormais dépassé de l'OTAN qui ne devrait plus servir qu'à rassurer les membres européens les moins avancés en attentant que la logique des nouvelles alliances, traités et partenariats fasse son œuvre. Il va sans dire qu'un choix onusien n'exclut a priori personne : une logique de multipolarité impliquera le développement de relations soutenu avec le Brésil et l'Inde ainsi qu'avec des pays comme le Vietnam si nécessaire au rayonnement de la Francophonie. Surtout elle ne sous-estimerait pas les nécessaires relations avec les Etats-Unis, simplement elle les concevrait sous un jour plus réaliste. Comment en effet oublier que les USA avec quelque 6 % de la population mondiale contrôlent encore quelque 27 % des richesses mondiales ? Comment, par conséquent, sous-estimer le poids du marché interne de ce pays lorsque ses effets bénéfiques ou pervers sont amplifiés par l'importance du dollar comme monnaie de réserve ? Par ailleurs, le déclin structurel de la productivité américaine déjà bien amorcé aura des conséquences prévisibles. La plus nocive étant la volonté d'utiliser la force brute et les guerres préventives pour conserver un rang hégémonique sans cesse miné de l'intérieur. Ajoutons que des raisons linguistiques et historiques militent contre l'imitation servile de la stratégie anglaise par les autres bourgeoisies européennes, et notamment en France, en Allemagne et en Italie bien que les " dirigeants " en place de ce dernier pays puissent rêver (de manière improbable, à la Lampedusa) de jouer les gentlemen à parapluies et chapeaux ronds ou, au mieux, à revivre le temps révolu des séminaires mal digérés de Cambridge (UK) ! En effet Londres cherche à concilier à l'avantage de sa bourgeoisie nationale le statut financier hérité de la City, la multinationalisation à outrance vers les USA de ses entreprises qui espèrent tirer le meilleur parti de leur avantage linguiste notamment en matière de télécommunication et de diffusion de l'information (capital savoir etc.) et le libre accès supplémentaire au marché interne de l'Union européenne tout en s'épargnant la discipline de l'euro ! A moins de se mettre tous à l'anglais et de valoriser le pidgin conjointement avec l'utilisation d'un Internet toujours dominé par Microsoft, il ne semble pas que ce soit là une stratégie généralisable en tant que telle, quoique puisse en penser le très distingué et très idéologiquement " insulaire " The Economist. Ce qui ne veut pas dire que les réseaux de diffusion vers les USA doivent être négligés pour autant - seulement leur extension devrait s'appuyer sur des positions de forces extérieures capables d'en amortir les impacts délétères connus. Aussi, les alliances préventives dont nous avons parlées devraient aller de pair avec l'intérêt continu apporté à la société civile américaine et à ces 50 % de citoyens qui ne votent plus ainsi qu'à l'autre quart qui, tout en votant, récuse la direction politique actuelle. Pour le reste, la démocratie américaine a elle-même heureusement prévue des échéances incontournables pour toute administration en place. Ajoutons cependant que ces alliances devraient pouvoir rapidement s'appuyer sur une nouvelle cohésion de l'Europe au sein des institutions censitaires comme le FMI, la BIRD et l'OMC, notamment en mettant fin à l'émiettement de son influence réelle
4) Appliquer les 35 heures et la " retraite anticipée " mais dans l'optique de la formation de laboratoires multidisciplinaires dans lesquels les chercheurs plus anciens et les plus chevronnés pourraient continuer leurs recherches tout en bénéficiant d'un stimulus nouveau issu de la pluridisciplinarité. Cette multidisciplinarité viserait autant la recherche pure que les applications commerciales des recherches déjà effectuées. La collectivité y trouverait son compte de même que les chercheurs. Surtout si de jeunes stagiaires (étudiants universitaires en formation) étaient détachés dans ces laboratoires de type nouveau afin de se familiariser rapidement avec la rigueur méthodologique tout en étant exposés à des stimuli intellectuels de haut niveau dépassant leur seule discipline. Ces stagiaires agiraient en fait comme des assistants de recherche et seraient particulièrement choyés ... dans la plupart des cas. L'expérience de cette forme nouvelle de retraite productive qui favoriserait autant la recherche, que la formation et l'emploi de la relève sans pénaliser personne pourrait ensuite servir de référence dans les autres secteurs chaque fois que ces secteurs seraient susceptibles de créer de la richesse sociale entièrement ou partiellement hors du système marchand (ou pour le dire plus exactement hors du système comptabilisé dans les comptes nationaux et le PIB selon l'ancienne mais toujours pertinente remarque de l'économiste Guillaume (v. L'anti-économique.) Il serait plus aisé qu'on ne l'imagine généralement de concilier ce prolongement de l'activité professionnelle avec la sauvegarde sourcilleuse des régimes généraux de retraites. Pour cela il convient d'abord de tenir compte de l'usure de la force de travail : dans des limites raisonnables, le travail intellectuel (du chercheur ou de l'ouvrier, de l'artisan ou du paysan) à ceci de particulier qu'il ne s'use pas à mesure qu'il s'exerce puisque son " usure " spécifique se traduit en accumulation de savoir. Au-delà des croyances actuelles concernant la " créativité " cette accumulation de savoir et d'expertise constitue un bien social qu'une société bien organisée devrait savoir mettre à profit. Pour revenir au cas des laboratoires multidisciplinaires, la retraite étant fixée, en gros, à 75% du salaire, les chercheurs intéressés à continuer leur travail auraient seulement besoin de l'assurance que les labos en question assumeront les frais directement liés à la recherche et à sa diffusion (conférences, voyages d'étude etc). Dans la mesure où ces labos donneraient lieu à des produits commercialisables, tous les bénéfices seraient versés au Fonds de réserve déjà institué en vue de pallier les difficultés de financement potentielles à l'horizon de 2040 et/ou de bonifier les régimes généraux existants. Dans une société ayant progressée vers une RTT encore plus poussée, il deviendrait presque normal de généraliser cette conception par la reprise des anciens " ateliers nationaux ", dans cette optique socialement non nuisible. Une flexibilité accrue nécessairement plus restreinte ailleurs pourrait naturellement prévaloir dans ces lieux de travail non-aliéné restituant ainsi à la société entière les possibilités d'un dilettantisme savant et organisé.
5) La Lettre reconnaît le rôle scientifique que peut jouer Internet, ce Père Mersenne des temps modernes. Les centres de recherche européens ayant joué un rôle pionner de premier plan dans le développement du Web et de ses protocoles, ceci allait de soi. Néanmoins, depuis la fin de la guerre froide, ce rôle ne peut plus être conçu sans tenir compte de l'utilisation de système du type Echelon dans l'espionnage industriel et technique, voire dans l'intimité de la recherche scientifique en cours. Il s'agit d'un autre grand cancer à combattre. Sans doute faudrait-il imiter l'Allemagne et opter immédiatement pour des systèmes du genre Linux. Il y aurait-là des avantages économiques évidents d'autant plus que les langages universels (Java, XML) permettent l'écriture rapide d'interfaces conférant aux systèmes d'exploitation Linux une grande flexibilité et une grande interaction avec des systèmes privés ou moins ouverts déjà bien établis. De fait, les secteurs publics, notamment l'éducation nationale et la santé, engendrent des conditions économiques internes qui pourraient finalement être pleinement exploitées selon des multiplicateurs économiques plus favorables du point de vue de la balance commerciale. Un seul exemple suffira : le Brésil et l'Inde ont vite compris l'utilité de développer des ordinateurs très " basic " et peu coûteux pour pallier un potentiel déficit technologique. La Lettre parle aujourd'hui de " portable électronique ". Il serait normal de rêver à un appel d'offre de la part du ministère de l'Education : la distribution massive et gratuite d'ordinateurs portables d'une bonne puissance et disposant d'un système opérationnel Linux conférerait pour une période donnée un monopole sur certains types de matériel scolaire. Ceci avec les jeux électroniques utilisables sur les mêmes plate-formes permettrait de rentabiliser l'accès de tous, y compris des élèves provenant de familles moins nanties. A ma connaissance certains chercheurs francais ont déjà développé des microprocesseurs capables de rivaliser avec les meilleurs systèmes existants mais ne trouvent pas le support nécessaire (et peut-être la masse critique) pour les commercialiser. Le même raisonnement vaut pour les concepteurs de logiciels qu'ils soient éducatifs ou simplement ludiques. L'avantage ici est que l'Etat national dispose de toute la latitude pour fixer les normes nationales sans craindre de voir ses choix stratégiques sous-jacents être contestés de l'extérieur. En tout état de cause il y a là un champ national ou des alliances et des stratégies porteuses devraient être rapidement mises en marche afin d'être prêt lorsque l'ensemble du secteur intéressé, ayant enfin épongé ses pertes, reprendra sa croissance au niveau mondial. Les structures de planification sont encore suffisamment fortes en France pour concrétiser rapidement une telle orientation.
Le dernier point de la Lettre qui mérite une attention soutenue concerne le communitarisme et la tolérance. En réalité, ici se niche la pensée directrice de la proposition ministérielle. Elle implique une vision déterminée de l'avenir de la république francaise et, malgré ce que l'on pourrait croire vu l'utilisation de ces concepts, un choix délibéré des statuts et des relations de pouvoir entre les différents groupes composant la société civile francaise que l'on souhaite maintenir ou renforcer. C'est pourquoi j'ai commencé ce texte en rappelant la provocation du ministre Sarkozy concernant une question constitutionnellement close, celle dite du foulard. Il ne s'agit pas de rappeler que personne jusqu'ici, sinon quelques fonctionnaires, n'avait la moindre idée de cette relation entre les photos de passeport et le foulard " islamique ". Cependant, tout théoricien de sciences sociales aura reconnu là la façon américaine, aujourd'hui OCDE, de trouver un cas limite à monter en épingle pour provoquer un débat permettant de " solutionner " des questions connexes qu'il aurait été impossible d'aborder de front sans cela. La conduite de ce type de débat médiatisé à des fins pédagogiques coercitives ne sert en réalité qu'à donner toute la latitude nécessaire à l'Etat de trancher d'office en se posant comme " arbitre ". D'autres subterfuges du même genre seront utilisés et toute personne suivant un tant soit peu les nouvelles télévisées (i.e. grand public) n'aura aucune peine à déceler la même recette dans la mise en marche de la plupart des réformes envisagées par la droite. Ceci dit, de quoi est-il question ? Personne ne songe à contester le modèle d'intégration républicain ni le rôle éminent de l'école dans cette intégration. Surtout lorsque la pyramide des âges et en particulier les populations d'âge scolaire sont profondément affectées par l'immigration. Il est clair que si 40 % des jeunes de 15 à 24 ans sont des enfants de parents étrangers, la question de l'intégration, qui est aussi celle de l'égalité des chances entre tous les citoyens, demande une attention soutenue et des efforts supplémentaires. Certains idéologues connus ont à dessein contribué à brouiller les cartes en définissant le " communitarisme " d'une si singulière façon que les mesures prises pour le combattre aboutiraient automatiquement au renforcement de leur propre communauté, de surcroît une communauté reconnue pour l'attachement à son particularisme spécifique, sinon pour son acharnement à le défendre en dépit, ou du fait de, son poids démographique dérisoire qui ne reflète en rien la composition sociologique et ethnique du pays. De ce point de vue, les mêmes croient pouvoir abuser de lois françaises détournées de leur vrai contexte pour clore préventivement le débat démocratique qui s'impose, oubliant trop rapidement que leur interprétation est constitutionnellement rejetée par la jurisprudence, par l'adoption de lois telle celle qui favorise la parité, et de surcroît par l'adhésion francaise à la déclaration universelle de droits de l'homme de l'ONU. Mais ceux-là ont appris à se payer de mots, entre autre au Kosovo, en utilisant leur pouvoir médiatique pour atteindre des objectifs supposément " éveillés ". Le procès qu'ils font au communitarisme n'est qu'un vulgaire épouvantail dressé de toute pièce pour avancer masqués et marquer politiquement des points autrement hors d'atteinte. En particulier, dans leur tentative de présenter la multiconfessionnalité (ou selon une autre terminologie ayant leur faveur, la " multiplication des voies ") comme la seule version acceptable de la laïcité - excluant de facto les options agnostique et athée** auxquelles ont nie ainsi leur dignité et leur égalité intrinsèques aux yeux des lois républicaines. Le faux problèmes des quotas résume bien les choses. A la Max Weber, on prétend lier le statut social au mérite mais simultanément on fait un faux procès aux énarques et à l'école républicaine capable, année après année, de produire le plus naturellement du monde son lot de diplomé-e-s des Grandes Ecoles mais néanmoins accusée de provoquer le nivellement par le bas ! Le modèle américain en vigueur aujourd'hui leur plaît davantage car il est plus pragmatiquement conscient des relations réelles entre QI et réussite scolaire puisque le pouvoir économique établi se traduit directement en promotion scolaire des héritiers des élites dominantes (voir le rôle joué par les lettres de recommandation et la " legacy " dans l'ascension des divers G.W. Bush !) Et l'on sait que tous les Joe Lieberman américains sont convaincus aujourd'hui de l'absurdité des programmes dits de " discrimination positive " en regard des droits humains universels ; ce qui n'étonnera guère quiconque se souviendra qu'une communauté américaine comprenant 2% de la population globale, ayant sut en son heure profiter de ces mesures d'équité sociale, contrôle désormais près d'un tiers de toutes les positions dominantes, tous domaines confondus ! Il devrait pourtant être clair comme de l'eau de source qu'une véritable intégration républicaine reposant sur le mérite scolaire mais aussi sur le mérite plus largement défini ne peut se passer des mesures d'égalisation des chances dans les processus d'acquisition de ce mérite. N'est-ce pas ce à quoi le ministère fait allusion lorsqu'il envisage les mesures adaptées pour apprendre aux élèves à lire, écrire et compter ? Ou lorsque l'on envisage des politiques de soutien familiales ou autres ? A part des choix politiques et économiques inavoués, qu'est-ce qui interdit de pousser cette logique de l'égalisation des chances dans l'acquisition du mérite à ses paliers supérieurs c'est-à-dire à ce qui, au sein de la société civile et scolaire, relèverait des programmes de discrimination positive tant galvaudés parce que très injustement instrumentalisés ? Prenons un exemple : tels groupes d'élèves ont besoin d'une aide éducative supplémentaire pour arriver à des résultats semblables à ceux de leurs camarades. Si cette aide pédagogique pouvait être dispensée par des pédagogues provenant eux-mêmes en partie de groupes similaires aux leurs n'aurait-on pas des chances supplémentaires d'atteindre de meilleurs résultats simplement parce que ces élèves en difficulté développeraient instinctivement un sens d'appartenance à une communauté scolaire plus inclusive car moins duale dans sa hiérarchie ? Bien entendu, les situations ne sont pas identiques sur l'ensemble du territoire. Des enfants d'origine étrangères élevés dans de petits villages où ils se fondent naturellement dans la masse perdent très rapidement (pour le meilleur et pour le pire) toute conscience de leur différence ethnique. Par définition, les écoles situées dans des quartiers dits sensibles exigeraient que la structure démographique étudiante soit reflétée dans le corps enseignant, en autant que faire se peut. L'essentiel est de savoir quel objectif réel on vise en l'absence de toute pétition de principe motivée par trop d'arrière-pensées. Répétant ce que j'ai déjà formulé ailleurs, contrairement à ce que certains feignent de croire, ni la reconnaissance des différences dues au sexe ni celle des différences relevant des distinctions ethniques ne remettent en cause l'égalité humaine et l'universalité des principes qui affirment cette égalité. Ces différences représentent en réalité les conditions d'expression concrètes de cette égalité dans la diversité, seule garante d'ailleurs de la survie de l'espèce. A vouloir imiter la technique propagandiste des supposés anti-communitaristes et jouer les ingénus, nous pourrions simplement éluder les difficultés, nous interdire de parler des différences ethniques par certains aspects si précieuses et ne défendre la " discrimination positive " qu'à partir de critères de classe et de critères présentés comme absolument neutres, par exemple la non-appartenance linguistique au groupe majoritaire. Des lors, les données de la pédagogie moderne liées aux difficultés matérielles des familles ainsi qu'aux difficultés reliées à la diversité des environnements linguistiques pourraient jouer le même rôle et contribuer à la définition d'une véritable politique de " discrimination positive " républicaine qui viserait une assimilation très poussée pour tout ce qui concerne la citoyenneté. Mais dans ce cas, l'essentiel serait de trouver l'euphémisme le mieux adapté pour éviter d'utiliser le terme " discrimination " (" Cacher ce sein que je ne saurais voir " etc) Vu l'héritage culturel jacobin et les possibilités dans les sociétés civiles modernes d'accéder facilement à des sources culturelles multiples, je pencherais moi-même pour cette dernière solution - si j'avais l'assurance du soutien gouvernemental à la syndicalisation des nouvelles forces de travail précarisées de manière croissante et, à travers lui, de l'application de mesures identiques au sein des entreprises publiques et privées. Mais, médiations obligent, ce que l'on gagne d'un côté, soit l'intégration citoyenne, risque de se dissiper de l'autre, soit la vie civile commune, cet ultime référendum au quotidien si cher à Ernest Renan. Le lit de Procuste lepéniste se creuse de multiples façons, pas toujours par inadvertance. Quoiqu'il en soit, il serait essentiel pour la préservation des valeurs républicaine de lier les mesures relatives à l'intégration à la logique consensuelle du Pacte républicain plutôt que d'en faire un outil de mobilisation partisane.
La Lettre et les déclarations connexes en matière de foulard (Sarkozy, Juppée etc.) semblent indiquer clairement un choix discriminatoire en faveur d'une intégration coercitive. Qui se souvient encore de la trique posée dans un coin des écoles de Jules Ferry, notamment en Bretagne ? Dès le départ de bons citoyens et de bons pédagogues seront choqués par cette absurde manière de pointer du doigt une communauté particulière qui compte quelque 5 millions d'individus et qui est chroniquement sous-représentée partout (un biais statistique qui se passe de commentaire en regard de toutes les échelles de mesures connues du QI et de toutes les définitions acceptées du " mérite "). Le foulard est-il un signe plus ostentatoire que la kippa ou que le crucifix ou encore qu'une coiffure à la Mohawk, un " piercing " ou tout autre élément de parure qui ne soit pas naturellement dangereux ? La vérité est que l'on a choisi de considérer la kippa comme un signe appartenant à une communauté jugée bien intégrée aux valeurs de la république, alors que les porteurs de foulards ou de keffieh seraient potentiellement moins assimilés ( assimilables ?), négligeant le fait que, pour leur part, ils n'ont pas déclaré une guerre permanente à l'ensemble du monde pour hâter la reconstruction d'un temple par définition destructeur de toutes les valeurs chères à la république et en premier lieu de son école laïque surtout lorsque ce temple est posé par certains comme le bien suprême, dévolu de surcroît à un seul groupe se voyant comme " l' élu " de " Dieu ". Faut-il souhaiter que les musulmans de France apprennent à émuler les techniques de défense pied par pied des intérêts de leurs communautés restreintes utilisées par d'autres mieux établies, par exemple en comprenant intimement le poids particulier du recueil de certaines statistiques dans l'articulation et la formulation des politiques publiques ou encore en reformulant unilatéralement et sans trop de nuances les pages principales de l'histoire moderne de France en encensant Blum, (Adolf Berle ?), Mendés, Aron, Camus (j), et tant d'autres « petits camarades » ne tenant pas toujours la route, autrefois partie intégrante des bataillons mais aujourd'hui mis périlleusement de l'avant comme porte-étendards d'une Shoah sélective qui galvaude de manière improbable, irréaliste et peu perspicace les leçons pourtant pérennes de la Résistance et de la Déportation. Quoiqu'il en soit, on voit mal pourquoi une communauté quelconque jouirait de passe-droits en dépit de son attitude réelle au sujet de ces valeurs, ou plus exactement en dépit des prétentions de certains des dirigeants et des notables qui en émanent et prétendent se prononcer en son nom. Ne créons pas artificiellement des perceptions d'injustice aux conséquences trop prévisibles : s'il le faut, interdisons tous les signes religieux extérieurs au sein de l'école (et incitons les autorités religieuses concernées à user de leur pouvoir d'accorder des exemptions pour favoriser le bien plus grand qu'est l'intégration républicaine à l'égalité ; ou continuons simplement la politique des modulations locales sans singulariser personne tout en usant du pouvoir de persuasion)
Il nous faut pourtant reconnaître que le plus grave à court, moyen et long terme, se situe ailleurs. Il relève de ce que j'ai appelé les médiations. Si ce que l'on recherche sincèrement est l'intégration complète des musulmans de France (puisque c'est bien d'eux qu'il s'agit au premier chef) au sein des valeurs républicaines laïques, il conviendrait de reconnaître que certaines actions ont des effets pervers. C'est le cas des mesures de coercition dit pédagogiques qui sous-tendent la philosophie de la Lettre. Loin de nous l'idée que certains groupes puissent vouloir attiser les conséquences de ces effets pervers à des fins de positionnement politique, voire électoraux. Les problèmes liés à la " sécurité ", ainsi que la perception commune qui en émane, ne sont que trop évidents. Ils risquent d'aller croissant dans une société vieillissante dans laquelle de larges couches de la population peuvent se sentir précarisées, et par conséquent plus vulnérables, ce qui peut faire naître chez elles la tentation de trouver un bouc émissaire commode. Notons cependant que certains problèmes de ce type se résolvent seulement en s'attaquant aux causes profondes qui permettent la reproduction de ces comportements tout en prenant les mesures appropriées pour négocier un processus d'accommodation républicain qui s'impose de lui-même durant toute la période de transition. En l'occurrence ici, les enfants sont le premier véhicule d'intégration des parents peut-être même avant la solidarité (syndicale et autre) ressentie sur les lieux de travail et de vie quotidienne. Des politiques familiales cohérentes, appuyées par l'application des politiques de protection des droits des enfants déclenchant des processus correctifs non coercitifs, atteindraient plus facilement l'objectif d'intégration voulu en modifiant les relations de pouvoir au sein des ménages en fonction des lois républicaines. Les initiatives de mobilisation des femmes de banlieue contre la violence sont à ce titre exemplaires. D'autres initiatives du même genre mettant en œuvre une mobilisation de la base et faisant émerger des porte-parole par définition laïques devraient être envisagées et activement soutenues.
L'effort visant à " gallicaniser " les cultes hexagonaux est capital et ne devrait tolérer aucune exception. Les musulmans de France, toutes origines confondues, continueront à être enthousiasmés par cette initiative, étant par héritage culturel loyaux aux Etats respectant leur liberté de culte sans vexations injustifiées. Il est de notoriété publique que la montée de certains types de fondamentalismes musulmans en France et plus largement en Europe était directement dû à cet aveuglement des Etats abandonnant les élites religieuses de ces groupes à des financements extérieurs ayant parfois des agendas politiques incompatibles avec la laïcité. Les réactions des musulmans de France au choix onusien du Quai d'Orsay démontrent aussi tout le parti républicain qui pourrait en être tiré pour peu que l'on se souciât davantage du long martyr palestinien et du profond sentiment d'humiliation ressenti sur l'autre rive de la Méditerranée du fait des problèmes laissés sans réponse au Moyen-Orient. Une chose est sûre : il serait contre-productif en matière de laïcité de prendre des postures plus royalistes que le roi et d'en rajouter inutilement à ce qu'à prévu le Conseil d'Etat pour suivre aveuglément une politique de montée en épingle de problèmes, symboliques certes, mais somme toute marginaux. Une politique, de surcroît, dont les objectifs sont décidés ailleurs et dont les groupes n'étant pas admis dans le secret des ministères impliqués ne pourront aucunement profiter. Mieux vaudrait alors garder les pieds sur terre et décrisper le débat : lorsque certains proposent des mesures factices du type " photos de passeport ", répondons en faisant valoir au ministre de l'éducation l'importance d'introduire dans les cours d'éducation civique les notions de parité et de laïcité ainsi que celles de tolérance. La persuasion et la souplesse au niveau local risqueront alors de faire merveille en ce qui concerne l'application des lois de la république, telles qu'elles sont.
Du fait de l'importance des communautés en cause et du regroupement des classes d'âge, ce type intégration une fois menée à son terme permettra l'assimilation sans douleur des nouveaux arrivants de même souche (compte tenu de l'importances des flux migratoires anticipés autour du basin méditerranéen). Entre-temps, toute promotion rapide de personnes provenant de ces communautés et ayant déjà intégré ou donné des signes de préférence pour les valeurs républicaines, dont la laïcité, irait de soi. Elles seraient à l'avantage de toutes les forces authentiquement républicaines quelles que soient leurs provenances. Elles réconcilieraient enfin la " cité " et la banlieue puisque aussi bien quelle " cité " digne de ce nom a jamais survécu sans ses dêmes extra-muraux ?
En guise de conclusion j'aimerais revenir sur les effets pervers provoqués par certaines initiatives et le faire à partir d'un article relatant " la grande confusion des lycéens " (in lemonde.fr, le 24-4-2003) Il arrive souvent que les adultes ne conçoivent la marche vers la tolérance qu'à travers leurs propres parcours et leurs idiosyncrasies sans se soucier du contexte culturel de départ des élèves sans le respect duquel rien de solide ni d'authentique ne pourra jamais être construit. Pourtant est-ce la faute des plus jeunes s'ils n'ont pas " fait Verdun ? " Cet article est porteur de grands enseignements pour peu qu'on le lise les yeux ouverts. On y lit en particulier ceci : " L'intervention anglo-américaine en Iraq est évidemment énoncée, la position francaise plébiscitée. Mais, au-delà, c'est la confusion qui prévaut. Ce bouillonnement se traduit par des raccourcis, des amalgames sur l'Iraq, le Proche-Orient, les musulmans, les juifs, les médias, le racisme. Comme dans un tourbillon, ils passent de l'Iraq à la France, des questions internationales à leur place dans la société, de la " croisade " de Bush à l'islam en Europe ". Dans ce " lycée d'Avignon qui scolarise une majorité d'élèves d'origine maghrébine " certains professeurs, avec un aplomb vraiment admirable et une sensibilité encore plus fine que leur sens pédagogique, entendent dissiper cette supposée confusion en leur faisant " lire des extraits du livre d'Albert Cohen, Ô vous frères humains, qui raconte la vie d'un petit juif victime d'antisémitisme ". " Ça les a bouleversés " reconnaît-on, démontrant par-là en quoi ces jeunes sont plus sains que bien des idéologues sionistes de droite déversant leur propagande à longueur de journée dans les médias. Espérons que quelqu'un s'avisera à expliquer à ces élèves que l'exigence du respect du droit international par tous les Etats, y compris Israël, n'est en rien une preuve de confusion de la part des élèves, voire une tare ! Tous, y compris ces élèves encore en formation, sont en droit de se demander qu'elles leçons peuvent être retenues de la Shoah (k) (il serait préférable de dire de " l'histoire commune de la Résistance et de la Déportation " pour ne pas succomber à la confusion létale de l'exclusivisme béat) si elles n'aboutissent pas à la condamnation sans appel du judéo-fascisme du gouvernement Sharon et de tous les Eitam et autres Obadiah Yossef contemporains. Force serait d'admettre que la seule vraie confusion de ces lycéens à trait aux Gitans vivant dans les mêmes quartiers qu'eux. Celle-ci est une confusion dangereuse car sans fondements réels autres que les séquelles d'une manipulation plus large, ce qui la rend d'autant plus difficile à corriger. Car, à première vue, cette animosité exprimée par certains lycéens envers ces Gitans semble incongrue du point de vue de notions abstraites concernant le racisme : on serait plutôt en droit de s'attendre à une solidarité unissant instinctivement tous les " exclus ". Néanmoins force nous est de constater que le vécu de ces élèves ne les met pas dans une position optimale pour éviter les dérives raciales et les préjudices. Il suffit alors de rappeler le tapage médiatique du ministère de l'intérieur vis-à-vis de ce même groupe pour comprendre que ces malheureux étudiant-e-s devront apprendre à compter sur la dialectique de leur propre conscience aux prises avec les contradictions de leur vécu pour espérer avoir une chance minime de s'en sortir indemnes. Ne faisons pas porter trop facilement la faute sur le dos de personnes, victimes elles-mêmes de techniques de pédagogie coercitive décidées en toute connaissance de cause en haut lieu sans trop se soucier des conséquences pourtant entièrement prévisibles. Une discussion sur la " misère du monde ", sur les " charters " et sur le rapatriement forcé des Gitans roumains, voire le rappel des analyses concernant les attitudes des " petits blancs américains ", seraient plus propres à dissiper la confusion dans l'esprit des lycéens et de leur corps enseignant. En toute honnêteté, je crois pour ma part que ce genre de discussion représenterait le meilleur moyen d'honorer les victimes de la brutale discrimination fasciste et raciste. La bonne conscience à rabais ne favorise le développement de personne.
Paul De Marco
Copyright (C) avril 2003
NOTES :
* Lecture faite, dans son livre intitulé "Dieu?" (ëd. Stock/Bayard 2003) M. Albert Jacquard explique que dans le domaine des sciences aussi bien que dans le domaine religieux croire bêtement ne favorise en rien la qualité des idées auxquelles on accorde une foi quelconque. Sous son apparente simplicité ce livre oppose point par point à chacune des présuppositions de la foi édictée par le credo de Nicée les dernières théories scientifiques aujourd'hui disponibles en la matière. Il en ressort rapidement que ces théories présentées de manière abordable pour tous possèdent le potentiel d'éclairer la compréhension tout en réstituant sa valeur scientifique et humaine au "doute" systématique. Dans le contexte actuel ce livre exhibe une "élégance citoyenne" tant pour le fond que pour la forme. Je crains cependant qu'il n'atteigne pas entièrement son but. M. Jacquard prend comme point de départ une césure entre un "en-deça" susceptible d'être extériorisé par le "sujet" et donc "compris" par lui et un "au-delà"dont "par définition ... nous ne pouvons rien dire qui soit fondé sur une donnée objective ou qui résulte d'une démonstration" (p.10). Cette conception assez poppérienne au fond, ne pourra convaincre que les gens déjà convaincus et appeler tout un chacun à la raison. Le fait est cependant que les gens qui accordent une valeur active aux phénomènes recouverts par la foi, qu'elle soit raisonnée ou simplement instinctive pour ne pas dire aveugle, concoivent cet au-delà littéralement comme un "for intérieur" opérationnel selon des voies inexpliquées. Ainsi que je l'ai montré dans mon "Pour Marx, contre le nihilisme" le problème principal est celui de la "paraphrénie" c'est-à-dire de l'irruption plus ou moins aiguë de l'irrationalité dans la vie qotidienne des gens, y compris lors de leurs investigations scientifiques. Prétendre que la science expliquera un jour rationnellement ce qui semble aujourd'hui irrationnel semblera aux yeux du paraphrène (et tout le monde l'est à des degrés divers) comme une évacuation injustifiée d'un problème réel immédiat: il continuera lui aussi à douter. C'est pourquoi, j'ai essayé de montrer comment une science spécifique de la "psychoanalyse" devait être développée qui aurait cette irrationalité-là comme objet propre. Autrement dit, prenons Jacquard au sérieux et n'hésitons pas à soumettre ces phénomènes à une investigation scientifique complète et publique mais appropriée. De fait, si nous nous référons à la dialectique de la révélation de la compréhension si chère à Kant et à Marx, parmi tant d'autres, il semble evident qu'il est aujourd'hui possible d'aborder ces pénomènes par le biais de methodologies et de techniques de pointe strictement scientifiques, celles de la neurologie autant que celles du matérialisme historique: de la même façon que le capitalisme ouvrit la voie à la compréhension rationnelle de la "valeur", le développement potentiel de la plus-value sociale ouvre la voie au recouvrement des individus par eux-mêmes au sien de collectivités conscientes des mécanismes de leur reproduction et donc à la compréhension scientifique de l'"aliénation" et des mesures individuelles et sociales à prendre pour la dissiper. Car tous admettent d'instinct que chercher à savoir et à agir vaut mieux que croire. Le "livre ouvert" si cher à Joachim de Flore concerne les relations sociales bien plus que l'ADN!
a) Une expérience pédagogique qui donne toujours de bons résultats consiste à créer des groupes de pairs sous contrôle professoral permettant aux plus anciens de venir en aide aux plus jeunes. Ceci est encore plus valide lorsque les étudiant-e-s concerné-e-s proviennent de classes cosmopolites, en particulier lorsque les règles intuitives du langage maternel parlé à la maison diffèrent considérablement de celles du français. C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai commis le texte intitulé " Spoliation organisée par des réformes en trompe-l'œil " (in Pour Marx, contre le nihilisme, p 207) lui-même fondé sur un texte antérieur écrit en réaction à l'introduction du néolibéralisme dans les écoles nord-américaines, celles-là même qui se montrent si promptes à usurper les discours sur l'excellence et l'élitisme. Par dépit et protestation, j'avais intitulé ce texte de départ " Dioscures ".
b) Certaines universités nord-américaines conscientes du travail accompli - ou du retard accumulé - au secondaire et soucieuses de favoriser l'interdisciplinarité et les passages d'une discipline à une autre, n'hésitent pas à redonner à leurs étudiant-e-s les pré-requis nécessaires. Dans le meilleur des cas, les manuels utilisés ou, mieux encore, les cours des professeurs font de ces " répétitions " une occasion de rattrapage et de consolidation. Sans verser dans la tentation des cours généraux conçus entièrement comme cours de rattrapage ou encore des cursus conçus à la carte, ces introductions et les manuels correspondants pourraient servir avec bonheur le rythme de certains élèves sans qu'ils aient à passer nécessairement dans des filières plus lentes. Une certaine fonctionnalité des manuels scolaires d'appoint devrait donc recevoir une attention soutenue, particulièrement ceux produits sous forme électronique.
c) Comment oublier que les études sur les « citrons » qui valurent le prix Nobel d'économie à Joseph Stiglitz furent lues avec le plus grand intérêt par les Reisman et autres sherpas incestueusement sélectionnés en préparation des traités de libre échange avec les USA qui faisaient miroiter à leurs yeux avertis un juteux marché pour les voitures d'occasion américaines judicieusement importées au Canada, ces mêmes véhicules qui s'averraient si nécessaires pour conduire sur les lieux de son esclavage moderne une force de travail sous-payée, contrainte de vivre dans les vastes agglomérations sans grande densité urbaine que l'on sait et, de surcroît, ne disposant pas des moyens de transport en commun adaptés !
d) Certains économistes néolibéraux se sont emparés de ce que Christian Palloix avait appelé le " capital savoir " ; ils l'ont fait à partir de leur compréhension " critique " de la remarque bien connue de Piero Sraffa à l'effet que n'était " matériel " que " ce qui pouvait recevoir un coup de pied ". Que d'encre spécialisée n'a pas alors coulé sur cette supposée " économie immatérielle ", cette matrice artificielle de la " New Economy " tant décriée ces jours-ci par tant de voix médiatiques qui n'en continuent pas moins à en plébisciter la logique par leur adhésion a-critique à ce que l'on pourrait appeler le " baconisme primaire de marché. " La comptabilité internationale et nationale a depuis toujours rendue compte du secteur tertiaire et donc plus largement des secteurs " immatériels " marchandisés par l'opération interne du capital selon les mêmes mécanismes servant à soumettre à une logique purement marchande les valeurs d'usages et d'échanges créées au sein d'autres modes de production. Ce qui est en cause ici relève davantage des différences existant entre l'ancien système de comptabilité axé sur " le produit matériel net " et celui relevant du système comptable capitaliste d'ailleurs confronté aujourd'hui aux difficultés de chiffrer " correctement " (i.e. du point de vue du profit) un capital savoir qui par essence n'émerge pas sans conserver une forte relation avec le travail dit " improductif " (c'est-à-dire, avec la plus-value sociale) La théorie de la convergence montre bien les contradictions qui entrent en ligne de compte. On a d'abord cru que la centralisation et la concentration verticale et horizontale pouvaient permettre de monopoliser les profits liés à la publicité ainsi qu'aux économies fondées sur une situation d'oligopole en matière de transfert de données - donc de réduction des coûts de production - intra-firme ou intra-comglomérat et en matière de réseaux de distribution. Du coup, on vit firmes et régions (ex. la Toscane) se lancer dans une course éperdue à la création de banques de données, une course brevetant tout, y compris les paysages caractéristiques, au détriment du droit d'accès du public et de la liberté de création et d'expression. Les comportements individuels, on le sait, sont fortement influencés sinon prédéterminés par les biais systémiques. L'illusion provenait en réalité du fait que les groupes en pointe s'étaient d'abord assurés la main-mise des réseaux de distribution antérieurement publics mais en pleine mutation technologique, telles la télévision et la téléphonique, tout en monopolisant à leur avantage les créneaux les plus payants. Ainsi, le sport fut une des premières victimes de cette percée de l'économie immatérielle, les mêmes groupes s'ingéniant à contrôler l'ensemble de ce qui devait devenir une messe médiatique payante et privée, allant des équipes, aux stades, aux droits de diffusion et jusqu'aux réseaux de distribution, sans oublier une médicalisation accrue des athlètes soumis à une implacable logique de vedettariat, plus encore que de performance, dépassant de loin tout ce qu'avait connu l'amateurisme olympique jusqu'ici. Ce n'est qu'en tirant fortement la sonnette d'alarme - par exemple en Italie - que certains réussirent in extremis à éviter que les équipes sportives nationales et par, le fait même, les réseaux publics de distribution de masse - vu l'importance de l'audimat chaque fois que le système public n'exclut pas entièrement le financement par la publicité. Mais cette illusion, reposant comme on le voit sur une expropriation bien réelle des services publics, n'a en définitive pas pu se soustraire à ses contradictions intimes. Pas plus qu'elle ne saura contrer celles, croissantes, liées au laminage des salaires du secteur du fait de l'augmentation de la productivité et celles liées à l'internationalisation comme à l'émergence de compétiteurs étrangers. De sorte qu'une sortie par le haut du type " fordisme " (5 Dollars a Day) n'est déjà plus envisageable comme solution à long terme malgré les préjudices gouvernementaux trop favorables dont jouissent les forces de travail impliquées dans ces secteurs trop légèrement dits " d'avenir " en abstraction avec leur insertion réelle dans les formations sociales nationales considérées (en d'autres termes, les artifices comptables d'une marchandisation interne, présomptueusement donnée comme valeur ajoutée devant être assumée par les marchés externes, n'est plus une stratégie payante à moyen et long terme malgré ce qu'ont pu penser tous ces Joseph Nye et compagnie qui révisent aujourd'hui hâtivement leurs prédictions). Si les industries en cause lèchent aujourd'hui leurs plaies et revoient au peigne fin la structure de leur profit, il n'est pas sûr qu'elles aient aucun avantage à comprendre et encore moins à admettre clairement ce qui est en cause. Cette obligation revient donc aux gouvernements et, au-delà, à leurs actions au sein de l'OMC.
La logique capitaliste ne se prête pas à un salutaire calcul du produit matériel net qui serait capable de distinguer ce qui relève de la richesse marchande ou de la richesse sociale accumulée. Reste à retrouver la voie d'une conciliation avancée entre une comptabilité axée sur le profit à court terme et une comptabilité axée sur une manière socialement productive de chiffrer la richesse collective sans lui porter, ce faisant, un coup fatal. Ceci relèverait du développement de la théorie de la plus-value sociale. Et mettrait en œuvre le type de coopératives dont nous avons parlé spécialement en ce qui concerne le capital savoir et toutes ses déclinaisons possibles. Au minimum, il faudrait rétablir les prérogatives des secteurs publics (et de leur long-termisme, si je peux me permettre cette expression) dans le cadre de la philosophie de l'UNESCO visant à préserver les droits d'accès de tous. On le voit, il s'agit-là d'un champ d'étude que la gauche ne peut pas abandonner aux néolibéraux ni aux libéraux classiques.
La comptabilité nationale chiffrée selon une logique purement marchande se révèle souvent factice et exhibe des tendances dangereusement spéculatives chaque fois qu'elle réussit à soumettre des secteurs encore exogènes à son règne sourcilleux. Plusieurs économistes ont rappelé cette réalité aussi bien ceux qui développèrent les règles liées au Produit Matériel Net que plus tard Guillaume ou plus récemment, plusieurs économistes du PNUD. La fascination exercée par la comptabilité nationale propre au capitalisme est double : elle donne l'illusion d'un accroissement des seules richesses dignes d'être reconnues comme telles car quantifiées par la soumission du monde au capitalisme bien qu'en partie ce ne soit-là que vertige spéculatif momentané; de plus, elle donne l'illusion d'un contrôle intra-sectoriel qu'elle contribue elle-même à détruire. Ce qui constitue une des contradictions majeures opposant keynésianisme et économie réelle et plus largement tout système d'équilibre général mettant en œuvre une série de variables inter-reliées les unes aux autres sans jamais pouvoir reposer sur le nexus fondateur et déterminant révélé par la loi de la valeur. (Ajout: L'équilibre doit être à la fois quantitatif et qualitatif, donc en valeurs d'usage et en valeurs d'échange, ce qu'aucune théorie économique bourgeoise n'est capable de faire.)
On parle aujourd'hui beaucoup de bonne gouvernance. En Europe, au nom de cette logique marchande envahissante, les directives néolibérales prennent aisément le pas sur les paramètres qu'il faudrait établir et défendre jusqu'au sein de l'OMC pour qu'émerge enfin l'Europe sociale. Quoiqu'il en soit les contradictions intimes du capitalisme et celles déjà en partie manifestées du capitalisme contemporain lié à la domination du capital savoir devraient inciter les gouvernements et les organisations internationales responsables à substituer les ratios socio-économiques signifiants aux faciles illusions de la comptabilité marchande. La productivité nationale et, par voie de conséquence, le bien-être de la population, voire le niveau civilisationnel atteint, en dépendent. L'exemple typique reste celui du secteur de la santé, qui englobe une composante extrêmement importante de la recomposition de la force du travail dont les variations naturelles deviendraient vite une barrière insurmontable pour la production sans l'intervention régulatrice de l'Etat. On sait que les USA dépensent dans ce secteur vital plus de 15% de leur PIB alors que les pays européens ne dépensent que près de 9 % du leur. Pour peu que l'on tienne compte des intrants mal comptabilisés issus du travail dit non-productif accompli dans le creuset de l'éducation nationale par le biais de sa mission de formation de citoyens et de main-d'œuvre qualifiée, on réaliserait que la preuve est encore plus simple à établir dans ce domaine, toujours d'avenir ! Ce n'est d'ailleurs qu'en donnant le primat à ces ratios que toute comptabilité nationale pourrait acquérir un contrôle sur les transferts inter-sectoriels de plus-value et donc de l'équité générale du système de distribution/redistribution en place. En résumé donc, toute bonne gouvernance s'attacherait à développer au maximum sa richesse nationale et internationale réelle dans la plus grande équité possible tout en veillant scrupuleusement à contrer la moindre ponction opérée par d'autres économies toujours en proie aux sirènes de la comptabilité nominale capitaliste (ajoutons pour éviter tous malentendus: et qui le reste même lorsque exprimée en prix constants).
e) Ce serait à mon sens une indicible catastrophe que de laisser planer le moindre soupçon à l'effet que l'auteur du texte " Le lit du néo-fascisme ", de son " Annexe " et de la seconde partie de Pour Marx, contre le nihilisme (disponibles dans http://lacommune1871.tripod.com) ait pu de la moindre façon souffler dans les voiles du plus humble bondieusard et participer à son insu à l'affaiblissement de la laïcité la plus consciente de sa genèse et de son parcours. Un autre malentendu trop commode et potentiellement pernicieux mérite d'être exposé pour ce qu'il est. Les mêmes qui poussent sans en avoir l'air la multiconfessionnalité comme la variante aujourd'hui seule acceptable de la " laïcité " ne se gênent pas pour dire que l'athéisme - à leurs yeux consubstantiel avec le communisme et spécifiquement le communisme soviétique - serait lui aussi une forme de " religion " d'Etat. Ceci démontre une compréhension simpliste et archaïque d'un sujet qui visiblement les dépasse pour beaucoup d'entre eux et qui, pour d'autres, sert de repoussoir pour mieux asseoir le " retour " de leur propre " spiritualité " favorite mise au service de leurs castes préférées. A moins qu'il ne s'agisse pour certains d'introduire insidieusement un " cheval de Troie " dans la forteresse de la laïcité. J'ai exposé ailleurs, sans doute à grand traits mais de manière explicite, le long décantage qui mène de la religion comme système de compréhension du monde aux méthodes scientifiques mises en œuvre par une conscience humaine pleinement affranchie et se sentant à la fois fière et responsable de son libre arbitre. Bien entendu, l'Homo religiosus use aussi de son intellect et de sa conscience humaine dans les efforts qu'il déploie pour appréhender le monde et sa propre place dans ce monde mais son effort est constamment entravé par une doxa théocratique qui relève plus des rituels du pouvoir (et au mieux de la mnémotechnique) que de la connaissance. Trop nombreux sont les auteurs qui trouvent politique de renvoyer les devoirs collectifs et individuels des consciences libres et des systèmes sociaux aptes à permettre leur épanouissement dans le moulinet connu des directeurs de conscience attitrés qui rêvent du rétablissement de leur " autorité. " Suivre cette route est le plus sûr moyen de détruire l'esprit même de la République laïque qu'aucun temple connu ou envisageable ne pourra, par définition, jamais remplacer.
C'est pourquoi, en particulier, j'estime que Régis Debray est en la matière un faussaire qui aurait dû se confiner à la " médiologie ", " sa " discipline taillée par lui sur mesure, plutôt que faire de la mauvaise vulgarisation sur un sujet qui le dépasse largement et pour lequel il ne cite pas ses sources de départ. Ce qui aurait au moins fait la preuve de sa capacité à apprécier le travail de pionnier d'autrui à sa juste valeur et lui aurait interdit d'en détourner le sens explicite et profond pour se conformer à un opportunisme idéologique de très mauvais aloi que ce travail avait pour objectif de combattre. Ayant été le premier à le faire, je ne peux réprimer la désagréable impression que donne Debray lorsqu'il a la prétention gratuite d'affirmer des choses dans un domaine où il n'a en rien contribué à formuler les questions initiales enfin pertinentes qui sont autant de réponses partielles et autant de pistes de recherche scientifique, par définition non accessibles aux idéologues de tous bords. (D'autant plus que je ne m'étais pas privé de dénoncer dans mes textes et mes Avant-propos le fait que l'on m'avait illégalement et injustement privé des conditions matérielles et institutionnelles permettant un déroulement normal de mon travail, ce qui aggrave encore les choses.) La seule mention de mon nom devrait lui rappeler de quoi il s'agit. A tout prendre, d'un Debray on aurait préféré une autocritique sur la manière que certains ont de ne pas savoir tenir leur langue lorsque la vie d'autrui est directement en cause. Serait-ce cela qui provoque la fascination d'un Debray pour une spiritualité consolatrice opposée à la politique ? Le fait est que lorsque l'on s'éprend d'un sujet, il faut encore faire en sorte que ce que l'on a la prétention de dire ne finisse par faire plus de mal que de bien. Ce qui est malheureusement le cas chaque fois que l'ignorance du cœur est de la partie. Mais le médiologue Debray ne semble pas équipé pour le comprendre. Malheureusement pour lui, ce sujet, contrairement à la médiologie dont nous lui laisserons la définition avec plaisir et soulagement, se prête mal à une réflexion toute en images, quand bien même certains prétendraient que chacune d'entre elles puisse valoir mille mots. On aura compris que je ne désire nullement être associé, de près ou de loin, à ce détournement de sens. Du point de vue intellectuel, cette mise au point était donc de rigueur.
f) Bien qu'elle en représente un sommet, l'ontologie kantienne reste une ontologie ancrée dans le dix-neuvième siècle, encore recouverte par sa conception " préhistorique " de l'espace et du temps, c'est-à-dire des référentiels dans laquelle elle est contrainte de se construire. Celle de Marx, héritière entre autres de Joachim de Flore, Müntzer, Vico, Rousseau, Herder, Feuerbach, Hegel, et des théoriciens de l'économie politique classique, ouvre la porte de l'histoire de l'ontologie. Rien mieux que son concept de l'aliénation ne le démontre : du point de vue de la dialectique de l'investigation et de l'exposition, le concept marxiste de l'aliénation est à l'analyse de la psyché humaine ce que la loi de la valeur est à l'économie politique, c'est-à-dire un point d'aboutissement historique et conceptuel qui constitue désormais le point de départ obligé de l'analyse scientifique du passé comme de l'avenir en ce qui concerne ces champs d'investigation précis. En quoi un trépied et un lit peuvent-ils être commensurables pour ce qui est de la valeur marchande ? En quoi le rationnel et l'irrationnel trouvent-ils leur complétude dans la liberté humaine, nécessairement donc hors de toute chapelle mais non hors de la collectivité ? Certains glissent sur L'idéologie allemande et sur les premiers chapitres du Capital avec moins de curiosité et d'attention que de rongeuses souris !
g) Voir Hélène Metzger, Les doctrines chimiques en France du début du XVIIè à la fin du XVIIIè, Librairie scientifique et technique, Albert Blanchard, 1969. L'esprit et le sérieux scientifiques de Metzger manquent malheureusement trop souvent de nos jours lorsque certains s'avisent d'aborder des sujets de ce genre.
h) Tenir compte des médiations vaut toujours mieux qu'une politique directement coercitive à l'Ataturk. Ceci est vrai en matière de foulard comme en matière de vente de produits tombant sous le coup de tabous religieux, par exemple, les viandes casher ou halal. Mieux, la réflexion concernant ces médiations fait mieux comprendre le chemin laïque à parcourir et les étapes qu'il impose. En matière de viandes casher ou halal, il semble clair que l'Etat républicain ne peut abandonner l'aspect de salubrité publique qui s'y rattache tout naturellement. Des brevets d'Etat devraient donc être institués qui tiendraient compte tant des aspects techniques similaires à l'ensemble des métiers reliés à l'abattage et à la boucherie que des aspects reliés aux cultes, devant être quant à eux impartis par des " éducateurs " appropriés. Cela posé, la laïcité quotidienne, et donc la tolérance, y gagnerait de diverses façons. D'abord, l'écoulement de ces produits pourrait être mieux contrôlé par l'Etat sans nécessairement donner un fâcheux monopole des bénéfices aux hiérarchies religieuses et à leurs alliés. A la limite, les permis de vente porteraient mention du brevet obtenu, technique et religieux, ou seulement technique. Cela pourrait favoriser la création et le maintien d'emplois de proximité. Les grandes surfaces, quant à elles, pourraient alors prévoir des étalages appropriés sans que cela ne crée de problème polémiques particuliers. D'autre part, la " gallicanisation " des cultes ne va pas sans la mise à disposition des hiérarchies religieuses qui ont le devoir d'assurer la qualité de leurs prestations d'un certain patrimoine possédé en propre permettant par la suite au palier public local de négocier sa participation à l'entretien des édifices, lorsque cela relève de critères tel le patrimoine historique, tout en s'assurant de l'indépendance financière et donc de la responsabilisation de ces hiérarchies, notamment vis-à-vis de sources extérieures de financement. De ce point de vu, on pourrait imaginer une ristourne, variable selon les besoins, prélevée sur la TVA affectant les produits halals de toute provenance pour permettre la mise en place des structures (mosquée, écoles coraniques réservées à la formation religieuse mais respectant par ailleurs les curriculums républicains etc.) Ces structures étant nécessaires à l'épanouissement d'un islamisme républicain capable de se nourrir et d'échanger en toute indépendance sur les deux bords de la Méditerranée et au-delà. La possibilité de transformer, voire de partager des Eglises et des synagogues, dans certaines localités devrait aussi être encouragée, ne serait-ce que pour se donner les moyens dans les communautés les moins nombreuses de " sauver " des infrastructures existantes mais plus ou moins désertées qui retrouveraient ainsi leur destiné première dans un œcuménisme exemplaire. En outre, de cette manière, l'Etat disposerait du meilleur moyen d'accompagner cette " gallicanisation " nécessaire et sans doute pressente.
i) N'est-il pas curieux de noter que tant d'idéologues flairant l'air du temps trouvent leur compte et celui de leurs partis et de leurs groupes à dénoncer en bloc tout ce qui touche le socialisme réel ? Bien souvent ceux-ci dénoncent le conformisme des mœurs soviétiques et la décadence brejnévienne au nom d'une logique viscéralement antirépublicaine à la Furet et à la Huntington, allant jusqu'à voir dans " l'esprit de mai " la suite logique d'un non-respect de " l'autorité " que la Révolution francaise symbolise si bien à leurs yeux. De manière assez amusante, d'autres encore reprennent cette dénonciation sans peut-être partager entièrement la stratégie inavouable qui anime les premiers. En disant cela cependant, les uns et les autres oublient avoir été les premiers à profiter de l'éclosion de cet esprit égalitariste et libertaire et pas seulement pour leurs cheveux un peu longs récusant en pratique l'esprit particulier ordinairement affiché par ceux qui préféraient alors les coupes " à la brosse " rappelant gaillardement la " discipline " du régiment ! Ce qui est plus grave, c'est que les plus vociférateurs parmi eux prennent une liberté avec l'histoire que leur profession et leur formation auraient dû leur interdire par instinct. Je mentionne seulement les points suivant : la liberté et la responsabilité en matière de relations interpersonnelles ne sont pas uniquement dues au féminisme moderne et à la pilule. Qu'elle que soit la défaite de la " psychiatrie " soviétique, la conception de l'égalité des sexes et des races ainsi que celle de " l'amour libre " (divorce, authenticité, respect de l'autre et transparence etc.) si nécessaires à une société plus libre et jugées aller de soi aujourd'hui, ne furent pleinement exposées et défendues qu'avec Marx et les bolcheviques russes. Ces conceptions trouvèrent une large application en URSS alors que l'Occident pataugeait encore dans sa bondieuserie de classe. Comme la plupart des gens appartenant à la génération de Mai 68 des deux côtés du rideau de fer l'a toujours su, ce qui a le plus manqué au bloc de l'Est ce fut justement cet " esprit de mai " (malheureusement assassiné à Prague plus qu'à Paris mais non pas plus qu'en Californie malgré des méthodes plus douces). Cette confusion n'est-elle pas le signe indiscutable d'une volonté de régression partiellement inavouée ? Il devient alors facile de télescoper l'histoire par une absurde révision pire que toutes celles que l'on reproche à Staline et d'occulter ensuite la baisse du niveau général de vie partout dans un bloc de l'Est abandonné à des Sachs, des Beresovski et des émules papistes de Brzesinski, avec la même facilité avec laquelle on passe sous silence le rôle fait aux femmes abandonnées maintenant à un capitalisme plus proxénète que sauvage et qui fait les belles heures des maquilleuses primées par Vogue ou Marie-Claire. Il est vrai que la France a connu d'autres Marquises de Maintenon. Mais pour ma part je suis prêt à parier que même le vieillissement de la population ne parviendra pas à faire souffler durablement sur l'Hexagone ce " vent froid venu de l'Ouest " du rigorisme puritain. Qui a parlé de remise en cause de la philosophie du Progrès ?
j) A-t-on assez remarqué comment la remise au goût du jour de ces personnages fonctionne comme une " réhabilitation " à la façon des méthodes de révision de l'histoire imputées par ces auteurs à l'ex-URSS ? Ce n'est pas tant que Grecs et Perses s'influencent mutuellement mais bien plutôt que nombres de " nihilistes éveillés " ont trop tendance à vouloir réaliser les " golems " qu'ils cultivent avec autant d'aisance. Ces personnages n'en demandaient pas tant, leur place objective dans l'histoire de France leur suffisant amplement. Quant à Adolf Berle, il fallait bien un Américain versé dans les Affaires européennes pour détrôner un Jean Monnet que certains ont voulu discréditer ces derniers temps en se heurtant à un tollé bien mérité. Ce qui serait instructif du point de vue de la circulation des idées et du détournement de leur sens, ainsi que du respect de la vie privée des gens et de leur propriété intellectuelle, serait de faire la lumière sur la manière dont Berle (sans Means) s'est présenté à l'attention des saltimbanques intellectuels impliqués. Je sais pour ma part que le processus est identique à celui, ignoble et obscène s'il en fut jamais, qui poussa un vulgaire Frum, digne rejeton d'une Barbara Frum, sectaire sioniste de droite que l'on sait, à participer à la " conceptualisation " de " l'axe du mal ". Il n'est pas sûr qu'ils l'emporteront au " paradis ", comme dit le dicton.
k) Prenons garde qu'à trop vouloir faire de la Shoah un cas unique, on n'aboutisse en fin de compte à en faire une exception, plus qu'un fait " exceptionnel. " Nous avons ici à faire à une horreur historique qui atteignit sans doute un sommet avec l'histoire moderne liée au capitalisme et à l'industrialisation de masse mais dont les racines sont profondes et très insidieuses. On ne combattra donc pas ce mal par des prêches, au mieux " dévotes ", mais par la prise de conscience historique et culturelle de la genèse du phénomène. En particulier, ceux qui associent le nietzschéisme soi-disant philo-sémite à ces prêches ne peuvent être que des " pitres " (au sens conceptuel que j'ai donné à ce terme) qui ne contribuent en rien à une avance civilisationnelle capable de faire de l'exclusivisme une chose du passé. Il suffirait d'ailleurs d'un peu de bon sens et de décentration historique et géographique pour s'en rendre compte : entre autres exemples, pourquoi vouloir reléguer à un degré plus bas les expériences " mengeléennes " subies par le peuple chinois et le peuple coréen aux mains des fascistes japonais ? Trop d'exceptions finissent par se nier elles-mêmes en tant que telles. Et il serait véritablement navrant d'avoir à les comprendre en dehors de l'unicité de l'espèce humaine qui doit bien prévaloir en dernière analyse au-delà de toutes les différences existantes par ailleurs. Une telle réduction du phénomène serait à l'évidence nuisible à la pédagogie préventive et plus encore à l'internalisation de valeurs qui doivent bien assumer leur universalité pour éviter de redoutables mais trop prévisibles retours du bâton. La critique du fascisme reste encore trop d'actualité pour pouvoir être abandonnée à des grands-prêtres auto-proclamés.
** J'ai déjà eu l'occasion de proposer à l'intention de tous ceux qui réflechissent librement sur l'avenir de la civilisation musulmane dans ses multiples facettes et ses relations avec la modernité la réflexion suivante qu'il me paraît utile de rappeler ici : " J'ajoute à l'attention des croyants musulmans les plus " traditionalistes " en matière d'interprétation des textes que je ne vois pas dans le Coran, texte par excellence égalitariste, d'intention exclusiviste en tant que telle. Contrairement à ce que l'on veut prétendre, le problème principal du Prophète me semble être de départager la nouvelle religion avec les croyances pré-existantes (dans la Péninsule arabique et dans le Moyen Orient en général) plutôt que de polémiquer avec les " athées " concept qui n'existait pas en tant que tel à l'époque. Or l'incrédule n'est pas un athée. Pour ma part je crois que le Prophète voulait rétablir la religion vraie en ce sens qu'il remettait le " devoir de conscience " du croyant au premier plan, ce que justement l'incrédule ne se soucie guère de faire. Un athée n'est au fond qu'une personne exerçant son " devoir de conscience " en l'absence immanente du Prophète et qui refuse de confondre les commentaires sur le Coran pour le Coran lui-même. Le problème de l'athée est un problème simple, le même au fond que celui du Prophète à l'origine mais à son niveau séculier à lui, terre à terre, quotidien : si le Coran tout comme la " psychoanalyse " fait état de manifestations (illusoires ou réelles, peu importe) d'esprits divers, Djinns ou Barghouts etc, comment s'y retrouver ? Comment littéralement savoir à quelle " voie " et quelle " voix " se fier ? Comment autrement que par le " devoir de conscience " surtout du fait que le Coran lui-même nécessite des commentaires et une herméneutique dans la plus grande tradition des Ibn Ruchd et des Al Ghazzali?. Je crois personnellement que l'aggiornamento du monde musulman permettant de retrouver la voie moderne vers la grandeur civilisationnelle d'antan ne sera achevé que lorsque les croyants sincères et les athées consciencieux découvriront ce qui les différencie du matérialisme primaire des " incrédules " et ce qui les unis. On l'aura compris, cette démarche implique une forme développée de tolérance et de laïcité reposant sur des alliances de classe appropriées. Ne confondons pas hâtivement et abusivement " amis " et " ennemis ". Surtout dans le plus grand esprit de tolérance de l'islam et de la renaissance occidentale qui lui doit beaucoup, sachons accorder à ces " ennemis " eux-mêmes l'espace individuel et collectif nécessaire à leur liberté et, en fin de compte, à leur propre cheminement vers un devoir de conscience librement assumé. (voir là dessus la deuxième partie de mon Pour Marx, contre le nihilisme, dans le même site web mentionné ci-dessus) " in " alliances " (08-04-2003)